Céline Guichard dessinatrice comique ou la question du genre

Ayant beaucoup regardé des œuvres qui  creusaient dans leur propre espace des questions semblables à celles qu'elle affronte, Céline Guichard par la frontalité brutale du dessin et son effet d’isolement - hors diégèse ou décorum - sort autant du réalisme que du surréalisme, dépasse l’expressionnisme et la réduction formaliste.

 

Affectives, sociales, idéologiques, religieuses et épistémologiques à leur manières les « Précieuses » de Céline Guichard n’ont rien de spécieuses. Elles résistent  à l'euphorie du liant unanime assaisonné aux canons de la beauté admise. Cette expérience mélancolique reste un défi à l'accablement des poncifs anorexiques accordés à la représentation féminine. Chaque série de l’artiste devient une victoire sporadique, fugace, sans doute dérisoire  sur cette figuration institutionnelle mais sa justification tient au défi suivant : toujours reprendre le combat afin de travailler les formes et tordre les artifices rhétoriques.

 

Hautaines ou grossières, souples ou rigides les femmes de l’artiste relèvent à la fois de la diversité du monde et de la puissance de l'imaginaire de la  créatrice.  Elles disent quelque chose du dehors et du dedans mais ne s'identifient entièrement ni au monde, ni à l’artiste. Elles répondent à la vacuité dépressive et à une plénitude formatée, reforment les formes, tout en maintenant la brume chatoyante d’un brouillage en un punctum sensuel particulier.

 

Le sexuel est au cœur de ce que l’artiste crée sans le réduire à sa représentation. Comme Prigent elle pourrait dire "Du sexuel, je ne sais évidemment rien, sinon que c'est précisément ce qu'on ne sait pas". Mais ce qu’elle en montre est tout sauf banal.  De fait son travail porte moins sur la question du sexuel que sur les raisons qui font que l’art  est obsédé par le sexe sous toutes ses formes : du lien le plus courtoisement éthéré à la pornographie la plus brutale.

 

Le savoir psychanalytique aide parfois à mettre tout cela un peu à distance mais ici le dessin  ne répète pas la théorie, il n'en est jamais l'illustration. Il fait surgir  la question des “ genres ” qu’ils soient artistiques, littéraires et sexuels. Tous les grands créateurs comiques physiques, métaphysiques ou paniques de Rabelais à Arrabal, de Rebeyrolle à Marlene Dumas ont procédé à leur retournement  En ce sens Céline Guichard reste, elle aussi, une artiste « comique ».

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Celine Guichard, « Too Much », Editions Dessiner c'est gagner 2013, « Portfolio », 2013, "Dessin de salon" 2013, "Précieuses" 2011, les trois ouvrages aux Editions de la Salle de bains

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