Donatien Alphonse François, marquis de Sade (1740-1814), philosophe, écrivain libertin et débauché, emprisonné à de nombreuses reprises. Biographie du Marquis de Sade.

Résumé : Œuvres de Sade


Sade "littéralement et dans tous les sens"


Que veut dire aimer Sade ? Avant tout qu’on ne peut plus supporter la souffrance. Que tout nous paraît souffrance. Que l’on n’en peut plus de la vie. Pourquoi y a-t-il de la souffrance plutôt que rien ? Nous demandons-nous avec Sade. Pas seulement à cause de la société d’ailleurs – trop facile d’incriminer seulement les institutions ou le pouvoir. Non, c’est le monde dans son ensemble qui est visé par le Marquis, le monde et ses lois, ses valeurs, ses idoles, ses dieux, son histoire et même sa géographie. Tout sadien patenté sait que son auteur préféré adore se faire une collection des mœurs de tous les pays du monde et prouver, qu’ici comme là-bas, si les modes de vie changent, la cruauté de ces modes reste la même. Où qu’on aille, quoiqu’on fasse et quoiqu’on pense, il y a toujours du sang et des morts. La moindre parole, le moindre clin d’œil, le moindre raisonnement déclenchent aussitôt la mise en marche des chevalets et des tortures. À chaque idée son cadavre. A chaque système son supplice. À chaque vie sa douleur. Vivre, c’est souffrir ou faire souffrir. Ce que nous dit Sade est que c’est la vie qui est biologiquement sadique. C’est la nature, comme il l’appelle, qui contient en elle la mort et la destruction. C’est la matière elle-même qui s’arrange pour nous tourmenter de la meilleure façon possible. Les tourments, l’humanité adore ça de toute façon. La preuve en est qu’en plus de ceux que la nature nous inflige, nous nous en inventons sans cesse d’autres avec nos idées d’âme, d’outre-monde, d’enfer. Illusions fantasmagoriques à coup sûr, mais qui sont là autant pour consoler les peuples que pour séduire les libertins en quête de nouveaux excès, tel le ministre Saint-Fond dans Juliette avec son idée d’une douleur maximale que l’on infligerait à un patient et qui, par le biais d’une pratique satanique (donc, franchement anti-matérialiste), se perpétuerait éternellement. Au fond, notre seule différence avec la matière, c’est que nous avons plus d’imagination qu’elle. Et comme « tout le bonheur de l’homme est dans son imagination », c’est par elle que nous pourrons dominer la nature et atteindre notre souveraineté. Être libre, ce n’est pas outrepasser les lois de la nature, ce qui est impossible, mais les doubler par l’artifice – exactement ce que fait Juliette, la seule véritable héroïne sadienne. 

 

Innommable, irrécupérable, infréquentable, Sade l’est précisément pour nous avoir révélé la cruauté atomique des choses, pour nous avoir exercé à la désidéologisation complète du monde, pour nous avoir initié enfin à la l’humanité totale – et qui en un sens est le contraire de l’humanité. Alors, mimétique ou métaphorique le Marquis ? L’aimer, c’est en tous cas, comme le dit Annie Le Brun citant Rimbaud dans son célèbre et indépassable essai Soudain un bloc d’abîme, Sade et qui inspire notre travail, le lire « littéralement et dans tous les sens ».

 


 

LA CAUSE PREMIÈRE

 

 

1 - Mots

 

Sade, on en revient malade. Qui en effet peut résister à « ça » ? :

 

« Pendant la nuit, le duc et Curval, escortés de Desgranges et de Duclos, descendent Augustine au caveau. Elle avait le cul très conservé, on la fouette, puis chacun l’encule sans décharger ; ensuite le duc lui fait cinquante-huit blessures sur les fesses dans chacune desquelles il coule de l’huile bouillante. Il lui enfonce un fer chaud dans le con et dans le cul, et la fout sur ses blessures avec un condom de peau de chien de mer qui redéchirait [sic] les brûlures. Cela fait, on lui découvre les os et on les lui scie en différents endroits, puis l’on découvre ses nerfs en quatre endroits formant la croix, on attache à un tourniquet chaque bout de ces nerfs, et on tourne, ce qui lui allonge ces parties délicates et la fait souffrir des douleurs inouïes. On lui donne du relâche pour la mieux faire souffrir, puis on reprend l’opération, et, à cette fois, on lui égratigne les nerfs avec un canif, à mesure qu’on les allonge. Cela fait, on lui fait un trou au gosier, par lequel on ramène et fait passer sa langue ; on lui brûle à petit feu le téton qui lui reste, puis on lui enfonce dans le con une main armée de scalpel, avec lequel on brise la cloison qui sépare l’anus du vagin ; on quitte le scalpel, on renfonce la main, on va chercher dans ses entrailles et la force à chier par le con ; ensuite, par la même ouverture, on va lui fendre le sac de l’estomac. Puis, l’on revient au visage : on lui coupe les oreilles, on lui brûle l’intérieur du nez, on lui éteint les yeux en laissant distiller de la cire d’Espagne brûlante dedans, on lui cerne le crâne, on la pend par les cheveux en lui attachant des pierres aux pieds, pour qu’elle tombe et que le crâne s’arrache. Quand elle tomba de cette chute, elle respirait encore, et le duc la foutit en con dans cet état ; il déchargea et n’en sortit que plus furieux. On l’ouvrit, on lui brûla les entrailles dans le ventre même, et on passa une main armée d’un scalpel qui fut lui piquer le cœur en dedans, à différentes places. Ce fut là qu’elle rendit l’âme. Ainsi périt à quinze ans et huit mois une des plus célestes créatures qu’ait formée la nature, etc. Son éloge. »

 

« Ça », c’est le supplice d’Augustine dans Les cent vingt journées de Sodome, la pire page du pire livre qui n’ait jamais été écrit. « Ça », c’est la vie dans son indépassable horreur physique et morale, c’est la réalité physiologique en action et l’action philosophique dans sa réalité, c’est ce à quoi aboutit n’importe quelle religion, n’importe quelle métaphysique, n’importe quelle morale, c’est le nec plus ultra de l’humanité. « Ça », c’est ce qui fait bander l’humanité ou plutôt c’est ce qui n’empêche pas l’humanité de bander. Car il ne faut pas se leurrer, toutes les atrocités du monde n’ont jamais empêché « la vie » de « continuer » comme l’on dit. Des Augustines, il y en eut des millions mais cela ne gêna jamais les juges de condamner à mort leurs coupables ni les parents de fesser leurs enfants. J’exagère ? Je mets sur le même niveau des choses qui n’ont rien à voir ? Je m’excite tout seul à propos d’un auteur que le bon Joseph n’aurait jamais dû me donner à traiter ? Je règle mes comptes avec Papa Maman, l’âne et le boeuf ? Je fais un doigt d’honneur à Dieu ? Et quand bien même ! Tout cela, c’est kif-kif. Pour le malheur de tous les martyrs, l’humanité a toujours préféré la vie – et dans le cas d’Augustine, la vie, c’est la douleur qui ne finit jamais – au doux néant qui abolit les douleurs. Et comme si cela n’était pas suffisant, aux peines judiciaires, temporelles, l’humanité, via le Dieu qu’elle s’était inventé, rajouta les peines éternelles. L’aventure d’Augustine est un témoignage de ce qui peut se passer dans la tête d’un sadique, d’un juge ou d’un chrétien – et aussi la description d’une réalité à peine exagérée. Lisez plutôt :

