Emmanuel Steiner, « la non-envie de rien »

Après la publication d’un recueil bartlebyen paru il y a deux ans dans la collection "Chroniques du çà et là" chez PhB, Emmanuel Steiner poursuit son travail de réévaluation du genre nouvellistique, à travers les proses savamment ciselées de Transhorizon.


On savait déjà Steiner préoccupé par la question : « et si la finalité de tout écrivain ou créateur en général était de viser à la cessation de son activité ? ». Ici, la littérature devient obsessionnelle, et dans toutes ses dimensions. Quand ce n’est l’idée de faire œuvre, c’est celle d’être enfin publié et de se faire reconnaître qui taraude les protagonistes. Ou alors, comme dans l’impitoyable règlement de compte post-mortem Nécrospective, le fait de devoir gérer l’encombrant héritage d’un père qui ne vous a légué qu’un monceau de fardes contenant ses dizaines de manuscrits refusés.


Pourtant, il n’y a rien que de très « normal » dans les tragédies qui se jouent dans cette centaine de pages. La sauvagerie à l’état pur se niche dans l’indécent appétit qui anime deux photographes shootant sous toutes ses coutures un SDF assoupi dans une cabine téléphonique ; dans ce moment, conjugué au mode conditionnel, du stimulus premier qu’est contraint de revivre l’écrivain chaque fois qu’il se trouve face à la page blanche ; dans le rapport de force qui s’installe en présence de la « femme-araignée », quand la proie se met à rêver de son ancienne condition de prédateur.


Ces histoires sophistiquées, formellement dures mais révélatrices de fragilités et de failles, parfaitement sécables bien que hantées par des personnages récurrents, et jointoyées par une prolifération d’intertitres qui en agencent la mosaïque – composent une manière de roman morcelé, qui trouble, surprend, émeut. Car nos vies ne sont que cela : une longue histoire qui s’effrite au gré de nos « non-envies de rien ».


Frédéric SAENEN


Emmanuel Steiner, Transhorizon, PhB Éditions, 90 pp., 8 €

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