La croisade de Stéphane Rose pour la « Défense du poil »

Petite présentation du trublion pour ceux qui ne le connaissent pas : attaché de presse aux éditions La Musardine, directeur de la collection « OSEZ », journaliste, chroniqueur, auteur de tout crin et animateur de la rituelle cérémonie des Gérard, l’auteur de la Défense du poil, Stéphane Rose ne se prive pas d’exister en se jouant des diktats.


On connaît bien l’insolence du bonhomme, son parler d’une brutale poésie, sa façon gouailleuse de caresser à rebrousse-poil. Pourtant Stéphane Rose aime aussi caresser dans le sens du poil. En fait, le follicule pileux, il l’aime dans tous ses états, l’affiche sur ses joues en étendard et lui voue un culte surtout sur l’intimité des femmes, que le poil soit soyeux, broussailleux, frisé, lisse, coiffé en brosse ou à la sauvage, en friche, blond, roux, noir, n’importe comment pourvu qu’il ne se soit pas fait moissonner ou pire, urbaniser en ticket de métro.


Au-delà de sa croisade très personnelle pour que le poil vive et qu’il puisse y fourrager comme un poulain, sachez mesdames que Stéphane Rose travaille aussi pour nous affranchir d’un esclavage subliminal. C’est ce que dit son essai qui ne se contente pas d’affirmer son lourd penchant pour les pelages bien fournis, mais analyse minutieusement les tenants et les aboutissants de cette tyrannie de l’épilation.

 

L’adorateur du poil dit ne pas rechigner pourtant à reluquer ou à se régaler d’un sexe épilé au look bien obscène, mais il se bat surtout contre les normes, le formatage et le fait que les femmes ont été amenées à croire que le désherbage c’est le must pour séduire un homme. Stéphane Rose aimerait trouver chez les femmes la diversité, la singularité, bref tout ce qui fait que celle qu’il tient entre ses bras est bien elle, avec toutes ses particularités et non pas un clone féminin débarrassé de ce qui la distingue des autres. Bref une femme libre d’être elle-même.

 

« Les minettes blondes m'affolent, les mottes rousses m'excitent au-delà du concevable, les moquettes brunes me font bander comme un Turc... »

 

Nous croyons afficher notre liberté et berner la morale en passant la tondeuse sur notre mont de Vénus et en défrichant toutes les lèvres de notre corps, ses plis et ses replis ? Et bien nous nous fourrons le doigt dans l’œil. En fait nous ne faisons qu’obéir, bien soumises non pas à un maître sexuel ce qui après tout attesterait de notre conscient consentement, mais aux injonctions marketing, hygiénistes, sexistes et de pornographie mercantile. Rien de moins, et même que c’est la faute aux Américains, ces puritains maniaco-hygiénistes qui traquent le poil comme le terroriste. L’exportation des mauvaises manies américaines est un fléau.


Le ciné US, après avoir imposé une censure des organes génitaux de la femme (« Sous une étoffe, ni en ombre, ni en sillon. Toute allusion au système pileux, y compris les aisselles, est proscrite. Code Hays 1934/1936 ») interdit désormais le poil, mais cette fois sans cacher le sexe, afin de le montrer uniquement glabre. La pornographie véhicule le fait qu’un sexe de femme est totalement lisse du nombril jusqu’en haut de la raie des fesses, ne se résumant plus qu’à un terrain de jeu semblable à un golf en pays désertique : il n’y a plus que des trous.


Stéphane Rose rappelle que l’épilation des parties intimes était autrefois très prisée dans les jeux érotiques, mais c’était un geste justement très excitant fait par le partenaire dans l’instant, voire une contrainte imposée dans les jeux SM. Gala Fur, Maîtresse parisienne de renom, déplore par exemple que les soumis et les soumises arrivent déjà glabres aux rendez-vous ;  cette pratique perdant alors toute saveur de contrainte temporaire imposée dans une relation spécifique. Le comble serait presque d’imposer la repousse et l’interdiction de toute tonte et du moindre désherbage d’entretien. D’ailleurs, sur les sites pornos, les chattes luxuriantes dites hairy pussies (chattes poilues) ou shaggy pussies (chattes hirsutes) sont carrément une déviance, c’est dire l’énormité du formatage. À tel point, que l’auteur pointe du doigt l’impensable : les jeunes garçons vont finir par ignorer qu’un sexe de fille a des poils, certains n’ont même jamais vu de touffe sur leur petite amie, tout comme les adolescentes croient déjà mordicus qu’il faut s’épiler pour ne pas passer pour une souillon. Parce que le poil est sale, voire totalement dégueulasse. Stéphane Rose en veut pour preuve les exigences des adeptes de l’échangisme, sur leurs sites dédiés la mention « hygiène exigée » inclut l’épilation intégrale.

 

La femme naturelle, avec ses poils et ses règles, fait inconsciemment peur à l’homme. Rose rapporte les propos d’un ado sur un forum : « Faire un cunni à une fille non épilée, c’est comme faire un cunni à une fille durant ses règles. » (Nota bene perso : les hommes s’interrogent-ils alors sur l’effet de leur foisonnant système pileux lors des fellations, des baisers et autres régalades sur leur région perigénitale ?)  Les blogs de fille et tous les témoignages des garçons confortent le fait qu’une fille DOIT s’épiler quasiment intégralement. Les filles avouent que c’est avant tout pour plaire. Bref, l’auteur remarque que pour bander, un homme veut une femme propre avec un corps juste fendu de petite fille docile. Après que la femme a réussi quelque peu à imposer son égalité, l’homme sournoisement tente de juguler la force de sa nature en lui imposant de gommer sa maturité de femme volontaire que représente sa pilosité, en arguant qu’elle est plus bandante, argument imparable.

 

« Et plus j'avance dans ma vie sexuelle et moins j'en vois. Les monts de Vénus se déboisent, laissant place à l'ennui sur le Mont Chauve. »

 

Stéphane Rose interroge tout en finesse sur ce qui pousse réellement une femme à sacrifier sa toison.


Grosso modo le poil c’est la honte et le vulgaire pour une femme. Mis à part les écolos qui prônent le retour à la nature, la publicité tout comme les magazines féminins glorifient l’épilation intégrale. La presse people  se gausse du moindre poil exhibé involontairement. Les revues et les sites féminins le font de façon plus sournoise, elles publient aussi des témoignages de femmes qui ne s’épilent pas, mais pour produire ensuite plusieurs pages sur les techniques d’épilation intégrale, voire définitive. C’est ainsi fait que la femme se sentira obligée de reconsidérer son entrecuisse.


Et à qui profite le crime, hein ? On ne se le demande pas du tout. Un seul chiffre : 1,8 milliard de dollars de chiffre d’affaires pour le marché de l’épilation en 2008, c’est le chiffre que le Wall Street Journal a révélé en 2009. Le commerce est juteux, souligne Stéphane Rose, surtout parce que le buisson repousse inlassablement. C’est le propre de la flore vivant en milieu humide…

 

Enfin La Défense du poil se conclut sur la crainte des dérives de l’hygiénisme qui n’est autre qu’une forme de régulation et un contrôle sociétal. Je recommande donc la lecture de ce petit livre aux femmes comme aux hommes, non pas pour se convertir illico à la luxuriance des touffes, mais pour s’interroger sur ce que l’on croit être le libre arbitre.

 

Anne Bert

 

Stéphane Rose, Défense du poil, éditions La Musardine, octobre 2010, 113 p., 11,10 €

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