 

Damiens avait été condamné, le 02 mars 1757, à « faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Pari» où il devait être « mené et conduit dans un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres » ; puis, « dans le dit tombereau, à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant en icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée de feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et soufre fondus ensemble et ensuite son corps tiré et démembré à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendre et ses cendres jetées au vent. Enfin, on l’écartela, raconte la Gazette d’Amsterdam. Cette dernière opération fut très longue, parce que les chevaux dont on se servait n’étaient pas accoutumés à tirer ; en sorte qu’au lieu de quatre, il en fallut mettre six ; et cela ne suffisant pas encore, on fut obligé pour démembrer les cuisses du malheureux, de lui couper les nerfs et de lui hacher les jointures. À la fin, « l’un des exécuteurs dit peu après que lorsqu’ils levèrent le tronc du corps pour le jeter sur le bûcher, il était encore vivant ». (1)

 

Plus tard, dans ses Mémoires, Casanova, qui, lui, ne put soutenir le spectacle du supplice jusqu’au bout, raconta qu’autour de l’échafaud, les gens étaient en fête - certains se faisant faire une fellation par des prostituées, d’autres se masturbant gaiement – et rapporta le mot d’une grande dame de l’époque : « Pauvres chevaux, ils doivent souffrir à tirer comme ça ! » Qu’on ne se moque pas ! Cette dame, c’est l’humanité dans tout son angélisme, celle qui sera toujours du côté de la vie, de la justice, des innocents qui souffrent (même s’il s’agit d’animaux), et qui prendra fait et cause contre tous les méchants, applaudira à leur châtiment, et sera beaucoup plus scandalisée par le premier texte que par le second. Car pour les bonnes gens, ce que l’on admet dans la réalité, on ne l’admet plus du tout dans la littérature – surtout une littérature qui (d)énonce la réalité.

 

Au XVIIIe siècle, les supplices font long feu. Pourtant, si l’écartèlement de Damiens a pu exciter la partie la plus traditionnelle du public, il n’en a pas moins horrifié l’ensemble des parisiens. Même si la « honte de punir », dont parle Michel Foucault, qui caractérisera la justice moderne, est encore loin, la cruauté judiciaire commence à paraître un peu « too much ». À vrai dire, le paradigme politique, social et mystique est en train de changer. Jusqu’à Damiens le châtiment renvoyait à la souveraineté du Prince, elle-même garante de la volonté de Dieu, et par là même se devait d’être éclatant. Rouer, écarteler, brûler vif n’étaient rien d’autre qu’accomplir la volonté du Très Haut pour la plus grande joie des ouailles. Or, du fait que le Très Haut se retire peu à peu des affaires humaines, les hommes n’ont plus la même ferveur à se punir les uns les autres. Descartes et Kant sont passés par là. Le monde dépend désormais moins de l’objectivité divine que de la subjectivité du Cogito et de la raison pratique. La mystique pénale d’antan commence à sentir le soufre. Un Joseph de Maistre pourra des années plus tard tenter de réhabiliter le bourreau et la nécessité glorieuse des supplices, l’évolution des mœurs et la transformation du langage, à laquelle participe amplement l’œuvre de Sade, auront fini par rendre caduque « l’innocence » de la violence d’état.

 

Comme l’a définitivement montré Michel Foucault dans son Histoire de la folie, c’est en effet au moment où l’on abandonne les grandes tortures pénales que celles-ci font leur entrée en littérature. Entrée remarquée et qui pour le philosophe correspond à « cette grande conversion de l’imaginaire occidental » et qui est « le fait culturel massif de la fin du XVIIe siècle » (2) – le sadisme. Certes, on n’a pas attendu Sade pour être sadique, mais on l’a attendu pour être sadien, c’est-à-dire pour exprimer non plus la cruauté de situations objectivement « cruelles » et d’ailleurs considérées comme telles depuis le début de l’histoire (guerres, famines, crimes, accidents, maladies, deuils…) mais bien celle des valeurs et des institutions qui structuraient la pensée classique - autrement dit, c’est grâce à Sade que nous a été dévoilée dans toute son obscénité la cruauté du bien. Pour la première fois dans l’histoire de la littérature, et peut-être même du langage, on comprend avec effroi ce que signifient pour de bon « exécution des hautes œuvres », « justice divine », « nature », « bonté », « humanité ». En mettant des mots sous les idées et des morts sous les mots, Sade a déniaisé le langage comme il a défloré la réalité. Impossible après lui de ne plus sentir le sang des hommes et de ne plus entendre le hurlement des femmes quand on parle de morale et de religion. Pire, on comprend avec lui que la cruauté peut désormais aller de pair avec la volupté. Un siècle et demi avant Freud, la sexualité comme origine de toutes choses, et notamment des pensées les plus hautes, bouleverse notre anthropologie d’enfant de choeur. La fureur sexuelle accompagne la fureur morale, sinon la provoque. Avec Sade, non seulement le social ou le pénal deviennent des catégories du cruel, mais le cruel devient lui-même une catégorie érotique. « Parce que vous bandez, monsieur le président, vous voudriez qu’on vous parlât tout de suite de roue et de potence ; vous ressemblez beaucoup aux gens de votre robe, dont on prétend que le vit dresse toujours, chaque fois qu’ils condamnent à mort » reproche gentiment Blangis à Curval avant d’aller bras dessus, bras dessous démembrer quelques adolescents.

 

Dès lors, c’est la candeur de Joseph Maistre qui croit que l’on peut continuer à parler du supplice sans sadisme, qui apparaîtra monstrueuse. Et c’est en ce sens que sa page à lui sur le bourreau est mille fois plus abjecte que toute l’œuvre de Sade, car sa réjouissance « divine », contrairement à la jouissance du divin marquis, est toute morale, sans malice aucune, sans volonté de subvertir – d’enculer la loi. « Sadisme » inconscient de lui-même, totalement anti-érotique, et qui croit jouir « sainement » des vertus rigoureuses de la justice quand il célèbre le châtiment. Las ! Depuis Sade et avant Freud, et en n’oubliant pas Sacher-Masoch, on ne peut plus punir (ou se faire punir) sans contentement sexuel. La Loi est devenue érotique – donc impossible.

