Polémique - Les écrivains sont-ils des plagiaires ?

La question méritait d’être posée ! Elle excite l’imagination de ceux qui en manquent, inquiète les vertueux qui ne se doutent pas qu’ils sont aussi naïfs que mal renseignés sur l’histoire des Lettres. La question dérange, inquiète les éditeurs, fascine les avocats, embarrasse les auteurs, passionne les amateurs de scandales. On la croit plus actuelle que jamais, elle est vieille comme la littérature.

 

Martial le premier l’emploie dans le sens que nous lui accordons, Molière, dans Les Femmes Savantes, résume l’affaire en écrivant : « Allez, fripiers d’écrits, impudent plagiaire », imprudent aussi et qui risque gros pour avoir eu soit le front soit l’insouciance d’omettre des guillemets… Tout est là, dans l’élégance de citer sa source, de se référer avec humilité à tel auteur sans oublier de le citer, comme pour le remercier. Faute de quoi, les écrivains étant ce qu’ils sont, dotés d’un ego pyramidal, d’un amour-propre hypertrophié, ils ne pardonnent guère cette blessure d’amour-propre à celui qui les pille sans les remercier. S’attribuer ce dont on ne peut s’accorder la paternité, la chose est malhonnête, indélicate, grossière et mérite d’être condamnée, criée sur la place publique.

 

Soyons donc probes et honnêtes : dans un article fort savant du Dictionnaire de la conversation et de la lecture (volume 44, quelle patience !), Du Rozoir brosse un état des lieux de cette tentation et cite notamment Montesquieu : « Plagiat ! avec très peu d’esprit on peut faire cette objection-là : il n’y a plus d’originaux, grâce aux petits génies. Il n’y a point de poète qui n’ait tiré sa philosophie des anciens ? Que deviendraient les commentateurs sans ce privilège ? Ils ne pourraient pas dire : Horace a dit ceci… Ce passage se rapporte à tel autre de Théocrite où il est dit… » Merci de préciser. Certes, les Romains ont été les plagiaires des Grecs et toute la littérature moderne n’est, en un sens, qu’un plagiat de l’ancienne et Du Rozoir d’arguer : « Combien resterait-il de vers de Virgile si on lui ôtait tous ceux qu’il a imités d’Homère ? à Boileau si on retranchait de ses œuvres tous ceux qu’il a traduits d’Horace, de Perse ou de Juvénal ? » Mais aussitôt les écrivains s’en mêlent et contre-attaquent en règle, ainsi Scudéry qui affirme dans la préface d’Alaric que « ce qui est étude chez les anciens est volerie chez les modernes », et Voltaire de préciser une nuance d’importance entre le « vol d’idée » et le simple copiage, nuance qui ne sera éclaircie que tardivement dans nos codes : « On nous donne peu de pensées que l’on ne trouve dans Sénèque, dans Lucien, dans Montaigne, dans Bacon, dans Le Spectateur Anglais » (Conseils à un journaliste) et en ce sens, la quasi-totalité des idées serait « empruntée ». Porphyre, cité par Eusèbe, nous apprend que l’on trouvait dans les ouvrages de l’historien Éphore jusqu’à trois mille lignes de suite copiées mot pour mot et ce dont on accuse, à raison, nombre de nos contemporains était par exemple monnaie courante chez Plutarque qui n’hésite pas à emprunter de-ci de-là sans jamais citer ses auteurs. Aristophane le grammairien fit même un recueil des « emprunts » que Ménandre avait simplement pillés ! Philostrate d’Alexandrie accusa des mêmes maux Sophocle, preuves à l’appui ; Horace dénonça les plagiats de Celsus avec un esprit redoutable de causticité. Un des plus célèbres plagiats de l’Antiquité est l’auto attribution par le poète Bathylle d’un distique composé par Virgile qui se vengea en composant son fameux Sic vos non nobis.



