L’éternelle jeunesse de la désillusion : « Léonid doit mourir » de Dmitri Lipskerov

Au premier rang des excellentes nouvelles de l’été, je place la publication, par les Editions du Revif, d’un deuxième roman de Dmitri Lipskerov dont, après le choc que m’avait causé la lecture du Dernier Rêve de la raison voici six ans, j’attendais sans plus trop y croire la traduction d’un deuxième opus. Léonid doit mourir a pleinement confirmé mes attentes et ma certitude qu’avec cet auteur-là, on tient un grand. Un très grand même.


Tout comme dans le Dernier Rêve de la raison, l’intrigue qui pourtant se suit sans mal, est difficile à résumer, tant elle est foisonnante et soumise à une imagination débridée. On alterne entre deux lignes d’intrigue qui se rejoignent in fine : la première correspond à la vie de Léonid, des heures ayant suivi sa conception (on le découvre petit amas de cellules très vite doté d’une intelligence aiguë de l’existence) jusqu’à sa mort annoncée dans le titre. Il naît en 1964, et cette année, outre qu’elle l’apparente à son créateur – Dmitri Lipskerov est né en 1964, lui aussi – le voue à une existence en Union soviétique, entre maison pour handicapés mentaux et orphelinat, dont Léonid se tirera avec moult ressources surnaturelles pour ensuite devenir braqueur de banques, puis homme volant. Parallèlement, on suit les aventures d’Angélina Lébédiéva, tireuse d’élite octogénaire, qui, dans sa quête de rajeunissement, croise la route d’un spécialiste ayant mis au point un sérum d’éternelle jeunesse. Bien entendu, les deux intrigues se connectent de façon insoupçonnée pour un final plein de mélancolie qui invite aussitôt à repenser l’ensemble du roman.


Car il nous désigne ainsi le thème le plus apparent de Léonid doit mourir, à savoir la quête de l’éternelle jeunesse, de l’élixir de jouvence, comme de la poudre aux yeux destinée au bout du compte à détourner le lecteur/l’homme d’une vérité essentielle, à savoir l’absolue finitude d’une réalité qui rogne non seulement les aspirations, mais également le potentiel des individus. Aussi, ce qui ressort du livre, par-delà son apparence débridée, c’est un profond pessimisme, suggéré par un titre qui sape d’entrée de jeu la quête d’immortalité animant certains personnages et les promesses d’inouïes recelées par d’autres. En dépit de leurs aptitudes exceptionnelles, Léonid et Angélina ne sont finalement voués qu’à une existence décevante, le premier ne faisant finalement pas mieux que de braquer des banques tandis que la seconde ne peut que consoler sans fin des hommes marqués du sceau de la mort. La faute à quoi ? Lipskerov se garde bien d’une réponse univoque. Au régime soviétique ? Si des passages satiriques, à l’ironie savoureuse, permettent de le penser, cela semble néanmoins trop réducteur, car l’ambition du roman, qui débute par des pages stupéfiantes sur une vie in utero, est clairement plus vaste, plus existentielle que satirique. La preuve en tout cas, s’il en était besoin, que les « littératures de l’imaginaire » comme on dit, peuvent receler des trésors, et l’on ne saurait trop gré à Dmitri Lipskerov d’avoir fait pousser cette merveille sur le terreau de sa désillusion.


André Donte


Dmitri Lipskerov, Léonid doit mourir, traduit du russe par Raphaëlle Pache, Éditions du Revif, mai 2014, 451 pages, 20 euros

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