 

2 - Nombres

 

« Le fait est que si ce livre ébranle tellement, écrit Annie Le Brun à propos des Cent vingt journées de Sodome et citant Georges Bataille, c’est bien parce que, malgré tout, malgré l’aberrante horreur, malgré l’inimaginable horreur représentée là, "cette lecture énerve sensuellement" et là commence l’intolérable. » (3) Intolérable en effet cette liste de perversions sexuelles, qui va des aberrations les plus répugnantes aux meurtres les plus atroces, qui mélange allègrement déviances et crimes, manies et tortures, fantasmagories et passages à l’acte, et qui semble concerner le lecteur lui-même. En bon éducateur, Sade « recommande » à celui-ci de ne pas hésiter à rechercher, entre autres « propositions » abominables, celle qui répond le mieux à son désir, car « il n’y a pas de défaut qui ne trouve un sectateur » :

 

« Cher lecteur […]  Sans doute, beaucoup de tous les écarts que tu vas voir peints te déplairont, on le sait, mais il s’en trouvera quelques-uns qui t’échaufferont au point de te coûter du foutre, et voilà tout ce qu’il nous faut. Si nous n’avions pas tout dit, tout analysé, comment voudrais-tu que nous eussions pu deviner ce qui te convient ? C’est à toi à le prendre et à laisser le reste ; un autre en fera le temps ; et petit à petit tout aura trouvé sa place. […] Choisis et laisse le reste, sans déclamer contre ce reste, uniquement parce qu’il n’a pas le talent de te plaire. Songe qu’il plaira à d’autres, et sois philosophe. »

 

Ah la philosophie sadienne… En réalité, le but de Sade est moins de complaire au désir secret de son lecteur que de l’emmener à un en deçà du désir, à ce qu’Annie Le Brun appelle « une sorte de trouble primordial qui anticiperait le désir ou serait la houle fomentant les vagues du désir » et qui n’est rien d’autre qu’ « une perte d’identité érotique ». (4) C’est bien là le paradoxe d’un texte qui se présente comme le plus ordonné et le plus précis possible, qui feint de fixer les plaisirs pour mieux en jouir, qui accumule tous les exemples destinés à étayer ces thèses, qui prétend faire preuve de méthode dans son discours, mais qui au bout du compte fait subir au lecteur le plus extraordinaire nettoyage de cerveau de l’histoire de la « rhétorique ». Si méthode il y a, celle-ci consiste à provoquer par la répétition infinie des orgies et des dissertations l’abrutissement total du lecteur. Piégé entre cent vingt foutreries et six cent supplices, ce dernier doit encore supporter des « raisonnements » censés légitimer la foutrerie et le supplice. Nulle « dialectique » là-dedans. Tout étant négatif chez lui, c’est-à-dire univoque, Sade n’a que faire d’un « travail du négatif », et encore moins d’une argumentation reposant sur l’emploi de la thèse-antithèse-synthèse, celle-ci ne pouvant du tout servir la seule « démonstration » qui vaille, à savoir l’accumulation vertigineuse des « preuves ». Et de fait, à partir de la seconde partie des Cent vingt journées (qui en compte quatre), le rythme des histoires s’accélère au détriment de leur narration. Aux récits les plus détaillés succèdent les énoncés les plus brefs, comme si le texte devait lui-même ne jamais se terminer tout en se resserrant au maximum – comme s’il fallait aller à l’essentiel à l’infini.

 

Ce qui se passe alors est que, comme son auteur le précise lui-même au début de la seconde partie, « les chiffres précèdent les récits ». Mieux : les chiffres commencent à faire récit :

 

« 1. Ne veut dépuceler que de trois ans jusqu’à sept, mais en con. C’est lui qui dépucelle la Champville à l’âge de cinq ans.

2. Il fait attacher une fille de neuf ans en boule et la dépucelle en levrette.

3. Il veut violer une fille de douze à treize ans, et ne la dépucelle que le pistolet sur la gorge.

4. Il veut branler un homme sur le con de la pucelle ; le foutre lui sert de pommade ; il enconne, après, la pucelle tenue par l’homme.

5. Il veut dépuceler trois filles de suite, une au berceau, une à cinq ans, l’autre à sept. »

 

Et ainsi de suite pendant cent cinquante et une « histoire » pour la seule seconde partie. Au bout du compte, c’est le texte lui-même qui devient une succession de nombres, et pourrait d’ailleurs s’intituler « nombres ». Nombres de passions, de supplices, de postures, de possibilités de jouir et de périr. Dès lors que le comptage sert de récit, la numérotation sert de personnification. Comme dans la passion quarante-six de la deuxième partie où l’écriture cède la place à l’algorithme :

 

« Il fait chier une fille A et une autre B ; puis il force B à manger l’étron de A, et A de manger l’étron de B ; ensuite elles chient toutes deux, et il mange leurs deux étrons. »

 

Ou dans la passion quatre-vingt neuf de la même partie où l’identité interchangeable des filles ajoutée à l’anonymat du libertin (« il ») permet à Sade de donner à son texte une rythmique proprement musicale :

 

« Quinze filles passent, trois par trois ; une fouette, une le suce, l’autre chie ; puis celle qui a chié fouette, celle qui a sucé chie, et celle qui a fouetté suce. Il les passe ainsi toutes quinze ; il ne voit rien, il n’entend rien, il est dans l’ivresse. C’est une maquerelle qui dirige le tout. Il recommence cette partie six fois la semaine. (Celle-là est charmante à faire, et je vous la recommande. Il faut que ça aille fort vite ; chaque fille doit donner vingt-cinq coups de fouet, et c’est dans l’intervalle de ces vingt-cinq coups que la première suce et la troisième chie. S’il veut que chaque fille donne cinquante coups, il en aura reçu sept cent cinquante, ce qui n’est pas trop.) »

 

Mathématique. Rythmique. Musique. Et ivresse du lecteur qui lui non plus ne voit et n’entend plus rien. Chaque numéro ajoute son lot de morts et d’aberrations. À la fin, on fait les comptes et c’est le texte lui-même qui devient un calcul :

 

« Compte du total :

Massacrés avant le 1er mars dans les premières orgies....10

Depuis le 1er mars…………………....................................……20

Et ils s’en retournent…………………………….........……………16 

Total ......………………………………………………………………..  46 »

 

Ainsi est-on passé progressivement du roman historique à la soustraction – soustraction des vivants, des vertus et des vierges. Même les servantes y sont passées, mais l’on a épargné les cuisinières « à cause de leur talent ». Avec elles, ne restent plus que les libertins et leurs maquerelles. Le reste du château est vide comme la tête du lecteur.

 

On s’est souvent demandé si l’état provisoire du manuscrit permettait une compréhension réelle du projet de Sade. Pour Annie Le Brun, « il faut considérer Les cent vingt journées de Sodome comme achevées et prendre pour définitive la forme sous laquelle elles nous sont parvenues, comme si l’économie interne du projet avait engendré cette forme qui s’est imposée de façon qu’il devienne impossible de la modifier ». (5) Par ailleurs, passer des lettres aux nombres, puis des nombres aux atomes, n’était-ce pas au fond le projet du marquis ?

 

3 - Atomes

 

Car ce sont les atomes les coupables. La matière, dont la vie n’est qu’un pompiérisme selon un mot de Cioran, est le lieu où se nouent toutes les souffrances et toutes les jouissances. C’est en elle qu’a lieu ce « choc des atomes voluptueux » cité par Le Brun et dont chacun de nous n’est qu’une misérable et conflictuelle incarnation. L’histoire n’est qu’une guerre atomique ou individuelle où tous les coups sont permis, ou tous les corps sont démis et où toutes les transcendances sont bannies. Inutile de résister, Dieu n’existe pas, pas plus que notre « liberté ».