« Une chose est donc de citer, une autre d’emprunter sans donner sa source, une autre encore de le faire sans mesure au point de devoir affronter un tribunal. Il arrive un moment où trop d’emprunts font un vol ! »

 


L’Académie française accusa Furetière d’avoir soustrait des articles « discutés en commun » pour enrichir frauduleusement son Dictionnaire, publié de son côté et, bien qu’il fût lavé de tout soupçon, il n’en fut pas moins expulsé du quai Conti, pour avoir démérité de ses pairs ! En guise de revanche, il publia quelques commentaires des plus piquants : « On n’a jamais vu de procès pour des revendications de mots et de proverbes. S’il y a eu des plaintes faites contre des auteurs plagiaires, ces différends n’ont été traités que dans les tribunaux fabuleux du Parnasse, où les auteurs n’ont combattu que la plume à la main. Encore n’ont-elles été formées que quand quelqu’un s’est voulu attribuer des secrets, des inventions, des machines, un grand nombre de pensées extraordinaires, des traités entiers ou autres choses de conséquence, qui appartenaient à d’autres, et on n’a pas été à cet excès de ridicule de se plaindre d’un vol de parole qui sont dans la bouche de tout le monde… On ne doit pas accuser un auteur de larcin quand il ne dit que des choses triviales, qui tombent en l’esprit de tous ceux qui ont la plume à la main, ou qui ne peuvent dire en deux façons. » Il est vrai qu’on ne verse aucun droit au premier qui a dit « je t’aime » ! Et tant mieux.

 

Pies voleuses

 

S’emparer du bien d’autrui est le sujet d’un livre de Thomasius, qui établit la liste des plagiaires antiques dans son Plagio litterario ; Duaren, professeur en droit civil à Bourges, au XVIe siècle, donna un Traité des plagiaires, mais devant l’ampleur des dégâts interrompit son travail de peur sans doute qu’aucun ou presque n’y échappe. Léonard Aretin Bruni « attira sur sa mémoire une espèce d’infamie » d’après Bayle pour avoir publié sous son nom une Histoire des Goths dont on découvrit après sa mort qu’il l’avait tout bonnement traduit du grec de Procope.



Frappé d’infamie, l’auteur le plus souvent nie, se cabre vitupère, à moins qu’il ne puisse – surtout quand les efforts employés pour masquer le vol tombent comme un pan de falaise : il suffit par exemple de recopier les mêmes fautes que l’auteur d’origine pour devenir non seulement un ignoble copieur, mais encore un imbécile patenté. « C’est le propre de ceux qui composent au détriment de leur prochain : ils enlèvent les meubles de la maison et les balayures aussi ; ils prennent le grain, la paille, la balle, la poussière en même temps », ironise Bayle. Ceux-là que nous nommerions aujourd’hui des « pies voleuses » étaient qualifiés jadis de « perdrix » en souvenir d’un verset de Jérémie (17, 11) : « Une perdrix couve ce qu’elle n’a pas pondu. Ainsi celui qui se fait des richesses injustes : au milieu de ses jours elles l’abandonnent et en fin de compte il n’est qu’un insensé. » Et pour filer la métaphore, certains agissent plutôt comme des geais qui ne se donnent même pas la peine de couver leur larcin, La Fontaine ne dit rien d’autre : « Il est assez de geais à deux pieds comme lui, / Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui, / Et que l’on nomme plagiaires. »

 

