Pierre Guyotat : la matière de nos œuvres, la littérature & l’art

« Tout ceci n’est que littérature », « cela demeure de la littérature », qui n’a jamais entendu, employé cette expression qui, au-delà de la trivialité qu’elle pourrait laisser suggérer, en dit aussi long sur l’espèce, car, finalement, n’est-ce pas encore une fois un carcan qui enferme quand l’artiste est, au contraire, en quête de liberté ? La littérature prise (trop) au sérieux en devient pénible, lourde, chiante, pour le dire crument et en arrive à nuire à ses propres intérêts. Si bien que les amoureux des Lettres se trouvent parfois dépités par tel opus si bien vantés par les aboyeurs de bonnes nouvelles chéris par les penseurs communs.

Qui a pris sur lui de lire Ulysse de Joyce, en entier ? Qui connaît Mark Z. Danielewski qui nous a offert pourtant deux chefs-d’œuvre (La Maison des feuilles & Ô Révolutions) ? Qui lit encore Pierre Guyotat ? Certains font certainement les malins lors des fameux dîners en ville, mais qui le lit encore ?

 

À leur décharge, on peut le classer d’écrivain difficile, de fou furieux, d’érotomane et que sais-je encore pour détourner l’envie, tuer le désir dans l’œuf ; alors que c’est toujours dans la difficulté que se tapissent les plus belles joies. Donc, s’il vous plaît, lisez Pierre Guyotat. Lisez un homme qui écrit de l’art, qui ne fait pas qu’écrire, qui ne fait plus qu’écrire.

Soit, en 1960 avec La Prison, il faisait de la littérature mais depuis il a creusé, laissant la littérature à la surface, cette langue qui permet à certains de s’élever dans la société.

Or l’art, est tout autre : c’est un travail en profondeur…



Pierre Guyotat intervient, avec force et souplesse, dans le réel, il donne le rythme, dépasse les limites des formes, et se trouve donc totalement à contre-sens aujourd’hui où l’idée de progression est complètement abandonnée… car il faut un art pour tous ! Quand c’est le contraire qui se produit : à l’instant où il se concrétise, l’art est forcément minoritaire, puisqu’il transgresse, il décale, il provoque. Les politiques culturelles actuelles font de « l’art de masse », donc obligatoirement mauvais.

D’où cette idée de faire interagir des artistes avec les manuscrits de Guyotat et de tenter de confronter les réalisations plastiques effectuées par eux, sous cette influence, montrer qu'il y a autre chose à faire... Miquel Barcelo, Christoph von Weyhe, Paul McCarthy et Jean-Luc Moulène se sont prêtés au jeu… Des rencontres explosives, voire décisives qui ont nourri la créativité de ces concepteurs de rêves.

 

Pierre Guyotat fut-il moderne, avant-gardiste ? Il n’en sait rien lui-même, mais avoue se reconnaître dans la droite ligne de la brèche ouverte par Baudelaire. Il a crée une œuvre, un langage unique, un devenir du texte qu’il a nommé « la matière écrite » – qui n’a rien à voir avec une pratique sexuelle, n’en déplaise à certains chroniqueurs en mal de sensationnel – car c’est plutôt une sorte de sécrétion verbale, une matière nouvelle. Ce sont des mots, une voix essentiellement, cela vient de l’intellect et sort par la gorge, c’est donc assez proche de la matière, mais une matière écrite, « une matière d’écriture » précise Guyotat dans un entretien avec Donatien Grau.

 

Complété d’entretiens avec tous les participants, d’essais critiques accompagnant leur présentation, ainsi que d’une conversation avec Pierre Guyotat, ce catalogue (de l’exposition qui s’est tenue à la galerie Alaïa à Paris jusqu’au 12 juin 2016) donne à voir cet étrange rapport intime que l’auteur entretient avec les artistes, et le caractère éminemment visuel de l’art.

 

 

François Xavier

 

Donatien Grau (sous la direction de), Pierre Guyotat – La matière de nos œuvres, 60 illustrations quadri, 170x240, Actes Sud/Association Azzedine Alaïa, avril 2016, 196 p. – 30,00 €

Aucun commentaire pour ce contenu.