 

« Rien ne naît ; rien ne périt essentiellement, tout n’est qu’action et réaction de la matière, explique Sade par la bouche du Pape dans Juliette, ce sont les flots de la mer qui s’élèvent et s’abaissent dans la masse des eaux ; c’est un mouvement perpétuel qui a été, et qui sera toujours, et dont nous devenons les principaux agents sans nous en douter, en raison de nos vices et de nos vertus. C’est une variation infinie ; mille et mille portions de différentes matières qui paraissent sous toutes sortes de formes, s’anéantissent et se remontent sous d’autres, pour se reperdre et se remonter encore. »

 

Seule la nature préside à nos tempéraments. Et les horreurs qu’elle nous fait faire ou subir ne sont rien d’autre que des « humeurs » propres à notre métabolisme. Et dans ses Étrennes philosophiques, Sade prévient qu’il est vain de percer le mystère de celui-ci :

 

« Tu peux analyser les lois de la nature, et ton cœur, ton cœur où elle se grave, est lui-même une énigme dont tu ne peux donner de solution ! Tu peux les définir, ces lois, et tu ne peux pas me dire comment il se fait que de petits vaisseaux trop gonflés renversent à l’instant une tête et fassent dans la même journée un scélérat du plus honnête des hommes. »

 

 Pire, le scélérat est nécessaire au bon fonctionnement de l’ordre des choses :

 

« Tu veux que l’univers entier soit vertueux, et tu ne sens pas que tout périrait à l’instant s’il n’y avait que des vertus sur la terre ; tu ne veux pas entendre que, puisqu’il faut qu’il y ait des vices, il est aussi injuste à toi de les punir, qu’il le serait de te moquer d’un borgne. » 

 

 Le « mal », dont les métaphysiciens font le problème par excellence de l’existence, n’est pas plus problématique qu’un tremblement de terre ou qu’un tsunami – et ses victimes sont équivalentes sur le plan humain, animal, végétal et minéral. Y résister serait prendre le risque de déséquilibrer la nature. Une huître ne vaut pas plus qu’un être humain.

 

« Je maintiens qu’il faut qu’il y ait des malheureux dans le monde, que la nature le veut, qu’elle l’exige, et que c’est aller contre ses lois en prétendant remettre l’équilibre, si elle a voulu du désordre. […] L’univers ne subsisterait pas si la ressemblance était exacte dans tous les êtres ; c’est de cette dissemblance que naît l’ordre qui conserve et qui conduit tout. »

 

C’est ce que fait encore dire Sade à la Duclos dans Les cent vingt journées. On pourrait multiplier à l’infini ces déclarations « écologiques » tant elles constituent le premier credo du Marquis : la Cause Première contient en elle toutes les destructions possibles. Des auteurs aussi différents que Schopenhauer, James Cowper Powys… ou Michel Houellebecq disent ce genre de choses. On se rappelle comment ce dernier (pourtant hostile à Sade) faisait son entrée en littérature aux premières lignes de Rester vivant :

 

« Le monde est une souffrance déployée. À son origine, il y a un nœud de souffrance. Toute existence est une expansion, et un écrasement. Toutes les choses souffrent, jusqu’à ce qu’elles soient. Le néant vibre de douleur, jusqu’à parvenir à l’être : dans un abject paroxysme. »

 

Sauf que pour Sade, cet « abject paroxysme » n’est en rien un prétexte pour se plaindre. Au contraire, soyons abjects et paroxystiques. Soyons naturels et nihilistes. Écrasons tous ceux qui ne sont pas assez forts pour jouir de l’univers et obéissons sans faillir à cet univers qui nous donne l’exemple. La seule chose dont nous pourrions nous plaindre est que nous n’arriverons jamais à l’égaler dans sa capacité de destruction.

 

« Combien de fois, sacredieu, n’ai-je pas désiré [regrette Curval], qu’on pût attaquer le soleil, en priver l’univers, ou s’en servir pour embraser le monde ? Ce serait des crimes cela, et non pas les petits écarts où nous nous livrons, qui se bornent à métamorphoser au bout de l’an une douzaine de créatures en mottes de terre. »

 

Fort de ce qu’Annie Le Brun appelle cette « conscience physique de l’infini » (6), Sade peut laisser libre cours à la puissance démoniaque, ou plutôt matérialiste, de son instinct de mort. Tant pis s’il en oublie l’instinct de vie tout aussi propre à la nature. C’est là évidemment sa grande faiblesse philosophique. Tout à sa subversion totalitaire, il ne veut surtout pas voir que la nature est encline autant à la férocité qu’à la charité. Car il a beau dire, beau faire, il est bien obligé de se rendre compte que les hommes ne se corrigent jamais entièrement de leur dévotion, et qu’ils ne renoncent pas à mettre leur espoir en Dieu – « le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme » écrit-il rageusement un peu partout. L’erreur en revient à son athéisme total incapable de saisir l’instinct vertical de l’humanité. Même si Dieu est une chimère, c’est un fait que les hommes se sont structurés à partir de cette chimère – et qu’un homme sans Dieu serait précisément… inhumain. Il peut bien s’acharner à dire, par exemple, par la bouche du moribond dans le célèbre Dialogue entre un prêtre et un moribond qu’ « il est parfaitement impossible de croire ce que l’on ne comprend pas », il sera toujours dépassé par Pascal qui lui répondra que « tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être ». Comme Marx plus tard, et comme du reste tous les athées, il bute sur le besoin spirituel (et incompréhensible) de l’humanité. Et il est obligé d’admettre, même en fulminant, que l’on peut faire endurer les pires supplices à quelqu’un sans pour autant lui arracher sa foi - comme c’est le cas de la petite Adélaïde, dernière victime de la troisième partie des Cent vingt journées :

 

« Ce même soir, Zéphire est livré pour le cul, et Adélaïde est condamnée à une rude fustigation, après laquelle on la brûlera avec un fer chaud, tout auprès de l’intérieur du vagin, sous les aisselles, et un peu grésillée sous chaque téton. Elle endure tout cela en héroïne et en invoquant Dieu, ce qui irrite davantage ses bourreaux [c’est nous qui soulignons]. »

 

Ainsi, l’on pourra dire avec Annie Le Brun, et contre elle, que si le château de Silling est « le premier, sinon le seul monument athée », il en est aussi le monument répulsif. Paradoxe ultime d’une pensée qui à force de tirer les conséquences maximales de l’athéisme finit par en détourner. Car, si un monde sans Dieu ne peut être que celui de Sodome et de ses supplices, alors, il faut en revenir à Dieu, et s’Il n’existe pas, l’inventer. C’est ce que feront tous les contemporains de Sade en refusant d’aller jusqu’au bout de leur athéisme et en se réfugiant dans un déisme diffus (Voltaire) ou un matérialisme tout aimable (Diderot), en attendant l’Être Suprême de la Révolution. Tant pis, ou plutôt tant mieux pour la superstition si c’est elle qui permet aux hommes d’être au mieux avec la vie – car les hommes, hélas pour Sade, préfèreront toujours l’illusion vitale à la vérité mortifère. Et notre cher Marquis de se retrouver alors dans le rôle du repoussoir nécessaire de l’athéisme. Diable ? Sade serait-il l’auteur le plus secrètement subventionné par le Vatican ?

