Simone de Beauvoir, la femme masquée

Résultat de recherche d'images pour "simone de beauvoir et les femmes images"« On ne naît pas femme, on le devient » écrivait Simone de Beauvoir (1908-1986) dans Le Deuxième sexe. Si le parcours de l’auteur de cet aphorisme mémorable a fait rêver des générations de féministes, l’historienne Marie-Jo Bonnet, militante historique de la cause, révèle  la « complexe constellation amoureuse » de la théoricienne de « l’émancipation féminine ».

 

Longtemps, on a vu en Simone de Beauvoir une « jeune fille rangée », née dans une famille de la bourgeoise catholique française, devenue, dans « la force de l’âge », la « grande Sartreuse » - voire « la grande raseuse » pour des générations de lycéens...

Son  attirance pour ses semblables, « les plus semblables possibles », avait longtemps été occultée dans sa vie publique.

Bien avant la puberté, Simone n’était pas indifférente à ses consoeurs au cours Désir. Dans son féminaire, il y a cette « belle idole, blonde, souriante et rose » de Marguerite de Théricourt et bien d’autres « apparitions » dont surtout  Elisabeth Lacoin (1907-1929) dite Zaza, emportée à vingt-deux ans par une encéphalite virale. Sans oublier Estépha Awdykovicz, la bonne ukrainienne embauchée par la famille…

Devenue professeur de philosophie, elle « subit »  le « charme délicieux » de ses élèves du lycée Molière à Paris.

Le 17 juin 1943, suite à la plainte de la mère de l’une de ses élèves pour « excitation des mineures à la débauche », Simone de Beauvoir est exclue de l’Education nationale – et privée de son traitement de 1200 francs par mois.

 

 

Un cerveau d’homme, un cœur de femme ?

 

Elle naît le 9 janvier 1908 dans un appartement cossu du boulevard Raspail (Paris 6e). Son père, Georges Bertrand de Beauvoir, comédien amateur, s’essaie sans conviction au métier d’avocat – et entend surtout vivre sur la dot de son épouse, Françoise Brasseur (1885-1963). Mais en 1910, Gustave Brasseur (1854-1925), le grand-père maternel de Simone, est déclaré « banqueroutier » et la famille déménage rue de Rennes.

 « Tu as le cerveau d’un homme ! » lui dit son géniteur, qui aurait préféré un fils – pour en faire un Polytechnicien... Pour Simone, naître femme ne va pas de soi… Après des études à l’Institut catholique de Paris et l’Institut Sainte-Marie de Neuilly, elle est reçue seconde à l’agrégation de philosophie, derrière Jean-Paul Sartre (1905-1980).

En octobre 1929, elle contracte avec lui un « mariage morganatique - il sera son « amour essentiel » et ils s’autoriseront des « amours contingentes »…

Enseignante, elle entretient des relations intimes avec certaines de ses élèves dont Olga Kosakiewicz (1915-1983), Nathalie Sorokine (1921-1967) ou Bianca Bienenfeld (1921-2011) sans assumer la « passion organique »… Elle les « partage » avec Sartre tout en menant auprès de ce dernier une « stratégie de dévalorisation » de ses « rivales » - un « jeu double et complexe » révélé par la publication posthume de sa correspondance...

Le 18 décembre 1941, Mme Sorokine mère adresse une « plainte à Monsieur le Procureur français près du tribunal de la Seine ». Le 3 avril 1942, le recteur Gidel demande l’exclusion de Mlle de Beauvoir : « il apparaît avec évidence que ce professeur, qui en impose à ses élèves par sa facilité brillante et sa sécheresse hautaine, affiche dans sa propre conduite comme dans son enseignement un mépris supérieur de toute discipline morale et familiale. Il ne lui appartient pas de former de futures éducatrices. »

Réintégré dans l’Education nationale à la Libération, elle n’enseignera plus, se consacrant à une « carrière littéraire » lancée avec la publication de L’Invitée (Gallimard, 1943) dont le sujet est l’aventure du… trio amoureux, résumé ainsi son auteur : « Mon roman traite de questions qui me tiennent à cœur : ma relation à autrui »...

Dans une lettre, datée du 2 janvier 1948, adressée à son amant américain Nelson Algren (1909-1981), elle parle en ces termes de sa vie d’avant : « Quand j’étais professeur, elles tombaient fréquemment amoureuses de moi, ce qui ne m’a pas toujours déplu, trois ou quatre fois même je me suis laissé prendre au point d’en arriver à me conduire très mal ; il en a découlé des histoires infinies car si pour moi c’était plaisant, mais sans véritable importance, pour ces filles, au moins pendant un temps, ça en avait une considérable, et je devais les manier avec précaution ».

Engagée dans un « rapport boulimique et prédateur » avec l’existence, elle « maniera » tout son monde… La publication du Deuxième sexe lui assure l’indépendance financière sans la libérer de ses ambivalences : évitant les créatrices en vue (Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, etc.)  elle ne tolère que Violette Leduc (1907-1972) « sans se laisser dérober un baiser »…

Prix Goncourt 1954 pour Les Mandarins, elle devient une femme d’influence et une institution. Référence obligée du féminisme, elle rédige le célèbre Manifeste des 343 publié en avril 1971 par Le Nouvel Observateur tout en demeurant divisée dans son rapport avec les femmes, dans son personnage de « femme-homme » transgressant tous les interdits, quel qu’en soit le prix – il y a des suicides… Après la mort de Sartre, le 15 avril 1980, elle adopte la philosophe Sylvie Le Bon : « Après tout, c’est comme un mariage, vous portez mon nom ! ». Ainsi se boucle un intense désir d’intimité féminine commencé avec Zaza, l’amour idéalisé de sa jeunesse : « Inscrite dans l’absolu, hors du temps, Beauvoir peut vivre l’inceste symbolique en toute impunité » constate Marie-Jo Bonnet à propos de cette transmission à la compagne ultime d’une si singulière passion de se vivre mortelle, avec ses béatitudes, ses inflammations, ses vanités et ses petites morts dans l’âme.



Paru dans les Affiches-Moniteur


Marie-Jo Bonnet, Simone de Beauvoir et les femmes, Albin Michel, 346 p., 22 €

 

 

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