Les hommes de génie ont tous eu la conscience d’être, de près ou de loin, des plagiaires, ne serait-ce qu’au regard de la pensée de Pascal qui estime que « c’est de la même balle dont chacun se sert mais chacun la place mieux ». Question de style en somme, car l’endroit, le moment, la circonstance annulent en quelque sorte la répétition sinon le vol. À condition de jouer finement. « Je trouve des perles dans le fumier d’Ennius », affirmait déjà Virgile et Molière de surenchérir : « Je prends mon bien où je le trouve. » Est-ce assez clair ? Que serait Montaigne sans plagiats ? Lui qui se délectait qu’on retrouve (ou pas) la source de tel essai et qui s’amusait à penser qu’au lieu qu’un fâcheux croie qu’il le gifle, c’est en fait Sénèque ou Lucrèce qu’il soufflette sans le savoir. Certains se sont même amusés à chercher sans fin des sources, des fraudes, ainsi un moine obscur, un certain dom Cajot, publia en 1765 un volume titré Les plagiats de J. J. Rousseau sur l’éducation ; il y établissait la conformité de nombreux passages avec des pages de Sénèque, Montaigne, Crouzas, Locke et bien d’autres et quand bien même ! Rousseau ne vola son style à personne, pas plus que son éloquence ou l’ordre des arguments exposés. Les écrivains se savent condamnés à une éternelle redite, mais libre à eux d’inventer, de recycler, d’adapter, de parfaire.

 

Héritage

 

Si l’Antiquité était donc sourcilleuse à l’endroit des plagiaires comme peuvent l’être jusqu’au délire procédurier nombre d’auteurs contemporains, cette tendance ne fut pas toujours d’actualité. Question d’évolution des cultures. Ainsi, ni le Moyen-âge ni la Renaissance ne s’offusquaient d’emprunter, bien au contraire. Ne pas s’inscrire dans une tradition, dans une filiation, relevait même de la présomption sinon du mépris impertinent. Personne n’aurait eu le front de ne pas se réclamer d’un héritage, ancien ou non. Personne non plus n’accusait Ronsard ou Du Bellay de copier, parfois à l’identique, Pétrarque. Son Olive est fréquemment le calque des sonnets du Canzionere dédié à Laure (et à l’image du laurier, symbole de gloire) ou est directement tiré de l’Arcadia de Sannazaro ; le poète va jusqu’à penser qu’écrire est l’assimilation consciente d’une tradition séculaire, une création « nouvelle ou plustost ancienne renouvelée » ; il n’était alors pas de poésie possible sans érudition, sans mémoire, sans désir de citer pour mieux s’inscrire dans son temps soit en fournissant une variante, une transposition à des thèmes parfois très anciens et empruntés par exemple à Horace, soit en pratiquant un travail d’amplification d’œuvres existantes (de l’Arioste par exemple). Du Bellay le proclame : « D’autant que l’amplification de nostre Langue (qui est ce que je traite) ne se peut faire sans doctrine et sans érudition, je veux bien avertir ceux qui aspirent à ceste gloire, d’immiter les bons aucteurs Grecz et Romains, voyre Italiens, Hespagnols et autres. » Ce long travail d’assimilation et de transposition était constitutif de la volonté d’instituer une nouvelle prise de conscience individuelle et originale du monde et donc d’inventer un langage susceptible de la traduire. Il n’empêche qu’à l’époque, certaines voix s’opposent à cet art de s’attribuer ce qui n’est pas une création propre, ainsi Sebillet reproche à Du Bellay de se vanter « d’avoir trouvé, ce qu’il a mot à mot traduit des autres ».



« Ne pourrait-on se demander si un écrivain digne de ce nom, les autres n’étant rien, n’est pas nécessairement le plagiaire du réel, qu’il s’inspire par coutume autant que par nature de ce que la vie, la sienne et celle des autres, lui apprend ? Il regarde, il copie. »

 


Le statut de l’écrivain et la place qu’il occupe au sein de la société et du pouvoir modifieront au fond assez rapidement celui des œuvres que l’on voudra désespérément originales. Comme si cela était envisageable ! Cela ne se fera pas en un jour puisque La Fontaine par exemple n’hésite pas, lui aussi, à « assimiler », à actualiser Apulée, Ésope, Phèdre ou, plus proche de lui, Pilpey, Haudent et bien d’autres. Molière n’a-t-il pas volé à Cyrano de Bergerac (dans Le Pédant joué, 1654, si ma mémoire est bonne) la célèbre réplique des Fourberies de Scapin : « Que diable allait-il faire dans cette galère » comme des scènes entières du Phormion de Térence (comparer par exemple l’acte IV, scène 3 à l’acte II, scène 5 chez Molière) ?