 


 

LA DÉSIDÉOLOGISATION DU MONDE

 

 

1 - Vitesse et survie

 

Sade va vite. Il se répète, mais à toute allure. C’est le propre des pervers et des rêveurs. La sexualité imaginaire ne connaît aucun obstacle ni moral ni plastique. La sexualité écrite encore moins. Car c’est l’écriture qui permet tous les excès et tous les écarts. On étire les désirs, on disloque les corps, on multiplie les plans et les postures, on excède largement l’endurance des victimes et la performance des fouteurs. Il faudrait être contorsionniste et insensible à la douleur pour aller jusqu’au bout de la physique sadienne. Peu importe puisque le langage dit tout et même plus que tout. Riche en action mais économique en moyen, la phrase sadienne saisit par ses raccourcis et ses surprises. Exemple typique, la passion vingt de la troisième partie des Cent vingt journées, véritable « somme » sadienne :

 

« Pour réussir l’inceste, l’adultère, la sodomie et le sacrilège, il encule sa fille mariée avec une hostie. »

 

… et qui n’est pas sans annoncer l’extase d’Eugénie dans La philosophie dans le boudoir quand elle enconne sa mère :

 

« Venez, belle maman, venez, que je vous serve de mari. Il est un peu plus gros que celui de votre époux, n’est-ce pas ma chère ? N’importe, il entrera… Ah tu cries, ma mère, tu cries quand ta fille te fout !… Et toi, Dolmancé, tu m’encules !… Me voilà donc à la fois incestueuse, adultère, sodomite, et tout cela pour une fille qui n’est dépucelée que d’aujourd’hui ! »

 

Un maximum de sens en un minimum de mot et dont « l’information » finale surprend toujours le lecteur, tel est le style sadien – et qui donne parfois dans une poésie unique. Comme dans la passion trente-quatre de la troisième partie des inépuisables Cent vingt journées :

 

« Il encule un cygne, en lui mettant une hostie dans le cul, et il étrangle lui-même l’animal en déchargeant ».

 

Poésie de l’enculade, direz-vous en vous gaussant. Mais non, poésie du blanc. Vous n’avez pas vu le blanc ? Cygne, hostie, sperme. Mallarmé et son cygne n’auraient pas fait mieux. (7)

 

Alors, ennuyeux Sade ? Il faut s’entendre. Difficile de lâcher Les cent vingt journées ou La nouvelle Justine quand on les a commencées. Au fond, l’engourdissement du lecteur va de pair avec son énervement continuel. Comme le dit plaisamment Justine, « il n’y a qu’aux horreurs auxquelles on ne s’habitue pas ». Chaque souffrance ou jouissance est toujours vécue, même si c’est la centième, comme si c’était la première. On a beau être submergé par la douleur ou l’extase, on n’en reste pas moins étonné – et la phrase sadienne, qui accumule autant qu’elle ressert les statuts et les traitements, témoigne de cet étonnement perpétuel. C’est d’ailleurs là le trait de ressemblance entre Justine et Juliette. Et l’une et l’autre ne semblent jamais blasées de leurs aventures. Et c’est cette « fraîcheur » qui les rend sans doute infiniment plus résistantes que leurs compagnons de fortune ou d’infortune, ces derniers finissant par périr. À la fin de Juliette, Il ne faudra rien moins qu’un éclat de foudre pour se débarrasser de Justine qui sans cela aurait pu survivre encore longtemps dans l’univers sadien. La vertu de Justine est autant morale que physique et si son infortune consiste à subir toutes les horreurs, sa fortune consiste à durer. Elle supporte tous les sévices possibles mais avec un courage et une indignation qui finissent par forcer le respect des libertins. D’où les tentatives (ratées) de ces derniers de la corrompre, voire de l’intégrer dans le camp du « vice ». Car, comme sa sœur, Justine a en elle une énergie extraordinaire qui pourrait, si elle daignait passer de la vertu au vice, servir admirablement les desseins des scélérats. Hélas ! Justine reste honnête jusqu’au bout, et de fait apparaît comme une insulte suprême à l’ordre maléfique des choses. Seul un éclair tombé du ciel pourra la vaincre. Ce « coup de foudre » n’en est pas moins problématique dans la mesure où il relève d’une intervention irrationnelle, d’un « ouvrage du ciel », certes extrêmement malveillant, mais qui est en contradiction totale avec toute la philosophie matérialiste exposée dans les centaines de pages qui précédent. Comme si Sade avait eu besoin de recourir au mythe pour se débarrasser du seul personnage qui pouvait intellectuellement l’emporter sur ses chers libertins. Comme si le libertinage ne lui suffisait plus pour outrager les valeurs et les sentiments des hommes et que le satanisme le tentait. Comme si le mal permis et encouragé par la nature était finalement en deçà du mal fermenté dans l’imagination. Saint-Fond et sa douleur perpétuelle infligée à un patient pour l’éternité n’aurait-il pas eu le dernier mot de Juliette ?

 

Quoi qu'il en soit, c’est cet incessant conflit entre les excès de la raison et de l’imagination, mêlés aux énergies du vice et de la vertu qui empêche le texte de sombrer dans son soi-disant ennui. Car c’est l’intellect du lecteur que Sade cherche à fatiguer, non son imaginaire. « Le temps sadien est très exactement le temps de la propagation de l’image » (8) note Annie Le Brun. L’image qui pulvérise la réflexion. L’excitation sexuelle forcée qui annihile le sens critique. L’essentiel est que « ça » circule sans s’arrêter – d’où l’idée chère à Sade de la perpétuation des maux et qu’il conçoit comme une sorte de clinamen des désastres. C’est Clairwil, l’éducatrice de Juliette et l’héroïne dont nous avons toutes et tous été amoureux un jour, qui rêve d’un crime qui lui survivrait. « Je voudrais, dit Clairwil, trouver un crime dont l’effet perpétuel agit, même quand je n’agirais plus, en sorte qu’il n’y eut pas un seul instant de ma vie, où, même en dormant, je ne fus cause d’un désordre quelconque et que ce désordre pût s’étendre au point qu’il entraînât une corruption générale ou un dérangement si formel qu’au-delà même de ma vie l’effet s’en prolongeât encore. » C’est Saint-Fond et ses plans pour dépeupler la France. Ce sont les quatre libertins du château de Silling qui, parfois fatigués de torturer, obligent leurs victimes à se torturer entre elles – comme dans la passion cent quarante-six de la troisième partie des Cent vingt journées :

 

« Il attache la fille et la mère ; pour que l’une des deux vive et fasse vivre l’autre, il faut qu’elle se coupe la main. Il s’amuse à voir le débat, et laquelle des deux se sacrifiera pour l’autre. »

 

« Débat » abominable et drolatique s’il en est où la pensée devient une question de vie ou de mort. Chez Sade, c’est toujours à la plus innommable des réalités que l’on « accule », pour ne pas dire plus, la pensée. À chaque mot sa mort. À chaque pensée son supplice. Et à chaque mort et à chaque supplice la jouissance de celui qui les a mis en œuvre. En définitive, et comme le dit Annie Le Brun, « Sade met à nu le fonctionnement réel de la pensée : ne suffit-il pas que notre désir se manifeste pour que nous ayons tendance à déserter le déroulement continu de la représentation sociale et à faire du théâtre de notre discontinuité mentale le lieu même de l’objectivation de ce désir. » (9) Anti-social, amoral, capable d’abolir le genre humain pour son seul contentement, le désir, d’où toute pensée est issue, est aussi ce qui permet d’exister. Je désire donc je suis, aurait pu dire Sade.   

