"Amour et autres violences" de Marie-Sissi Labrèche, ou l’exploration du sexe et du corps exposés aux tourments de l’âme

Ça balance au Québec ! Ne vous méprenez pas, malgré son titre, Amour et autres violences n’a rien à voir avec quelque érotisme coquin ou torride épicé SM.


Ce recueil de nouvelles déglingue sec. C’est âpre, brutal, excessif et sauvage. L’auteure, dans une langue précise et efficace, parfois carrément belle, met en voix la douleur, les rapports mère-fille, la folie, l’enfance, les hommes, le sexe. Douze nouvelles, douze bombardiers dans lesquels l’auteure embarque le lecteur pour pilonner ceux qui l’ont malmenée ou détruite. Les plaies sont à vif, la chair est triste et douloureuse, la joie chagrine et avortée. S’agit-il encore d’érotisme ? Oui, dans certaines nouvelles, comme « La Montgolfière » qui évoque si justement l’éveil érotique d’une petite fille éprise d’un homme ami de ses parents, écrite un peu à la Marguerite Duras dans L’Homme assis dans le couloir, la description minutieuse du désir naissant, puis de la force de l’envie se joue de la distanciation de la narration, c’est très érotique ; ou encore « L’amante religieuse », d’un érotisme judéo-chrétien classique, la rédemption par le sacrifice de la chair :

« Avec ma langue, j’ai l’impression de laver l’homme de tous ses péchés. Lui, en plus de respirer très fort, émet des cris de chiot qui rêve. Je continue de laver l’homme en le léchant. Je le lèche et le lèche comme si c’était un énorme bonbon que ma bouche goûterait pour la première fois. À côté de lui je coule. »


Ou enfin la plus poétique des nouvelles, « Mon Montréal à moi » qui célèbre la ville et le désir, une ode à Montréal, voyeuse et exhibitionniste de l’intimité de l’auteure :

« Montréal, ma salope, combien de fois as-tu senti mes souliers à talons hauts sur ton dos, alors que je m’étais faite belle pour attraper mon amour du siècle, tu me laissais aller avec mon âme qui dépassait de ma tête comme mon rouge à lèvres et ma langue de ma bouche… Montréal, ma salope vénéneuse, tu n’as jamais essayé de m’empêcher de sombrer dans mes contes des mille et une nuits, de fracasser mes rêves de Cendrillon dans de la cendre de sexe. »

 

D’autres récits, puisque d’autofiction il s’agit, contiennent la folie, la dépression, le corps utilisé plutôt que le désir et le plaisir érotiques. La vie de l’auteure n’est pas un long fleuve tranquille, mais un une rivière bourbeuse pleine de crocos.

 

L’amour ? Des lambeaux de chair souffrante

 

L’érotisme et le sexe de Marie-Sissi Labrèche ne plairaient pas à Michel Onfray. On est très loin de la sexualité joyeuse et solaire. L’auteure porte à elle seule le fardeau de l’héritage judéo-chrétien et de la famille toxique. C’est l’amour, peut-être, mais enfin… c’est quoi alors l’amour ? Sinon un tissage de lambeaux de chair souffrante. En tout cas, c’est sûrement la convulsion féroce comme prévient le titre. Un chant guerrier, un uppercut qui fait vaciller. La mère et l’homme ne sont pas à la fête quand Marie-Sissi Labrèche dit ce qu’ils lui font subir. C’est sans concession, l’auteure prend du plaisir à faire mordre les mots, déchirer sans pitié. En ce dépiautage, l’écriture est érotique, elle fouille les entrailles. Mais l’image de la femme est assez épouvantable, son corps un objet utilitaire à remplir pour que l’homme y décharge sa descendance ou son énergie. Il arrose, asperge les ovaires de la femme. L’expression est redondante, utilitaire, organique, gynécologique. Pas érotique. Il n’est pas question de clitoris, de bouton de plaisir, de fente souriante. Ce n’est pas une question de beau ou de laid, la laideur peut créer du désir érotique. Mais Marie-Sissi Labrèche, après tout ne revendique pas l’érotisme, c’est le sexe et le corps exposés aux tourments de l’âme qu’elle explore, se fichant bien de savoir si c’est joliment ou salement érotique. C’est pour cela que ses textes retiendront le lecteur qui ne cherchera pas à s’identifier aux personnages borderline. La lecture n’est pas faite pour cela de toute façon.

 

« Les quartiers maternels » sont effrayants. Un cauchemar à vous faire renoncer à enfanter. « Mais quand je garde la tête hors de l’eau, et quand je parviens à atteindre la terre ferme, tu es déjà sur la berge avec tes supplications de mère en manque de progéniture, et tu me poursuis en levant ta jupe pour me montrer par où je dois entrer pour rester à toi… Je m’appuie contre une roche, un mur, un arbre, et là tu en profites pour grimper sur mes épaules, peser de tout ton poids sur mon dos, et tu jettes ta vulve sur mon crâne en pressant. » La mère tyrannique et folle déteint sur la fille, le tour de force est d’avoir su écrire, décrire, crier, décrier cette démoniaque tentation ou volonté de la mère de réintégrer sa fille dans son ventre.

 

Le pouvoir imageant des mots de Marie-Sissi Labrèche met bien mal à l’aise, on a envie de prendre ses jambes à son cou. C’est donc réussi, puisqu’il s’agit d’écrire l’impensable, l’inacceptable, avec malgré tout, en filigrane, l’espoir, ténu…

 

Le titre sous-entend que l’amour est une déjà une violence. C’est en effet tout ce que disent ces nouvelles. Si tous les textes racontent la rage du corps et la désolation, le corpus est une addition de textes qui n’ont pas été écrits ensemble pour cet ouvrage et cela se ressent. Au fil des pages, l’écriture varie, manque d’unité. Ce sont des nouvelles publiées dans des revues à des moments différents de son parcours littéraire, regroupées par après, et ça se voit, c’est dommage. Mais il faut lire Marie-Sissi Labrèche, ne serait-ce que pour la sobriété de son écriture savamment orchestrée pour faire résonner l’outrance. C’est une sacrée performance. Cette singularité fait qu’on n’est pas près d’oublier ce recueil, même si on aimerait ne plus songer à cette folie noire et emmener Marie-Sissi Labrèche sur d’autres rivages pour y chercher un peu de lumière et de douceur.

 

Anne Bert

 

Marie-Sissi Labrèche, Amours et autres violences, Éditions du Boréal, avril 2012, 155 p., 15 €

 

Marie-Sissi Labrèche lit ici un extrait de son livre.

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