 

Contrefaçon

 

Hélène Maurel-Indart, auteur d’un livre de référence intitulé Le Plagiat (PUF, 1999), définit admirablement ce qui relève aujourd’hui de ce délit : « Le plagiat, vol de mots, prend en droit le nom de contrefaçon. Renouard, dans son Traité des droits d’auteur dans la littérature, les sciences et les arts (1838), précise que “le plagiat, tout répréhensible qu’il soit, ne tombe pas sous le coup de la loi, il ne motive légalement aucune action judiciaire que s’il devient assez grave pour changer de nom et encourir celui de contrefaçon”. La contrefaçon est donc l’appellation juridique du plagiat, sa version condamnable. À ce titre, elle constitue un délit. L’article 335-3 du Code de la propriété intellectuelle en précise la nature : il s’agit de “toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits d’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi”. Elle est susceptible de donner lieu à des sanctions civiles et pénales. Au contraire, comme le dit R. Plaisant dans Le Droit d’auteur, “le plagiat habile est moralement coupable mais juridiquement irréprochable”. Il est souvent délicat de distinguer entre ces deux notions. Le juge s’y applique pour décider finalement du caractère licite ou non de l’emprunt. Les critères d’appréciation sont de plusieurs ordres. Nous les présentons dans les informations juridiques : le juge distingue entre les emprunts concernant les idées – qui ne sont pas condamnables – et les emprunts – condamnables – concernant la forme sous laquelle sont présentées les idées, à savoir l’expression et la composition. S’agissant de l’expression et de la composition, le juge prend en compte l’importance quantitative de l’emprunt. Cela dit, un emprunt formel, même de faible étendue, peut être jugé illicite, s’il porte sur un élément caractéristique de l’œuvre plagiée. Un élément est dit caractéristique, s’il est marqué par la personnalité de l’auteur et s’il apparaît comme vraiment original. Dans ce cas, il est protégé par la loi. Ce peut être le cas d’une scène de roman, particulièrement inattendue et originale ou d’une formule (un titre d’ouvrage) très caractéristique. Par contre, un emprunt, même important sur le plan quantitatif, peut être autorisé. Dans une biographie, par exemple, un auteur est autorisé à reprendre la même composition chronologique qu’un autre ouvrage sur le même sujet, car elle découle du sujet même, elle est dite “fonctionnelle”, sans originalité aucune. De même, certaines expressions “fonctionnelles” peuvent être librement recopiées d’un ouvrage à l’autre, lorsqu’elles s’imposent par le thème ou le contexte présentés. En revanche, le juge n’est pas dupe d’un recopiage habile, comportant des variantes non significatives et uniquement destinées à masquer le délit. La loi ne protège donc pas seulement l’expression littérale. La transposition directe (sans aucune transformation de l’original) n’est pas la seule à être interdite. L’emprunt indirect peut lui aussi faire l’objet d’une condamnation. Il faut toujours aussi s’interroger sur le caractère intentionnel de l’emprunt, même s’il relève apparemment de la contrefaçon. En ce sens, le juge tient compte des mouvements de mode, des coïncidences, de l’utilisation de sources communes due à l’assimilation par deux auteurs différents d’une culture commune, d’ouvrages fréquentés par une même génération. »

 

Je préfère ne pas être à la place du juge ! Habile homme qui saura en effet distinguer les « mouvements » qui président aux emprunts même indirects, faute de quoi le vol sera avéré. Une chose est donc de citer, une autre d’emprunter sans donner sa source, une autre encore de le faire sans mesure au point de devoir affronter un tribunal. Il arrive un moment où trop d’emprunts font un vol !