 

C’est que le nerf sexuel ne lâche pas facilement prise surtout quand il s’agit, dans le cas de notre auteur, d’une raison de survie. Écrire, et écrire « cela », fut la seule façon que cet homme enfermé quasi toute sa vie en prison trouva pour ne pas périr. Contrairement à ce que pense tout le monde, l’écriture de Sade n’est pas une preuve de sa folie mais bien une résistance à la folie dont le menaçaient tous les « autres » – purs, innocents, normatifs, bourreaux, bonnes âmes, belle-mère. C’est pourquoi nous rendons grâce à Annie Le Brun d’avoir osé écrire que son œuvre est l’ « une des plus formidables luttes pour la santé qui ait jamais été menée ». (10) C’est cette lutte contre la mort et la folie, contre la souffrance, qui, au bout du compte, retient notre attention, sinon notre souffle, et fait que Sade ne peut être ennuyeux. « Il faut avoir vécu pour proprement ressentir le besoin du christianisme » écrivait Kierkegaard dans son Journal. De même, il faut avoir vécu et souffert pour ressentir la profondeur de l’œuvre sadienne. Quiconque trouve Sade odieux ou ennuyeux se rend justice à lui-même.

 

2 - Le corps dans le langage (Sade et Artaud)

 

« Profondeur » n’est cependant pas le mot qui convient à Sade. Pas plus que « surface ». Ou alors il faut les employer autrement. La surface, c’est les idées. La profondeur, c’est les corps. Faire remonter les corps à la surface des idées – voilà qui est déjà plus juste et plus sadien.

 

« Sade a une botte secrète pour saisir le vague de l’abstraction, écrit Annie Le Brun, c’est la feinte de la littéralité qui n’est que l’intempestif retour du corps dans le langage. » (11) Le retour du corps dans le langage, littéralement, ça veut dire le sang ou la merde qui remonte dans la bouche. Ça veut dire que ce que nous croyons n’être que des paroles va faire pousser des hurlements de douleur à autrui. Ça veut dire qu’il y a des cadavres au bout de notre petite causerie morale et politique. Contrairement à ce que pensait Roland Barthes « sur la société qui ne voit jamais l’œuvre de Sade que sous le rapport au référent ou au réalisme alors qu’il ne faudrait la lire que sous l’angle de l’inconcevable » (12), tout n’est pas que blabla dans la parole, tout n’est pas que discours dans le discours  bien au contraire, chez Sade, c’est la réalité matérielle du discours qui est affirmée contre sa misérable idéalité. Que telle ou telle philosophies, apparemment dignes, ne soit concrètement qu’une machine à tuer, c’est ce que veut nous faire comprendre le Marquis, et c’est donc bien mal le lire que ne pas le lire aussi à la lettre.

 

Au fond, Sade raisonne comme Clemenceau qui exhortait les partisans de la peine de mort à aller renifler le cou sanglant et fumant du guillotiné avant de revenir défendre la nécessité de celle-ci. Et comme Clemenceau, Sade était contre la peine de mort, ce qui risque d’inquiéter sérieusement ceux qui sont pour et qui pensent que Sade est un monstre. S’il l’est, c’est parce qu’il rend inactualisable tout raisonnement et caduque tout idéal. Contraindre les idées à la littéralité, c’est révéler leur cruauté foncière et les rendre impossibles à appliquer sinon en admettant que l’on s’est fait sadique. Aucune politique, aucune morale, aucune religion qui n’aient eu leurs chevalets et leurs gibets. Pire, aucun geste de la vie qui n’ait de près ou de loin sa dimension barbare. Le respect pour nos parents qui est une perte de temps et d’argent (et pour des gens qui se sont contentés de « foutre » pour nous avoir), l’éducation de nos enfants dont il faut réprimer, donc mettre à mal, la nature en eux, l’altérité générale imposée par la société et qui est une insulte à notre égoïsme. Il n’y a pas une tendresse qui ne contienne en elle une torture, une caresse qui ne fasse saigner, un clin d’œil qui ne fasse pleurer.

 

L’anti-sadien, viril et plein de bon sens, pourra dire que Sade est trop sensible à la matérialité des choses et que c’est là que réside sa vraie folie. Comme plus tard Antonin Artaud, il a une perception pathologique de la surface. Aucune différence pour eux entre l’oral et l’anal. Ce qui se passe dans la bouche est toujours sanglant ou excrémentiel. Parler c’est tuer comme manger c’est chier. « L’anus est toujours terreur, et je n’admets pas qu’on perde un excrément sans se déchirer d’y perdre aussi son âme » écrit Artaud dans une lettre de Rodez. Comme le commente Gilles Deleuze dans « Du schizophrène et de la petite fille », le plus beau chapitre de Logique du sens, la souffrance d’Artaud, et qui en un sens est la souffrance de Sade, réside dans l’abolition des frontières entre surface et profondeur. Il n’y a plus de différence entre les mots et les choses, entre les signifiants et les signifiés, entre l’intérieur et l’extérieur - il n’y a plus surtout de surface des corps. « Tout est corps et corporel. Tout est mélange de corps et dans le corps, emboîtement, pénétration. Tout est de la physique, comme dit Artaud [dans La tour de feu: "Nous avons dans le dos des vertèbres pleines, transpercées par le clou de la douleur et qui, par la marche, l’effort des poids à soulever, la résistance au laisser-aller, font en s’emboîtant l’une sur l’autre des boîtes." Un arbre, une colonne, une fleur, une canne poussent à travers le corps ; toujours d’autres corps pénètrent dans notre corps et coexistent avec ses parties. Tout est directement boîte, nourriture en boîte et excrément. » (13) Dès lors, le sens n’est plus une déduction intellectuelle qui exprime un effet incorporel distinct des actions et des passions du corps, mais bien un effet corporel qui ne renvoie qu’à la peau, à la chair et aux nerfs. L’immanence du corps a évacué la transcendance de l’esprit. Le mot cesse de signifier ou de nommer quelque chose mais se confond avec un état sonore insupportable (le cri). L’unique signification de toutes choses n’est plus que fécale ou sanglante, c’est-à-dire corporelle. Comme l’écrit Artaud lui-même : « Toute écriture est de la COCHONNERIE », c’est-à-dire, commente Deleuze, tout mot arrêté, tracé se décompose en morceaux bruyants, alimentaires et excrémentiels. » (14) À la fin, le non-sens triomphe du sens, l’écrit se fait borborygme, et la folie investit tout l’être. Grâce au ciel, s’il est permis d’user de ce genre d’expression concernant notre beau Marquis, Sade ne sombrera pas dans ces extrémités. « Cochonne » autant que salubre, son œuvre lui aura épargné la déraison et bien au contraire nous aura rendu ce que Nietzsche appelait « la grande raison du corps ». C’est le corps qui nous sauve de la véritable aliénation mentale qu’est l’abstraction, c’est le corps qui matérialise, et ce faisant, sacralise notre être-au-monde, c’est le corps enfin qui nous permet d’accéder à la vérité et qui nous prévient de tous les mensonges – c’est-à-dire de toutes les idées qui se passent de corps.

