(Dés)Enchantez vos soirées avec quelques contes...


Le Livre et le critique


Il était une fois un livre arrivant au terme d’un long voyage chez un terrible sorcier appelé Critique Littéraire jugeant dans sa tour sombre les écrits, les vouant à une damnation éternelle ou à des éloges paradisiaques. Expédié par le Comte Lokomodo, à la demande de son père – un scribe, David Bry ayant déjà écrit ici et là quelques textes – le petit ouvrage tremblait.

En effet, ce poche n’avait point de frère appelé « Grand format ». Certes quelques cousins, tel Failles ou 2087, pouvaient théoriquement prendre les armes pour le soutenir dans le combat contre le terrifiant sorcier. Mais ceux-ci avaient déjà passé avec brio les étapes du jugement et ne voulaient pas risquer leur précaire situation pour un simple inédit. Cela malgré qu’il ait une couverture des plus tentantes…

 

Le magnifique sorcier sortit alors sa paire de lunettes et se plongea avec sadisme dans la lecture du texte qui rechignait à se soumettre à ses longs doigts tortueux. Les ongles lui faisaient mal aux pages, l’atmosphère de la pièce aux milles manuscrits torturait sa quatrième. L’ouvrage souffrait et craignait de ne jamais réussir à s’en sortir.

Car il parlait d’une histoire simple. En réalité, d’une multitude d’histoires. Et les recueils de nouvelles n’étaient plus réellement d’actualité : force était de parier sur un rejet pur et simple, une condamnation dramatique aux flammes infernales ou, pire, aux méandres de l’oubli.

 

Or, le sorcier, après les premières pages, continua la lecture. Cela surprit tous les autres livres de la pièce qui retenaient leur souffle. Puis, soudainement, les yeux du sorcier s’égayèrent, un rictus apparu sur son visage. Voilà, Critique littéraire, ce méchant monsieur, allait encore prendre du plaisir à condamner un petit livre. Il allait se complaire dans un jugement terrible et sans concession. Il allait…

 

Rien du tout oui, cher lecteur. Il allait rejeter sa tête en arrière et rire un bon coup. Un rire franc et joyeux, un rire heureux, d’enfant. Et refermant le livre pour s’essuyer les yeux, le vieil homme, redevenu humain aux yeux de quiconque le regarderait, dirait :

 

« Bien joué, David Bry, très belle ouverture ! »

 

**********

 

Ce petit conte aurait-il sa place dans Contes désenchantés de David Bry ? Surement pas car cet ouvrage raconte l’histoire de quatre troubadours qui, le soir, dans une auberge, vont gagner leur pitance.

La Fantasy regorge de scènes dans une auberge. Regorge de personnages ménestrel ou conteur. Regorge de ces soirées où la bière est servie par les jeunes serveuses accortes en des quantités qui, aujourd’hui, offrirait un aller simple vers le coma éthylique.

Mais rare sont les moments où nous pouvons réellement vivre cette soirée : toujours des méchants arrivent, les gentils s’en vont, un anneau se glisse au doigt d’un hobbit trop maladroit pour rester debout. Bref, il est rare de vivre ces instants au coin du feu.

 

Ces contes prennent donc des chapitres auxquels sont intercalées les scènes de la soirée dans l’auberge : chaque conteur saisit son tour sur l’estrade, la foule réagit et… et une mission secrète pour des puissants seigneurs se déroule au Long Chemin. Robin, Fargo, Bartholomé et Deidre sont nos conteurs mais, sans le savoir, se cachent dans leurs auditeurs des agents secrets et des assassins.

 

De facto, l’idée de David Bry est originale. Mais ce qui la rend parfaite, c’est le caractère cynique de ses contes. « Il était une fois… » est d’un commun : toujours la princesse est libérée, toujours la sorcière est vaincue, toujours tout le monde agit avec honneur et talent. Shrek avait un peu (beaucoup) détourné les contes que nous connaissons. Bry, lui, ne détourne rien sauf le genre même du conte enchanté auquel il retire beaucoup pour en rajouter tout autant.

Ainsi, Arnaud, lui, a trouvé le meilleur moyen de résoudre l’énigme d’une sorcière malgré son côté benêt. Un roi cherche à se persuader que celle qu’il aime est toujours vivante. De vieux magiciens perdent tout talent magique…

La magie semble avoir déserter ces histoires ? Oui, les contes n’ont rien de ce magnifique que peut avoir Blanche-Neige et c’est cela qui les rend si précieux ! La magie de l’ironie et du cynisme permet à l’auteur de déployer sous un prisme différent l’art du conte : cacher une morale derrière une histoire en apparence simplette.

 

Les Contes désenchantés ne sont en effet pas uniquement offerts au lecteur pour l’amuser : ils l’instruiront, comme tout conte, sur lui-même. Allez-vous apprécier l’histoire du Chevalier amoureux ou vous indigner ? Allez-vous comprendre les actes de Jehan dans Le Dragon et le chevalier ?


A vous de le l(d)ire.


Pierre Chaffard-Luçon


David Bry, Contes désenchantés, Lokomodo, novembre 2012, 7,50 € - 329 p.

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