 

Judiciarisation

 

Les dernières décennies bruissent encore d’affaires souvent retentissantes parce que médiatisées et d’autant plus que la société se « judiciarise » à grands pas – la sacro-sainte propriété inaliénable gagne la propriété intellectuelle, forme moderne du « bien propre », élément d’une identité qu’on a par ailleurs bien du mal à définir… Ainsi, nous pouvons citer quelques affaires pleines de turbulences dont certaines ne manquent pas de sel et de surprises : Jacques Attali, par exemple, accusé d’avoir plagié, dans son livre Histoires du Temps (Fayard, 1982) Mythe et pensée chez les Grecs de Vernant, Essai sur le temps de Jünger et Pour un autre Moyen Âge de Le Goff ; plus insolite encore, il publie dans Verbatim (Fayard, 1993), des « transpositions » d’entretiens entre Elie Wiesel et François Mitterrand, avant même qu’ils soient publiés par Wiesel ! De son côté, Attali accuse Jean Lacouture de contrefaçon au sujet de sa biographie de Mitterrand… Tahar Ben Jeloun aurait plagié Myrtille Buttner auteur de À la grâce de Dieu (1986), un Goncourt discutable en somme. Idem pour Jean Vautrin et Un grand pas vers le bon Dieu (Grasset, 1989), « inspiré » et peut-être davantage de Cadjins et Créoles en Louisiane de Patrick Griolet (Payot, 1986) ! Je possède un exemplaire de Dieu et la science (Grasset, 1991) co-signé par Jean Guitton et les frères Bogdanov, avec la dédicace suivante : « À Claude-Henry du Bord, ce livre produit sans moi a eu 500 000 lecteurs… » ; et je me souviens de son accablement quand explosa l’affaire qui allait opposer, à son insu, le vieil académicien à l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, auteur de La Mélodie secrète (Fayard) – ouvrage ayant fait l’objet d’une large « copie », après quoi il s’amusa d’avoir été victime d’un mensonge, estimant qu’après tout, il aurait dû faire preuve de plus d’acuité : « Ma vue baisse, ami – on me ferait signer n’importe quoi ! »



Continuons notre instructif survol : Marc Lambron aurait plagié, dans L’œil du silence (Flammarion, 1993), Les Vies de Lee Miller (traduction) d’Antony Penrose (Arléa, 1994) ; Monseigneur Jacques Gaillot, idem pour La dernière tentation du diable (Éditions N°1, 1998) « tiré » du Retour du diable de Paul Ariès (Éd. Golias, 1997) ; Guy des Cars aurait, lui aussi, beaucoup « profité » du livre de Guy Isnard, Les Pirates de la peinture (Flammarion, 1957), pour écrire De toutes les couleurs (chez le même éditeur ! Flammarion, 1967) ; Henri Troyat (par mégarde sans doute…) se serait un peu trop plongé dans Juliette Drouet ou la dépaysée de G. Pouchain et R. Sabourin (Fayard, 1992) pour rédiger « sa » Juliette Drouet (Flammarion, 1997) ; Calixthe Beyala (qui ne plaisante pas avec le sujet, chatouilleuse en diable) aurait, par deux fois, cédé à la tentation de la facilité : pour Le Petit Prince de Belleville (Albin Michel, 1992), « dérivé » ou un peu plus de Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué de Howard Buten (Le Seuil, 1981), à quoi s’ajouteraient des « emprunts » tirés de La Vie devant soi de Romain Gary (Mercure de France, 1975), et pour Assèze l’Africaine (J’ai lu, 1996) étroitement « dérivé » de White Spirit de Paule Constant (Folio, 1992)… Paul Guth (l’inénarrable naïf !) aurait lu et relu, un stylo à la main, un tas de feuilles sous le coude, Ninon de Lenclos de Roger Duchene (Fayard, 1984) avant de publier en 1991 un Moi, Ninon de Lenclos, courtisane chez Albin Michel, comme de rien. Alain Minc, le puissant conseiller que l’on sait, se serait fortement pénétré du Spinoza, le masque de la sagesse de Patrick Rodel (Climats, 1997) pour son Spinoza, un roman juif (Gallimard, 1999), etc. Que de recherches, de recoupements, de procédures pour qu’on finisse par rendre à César ce qui revient à César ! Pas tant des lauriers que le plaisir de se les attribuer, comme sous le coup de circonstances favorables pour le premier à avoir écrit et fort défavorables pour celui qui a été découvert.