 

3 - Les idées sans corps (Robespierre et Sade)

 

« Écrire, c’est bondir hors du rang des meurtriers » disait Kafka. Mais ce sont les écrivains plus que les meurtriers que la société craint le plus – sans doute parce que les écrivains sont socialement inutiles, sinon nuisibles à la cité, alors qu’il y a des meurtriers forts nécessaires au bon fonctionnement de celle-ci et que l’on appelle rois, présidents, ministres, juges, clercs, et par-dessus tout idéologues. Quelle est la différence entre un écrivain et un idéologue ? Le premier met du corps dans la pensée, le second évacue tout corps de la pensée. Le premier nous enlève les quelques idées, parfois généreuses, souvent idiotes, toujours criminelles, que nous avions sur le monde, le second nous en remplit tellement la tête qu’on en oublie notre corps et l’effet qu’elles pourraient avoir dessus si on les actualisait. Le premier écrit Les cent vingt journées de Sodome qui nous dégoûte à vie de faire quoi que ce soit qui provient d’une idéologie, le second écrit Que faire ? ou Le petit livre rouge qui nous incitent à faire plein de bonnes choses idéologiques et à réprimer très concrètement tous les méchants qui nous empêcheront de les faire. Le premier tue dans ses livres, le second fait des livres qui tuent. Parfois, le premier se confond avec le second. Il s’appelle Jean-Jacques Rousseau ou Bertolt Brecht et bondit hors du rang des écrivains pour rejoindre celui des meurtriers. Et Annie Le Brun de s’indigner que certains, comme le marxiste Marcel Hénaff, aient pu osé mettre Sade et Brecht du même côté de la barricade. « Jusqu’à quand essaiera-t-on de nous cacher que Brecht est du côté des tueurs avec son langage idéologique qui tue les idées, comme les mots, et les mots comme les hommes ? »  (15) a-t-elle le courage d’ écrire. On ne peut imaginer en effet opposition morale et littéraire plus radicale qu’entre l’auteur de Mère Courage et celui de Justine. Là où le premier ne montre que des corps qui seront « sauvés » par des idées, le second montre en quoi ce sont les idées qui vont précipiter la perte des corps. Si Sade est « immoral », c’est parce qu’il n’est pas dupe de la moralisation des choses qui n’est jamais rien d’autre que leur dématérialisation systématique. Lui rematérialise tout ce qu’il touche et de fait rend tout idéal irrécupérable. Que l’on plaide pour le christianisme, le judaïsme, l’islam, le bouddhisme, l’agnosticisme, l’athéisme, le marxisme, le capitalisme, l’individualisme, l’anarchisme, le socialisme, le royalisme, le cléricalisme, l’anticléricalisme, Sade reniflera toujours la barbarie qui se cache en partie ou intégralement dans n’importe lequel de ces systèmes.

 

« Ce que Sade met ici en scène, affirme Annie Le Brun, c’est l’intolérable duperie des idées sans corps, l’intolérable duperie de tous les systèmes qui nient la matérialité humaine. De sorte que les aventures de Justine pourraient être aussi être lues comme l’histoire d’une formidable revanche du corps, s’inscrivant sur la vie de Justine à son corps défendant. » (16) Justine, martyr de l’Histoire et Juliette, incarnation de l’Histoire, mais toutes deux témoins à charge de l’Histoire. Si Sade est l’auteur le plus infréquentable de la littérature, ce n’est pas parce qu’il s’est complu à écrire les horreurs de son imagination perverse, c’est parce qu’il a confondu ces horreurs avec la réalité de l’Histoire, c’est parce qu’il a fait de l’Histoire la perversion suprême. Et à son époque, ceux qui font l’Histoire, les plus pervers donc, ce sont les révolutionnaires. Rien de plus atrocement abstrait en effet qu’un idéal révolutionnaire – du moins pour le révolutionnaire, car pour celui qui est « révolutionné », c’est une tout autre affaire. Qu’importe ! L’ « esprit » de la révolution doit l’emporter gaiement sur sa lettre, c’est-à-dire sur sa réalité physique. L’idée suprême, c’est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l’idée effective, c’est la guillotine pour tous ceux qui ne sont pas « dignes » d’humanité et de citoyenneté – soit tous ceux qui doutent peu ou prou des nouveaux principes. Nulle mieux que la révolution n’incarne cette cruauté du bien. Et nul mieux que Sade n’a exprimé le dégoût que lui inspirait celle-ci, que cela soit dans ses livres ou dans sa correspondance. Ainsi, dans une lettre adressée à Gaudifry du 19 novembre 1794, décrit-il les quatre prisons qu’il a connu en dix mois. Et de préciser :

 

« La quatrième enfin était un paradis terrestre ; belle maison, superbe jardin, société choisie, d’aimables femmes, lorsque, tout à coup, la place des exécutions s’est mise positivement sous nos fenêtres et le cimetière des guillotinés dans le beau milieu de notre jardin. Nous en avons, mon cher ami, enterré dix-huit cents, en trente-cinq jours, dont un tiers de notre malheureuse maison. Enfin, mon nom venait d’être mis sur la liste et j’y passais le 11, lorsque le glaive de la justice c’est appesanti la veille sur le nouveau Sylla de la France. »

 

… et dans une autre lettre du 21 janvier 1795 toujours à Gaudifry :

 

« Avec tout cela, je ne me porte pas bien, ma détention nationale, la guillotine sous mes yeux, m’a fait cent fois plus de mal que ne m’en avaient jamais fait toutes les bastilles imaginables. »

 

La guillotine rend malade l’homme qui concevait le supplice insoutenable d’Augustine. C’est qu’Augustine incarnait la réalité insoutenable à laquelle aboutissent tous les systèmes qui exaltent les idées sans corps et qui de fait massacrent les corps. Augustine, comme Justine, Juliette, ou Clairwil, qu’importe finalement que l’on soit patiente ou bourrelle, et pour ne s’en tenir qu’aux femmes, constituent autant de corps qui emplissent de force le champ abstrait des idées. Ainsi, contre Robespierre, qui, comme l’écrit Annie Le Brun « faute de savoir que les idées ont un corps, fabrique une machine de désincarnation sociale, au sommet de laquelle se trouve la guillotine, là où il croit que règne l’Être suprême ». (17) Sade répond par sa propre machine d’incarnation au sommet de laquelle la seule matière vivante règne. Car c’est bien de la vie contre la mort dont il est question dans cette guerre des corps contre les idées. Mettons des corps dans vos abstractions et comptons après le nombre de morts, semble dire Sade à tous les révolutionnaires du monde.  