 

Collages

 

À ce compte-là, l’œuvre de Borges est tout entière à mettre au pilon, qui s’est nourrie de celle des autres, avec un sens rare de l’emprunt, de la falsification intellectuelle de haut vol, du détournement de preuve à des fins strictement littéraires et esthétiques. Et que dire d’Umberto Eco, sinon qu’il sait, mieux que tout autre, pratiquer l’art subtil du collage des sources – non sans les citer, bien que parfois il faille un solide bagage universitaire pour isoler celles qui n’ont pas été signalées. Il suffit de se reporter au Nom de la rose ou à son dernier roman, Le cimetière de Prague. Doit-on faire procès à Michel Serre pour avoir, dans Rameaux (Le Pommier, 2004), oublié de mettre des guillemets, page 107 : « Nous nous sentons et nous expérimentons comme éternels », copie conforme d’une phrase de Spinoza (Éthique. V. XXIII) – tant il est vrai « que nous ne comprenons que ce que nous incorporons » prévient-il habilement page 71… Il paraît que G. Conchon truffait ses livres d’extraits d’œuvres célèbres, ne serait-ce que pour jauger la culture de ceux qui le lisaient ; un jeu de piste et rien de plus comme celui de Pierre Canavaggio dans La correction, merveilleux éloge de la fessée, truffée de citations sans renvoi ! Il n’y a pas de quoi fouetter une maîtresse infidèle !

 

Ne pourrait-on, pour finir, se demander si un écrivain digne de ce nom, les autres n’étant rien, n’est pas nécessairement le plagiaire du réel, qu’il s’inspire par coutume autant que par nature de ce que la vie, la sienne et celle des autres, lui apprend ? Il regarde, il copie. L’autobiographie ne serait-elle pas le plagiat ultime, la forme la plus aboutie du mensonge organisé ? Radiguet pose La Princesse de Clèves sur sa table et par hommage pour la fascination que l’œuvre lui inspire écrit Le bal du comte d’Orgel : la perfection du style sobre l’emporte sur des considérations annexes qui ne tiendraient compte ni de la mesure sans faille, ni du goût sans ostentation qui président à un chef-d’œuvre. Si l’on écartait l’attraction que certaines œuvres imposent à l’esprit, on ne comprendrait pas pourquoi nombre d’écrivains commencent par s’essayer dans tel style, comme le premier Breton écrit des poèmes très valériens. Comme Proust s’essayait aux pastiches, copiait parfois des fragments de Madame de Sévigné ou de Saint-Simon, sans citer ses sources, comme Joyce revisite Ulysse, transforme Homère, comme aujourd’hui trop de romanciers ou assimilés plagient leur nombril en alignant des poncifs… La théorie littéraire atteste que les emprunts sont le signe de la vivacité des écrivains, au moins ont-ils une mémoire ! Ne leur manque parfois que l’élégance de désigner l’œuvre originale, c’est peu – mais sans cette manière d’hommage, attendez-vous à ce que le juge vous admoneste et vous oblige à compensations pour négligence… Le magistrat cultivé s’en tirerait par une pirouette et citerait Norge : « Si vivre est un jeu, j’en joue. En joue : feu ! » La prochaine fois, n’oubliez pas les règles, ou on vous tapera sur les doigts, copieur, tricheur, filou !

 

Par Claude-Henry du Bord


Illustrations © Miège

2 commentaires

N'est-il pas honteux d'emprunter tant de citations dans le même ordre à Louis-Claude Vincent, sans le citer... C'est l'hôpital qui se fout de la charité. Quel toupet! J'imagine que vous ne diffuserez pas ce message plagieur...

Pourriez-vous être plus précis ? Louis-Claude Vincent, le scientifique ? Où sont les emprunts dans le texte ?