 

La pensée de Sade en deux mots ? La désidéologisation du monde. Et le réinvestissement des idées par les corps. L’érotique sert à ça – faire remonter le corps dans la pensée, ne pas laisser un gramme de chair hors de la pensée. Et faire tomber les abstractions. C’est cela le célèbre « effort » que demande Sade aux Français s’ils veulent être républicains – mettre un peu de corps dans les principes afin que les principes ne bousillent pas trop les corps. Contrarier les incorporels de la pensée. Tout comme la philosophie ne pardonna jamais à Marx de l’avoir réduit à une simple idéologie, l’idéologie ne pardonnera jamais à Sade de l’avoir réduit à une érotologie sacrificielle. Où sang, foutre et merde giclent à la surface du monde des idées. La chair meurtrie, les os fracassés, les yeux arrachés, le visage brûlé au fer rouge, les parties génitales tenaillées et le rire infernal des libertins auront finalement fait moins mal aux victimes qu’aux idéologues. Et c’est la raison pour laquelle il y a une véritable joie sadienne. Au fond, tout cela n’a-t-il pas été un immense simulacre destiné à confondre les surfaces ? Justine et Juliette n’ont-elles pas jouées chacune à sa manière un rôle d’historienne ? Et est-il interdit de penser qu’elles se sont appréciées voire aimées l’affaire d’un instant ? Et dans Les cent vingt journées, se laissera-t-on aller à croire qu’à la fin les victimes se relèvent toutes et saluent le public avec les libertins avant de s’applaudir les uns les autres ? Lorsqu’on sait que Sade a adoré le théâtre, qu’il a mis en scène et joué ses propres pièces à Charenton avec les autres « malades », que sa littérature est à bien des égards théâtrale (et pas seulement dans La philosophie dans le boudoir), alors, oui, on peut penser que tout cela fut la plus saisissante et la plus féroce des illusions comiques.

 


 

LA MACHINE DU DÉSIR

 

 

1 - Excès

 

Sade donne du bonheur. Sade donne deux bonheurs. Celui d’avoir tout dit et celui d’avoir dit plus que tout. Nul mieux que lui n’a à la fois rendu compte de la réalité originaire et exprimé les transports de l’imagination. Obscène dans le sens et dans l’excès de sens, son œuvre a la vertu de poser les choses telles qu’elles sont et le vice de les déborder. C’est ce que nous demandons à la littérature : du réel et du délire. Avec Sade, nous sommes comblés. Grâce à lui, l’existence devient plus supportable – non qu’on se mette à assassiner à tour de bras pour imiter ses héros, mais par ses héros, nous ne nous ferons plus jamais d’illusion sur la nature des idées, nous n’oublierons plus jamais les corps et nous saurons jusqu’où peut aller l’imagination des hommes.

 

Et puis il y a la fête. La négation de l’ordre social et moral qu’est la fête. L’inversion des valeurs, la saturnale des sexes, le carnaval des excès. Tout est bon quand c’est excessif ? Bien sûr que oui, bien sûr que non. Objectivement, cette proposition n’a aucun sens, mais subjectivement, elle les a tous. Personne ne la prend au sérieux, mais chacun la pense avec plaisir. Tant pis pour ceux qui ne suivent pas ! Il faut lire Sade littéralement et dans tous les sens comme on l’a dit. Il faut voir en lui celui qui dévoile la Cause première et celui qui s’y complaît, celui qui libère l’humanité de ses illusions et celui qui l’enferme dans ses perversions, celui qui dénonce l’idéologie du monde et celui qui rend le monde impossible, celui qui limite les plaisirs à la nature et celui qui les excède par l’imagination, celui qui au final n’arrête pas de contredire l’homme et aurait pu écrire à la place de Pascal :

 

« S’il se vante, je l’abaisse

S’il s’abaisse, je le vante

Et le contredis toujours

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible. »(18)

 

C’est ce que des commentateurs aussi « vénérables » que Blanchot, Bataille ou Barthes n’ont précisément pas compris en enfermant Sade soit dans le discours absolu (Barthes) soit dans la négation totale (les deux autres), celle-ci hésitant entre l’ennui (Bataille) et le néant (Blanchot). Or, c’est aller à l’opposé de la démarche sadienne que de réduire son langage au néant sous prétexte qu’il le dévoile. C’est se tromper du tout au tout sur l’écriture sadienne, et la neutraliser honteusement, que de croire qu’une fois la négation posée, ce qui a été nié ne reviendra plus dans le discou

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5 commentaires

Quel plaidoyer! Quelle foutaise! Et quelle horreur!
"Sade donne du bonheur". ah bon? mais à qui donc plaît-il donc tant, réellement, si on excepte les snobs spécialistes de la posture en société, et qui ne l'ont jamais réellement lu?
A quelques tarés congénitaux (dans les deux sens du terme) qui se délectent de l'accumulation de monstruosités,et  chez qui le récit d'une éviscération d'enfant provoque une immonde érection? Ils ne doivent pas être bien nombreux, quand même ....

Ne donnerait-t-il pas plutôt du bonheur uniquement à certains intellectuels patentés qui prennent  ses fumeuses considérations post et pré coîtales pour de la Haute Philosophie, glosent savamment sur la barbarie réduite à l'état d'objet conceptuel ,  et convoquent à cette fin rien moins que  Pascal, Nietzche, Marx, Rousseau, Deleuze, etc..,?  Ces intellectuels sont habituellement, en France, épris  de rebellitude, et sont fascinés par les déviants et les assassins. Pire, crédules et ne connaissant rien à la vie en banlieue, ils  prennent  toute transgression de la morale,  de l'ordre et de la religion , fusse-t-elle immonde conne elle l'était chez  Sade, pour  un acte révolutionnaire et libérateur. On a les héros qu'on mérite.
 En ce sens, voir comme ici, les élucubrations érotiques du marquis passer pour un acte précurseur de l'écologie politique ne manque pas de sel.  Il y en a au moins un qui va apprécier cet antique et priapique précurseur, c'est notre ami Cohn-Bendit...

Décidément Proutch, votre avatar de singe vous va comme un gant, vous êtes un empêcheur de jouir en paix ! Un triste sire... Que ne savez vous lire et ressentir ? Oui Sade apporte du bonheur car il invite à essayer. Il ose. Oui, n'avez-vous jamais franchi le Rubicon lors de vos séances de coït ? Moi si, plusieurs fois, et j'avoue que tout est bon quand on le fait avec envie. Aucun tabou, aucun interdit ! Jouir, et rien d'autre !

Franchir le Rubicon oui, mille fois oui, mais certes pas jusqu’à l’éviscération….

Bonjour, 


Je fais des travaux sur Sade et j'ai besoin de références sur les personnages religieux et les espaces sacrés dans son oeuvre. Je ne trouve pas facilement une bibliographie adéquate. Pouvez-vous m'aider svp ? 

Merci !

JL Michel

Bonsoir , j'ai un travaille a faire sur Juliette et les prospérités du vices je dois dire dans quel contexte cela a été écrit et dans quel but ? AIDEZ MOI SVP