Avec « Métamorphose du sentiment érotique », Jean-Jacques Pauvert explore un genre littéraire à part entière

Voilà bien un homme qui sait de quoi il parle, et pourtant Jean-Jacques Pauvert que l’on ne présente plus, prend encore, à quatre-vingt-cinq ans,  mille précautions pour tenter de définir l’érotisme. Le neurone diablement alerte, il nous convie dans cet ouvrage érudit à tout reconsidérer de nos idées reçues. Le préambule est essentiel : la valeur d’usage des mots est la seule clef qui peut nous permettre de comprendre ce qu’est l’érotisme à travers les différentes époques, sans jamais se départir de l’idée qu’il faut toujours considérer également l’intention de l’auteur d’un texte érotique. Ainsi, on en pourra jamais que supposer la manière dont sont reçus et entendus les textes anciens. Sensuels, érotiques, pornographiques ? Où est la frontière, existe-t-elle seulement ? Ou bien n’est-ce qu’une vue de l’esprit du lecteur ou de l’auditeur (les premiers textes érotiques étaient transmis oralement).

 

« "Valeur d'usage" ! C'était la clef ! Comme je l'ai dit alors : "Quel lieu commun aussi difficile à interpréter à la lettre possède une valeur d'usage aussi largement établie que "littérature érotique" ? Tout le monde sent l'impossibilité de le définir, mais chacun s'en sert à chaque instant avec facilité, sachant très bien que le sens en est différent presque à chaque emploi." Il suffisait tout simplement de se replacer objectivement dans les époques successives, pour considérer historiquement, et pour autant qu'il se pouvait, la chronologie sinueuse de qu'on pouvait soupçonner de cette "valeur d'usage" du "sentiment érotique" au fil des siècles. »

 

Avant de s’essayer à définir, Jean-Jacques Pauvert rappelle dans son avant-propos que la littérature érotique ne veut finalement rien dire en terre littéraire, pas plus que celles étiquetées d’autres adjectifs. Il cite Marthe Robert (La Vérité littéraire, Grasset, 1981) : « La littérature en tant que telle ne supporte pas la qualification ; elle est tout court ou elle n’est pas du tout, et dès qu’on la classe dans des catégories limitées, en la disant par exemple érotique, policière, régionale, féminine, engagée, elle perd sa seule qualité incontestable, qui est refus de spécifier. » Rappel hélas inutile, car tout lecteur, éditeur, libraire, critique, aura ce premier réflexe : le classer, le mettre dans une case et un rayon bien prédéfinis, et pour l’érotisme en particulier, il fera appel à ses certitudes, ancrées à son propre rapport aux choses du corps et de l’amour, de la morale et de la censure des tabous de l’époque.

 

Une invitation à explorer

 

L’auteur se défend bien de tout appréhender, il déambule dans le temps, remonte aux origines, se balade sur tous les continents, revient sur ses pas, suggère, et c’est bien plus enrichissant que d’ouvrir une anthologie d’œuvres érotiques. S’il nous livre de brefs exemples de textes estampillés érotiques, il nous entretient surtout de langage, d’écriture, de cultures. Et si parfois les références sont inconnues de nous, elles nous invitent à explorer et c’est tant mieux.

 

La fin du livre m’a désenchantée… parce qu’elle nous ramène à notre réalité, et illustre sans doute très bien la métamorphose du sentiment érotique. Non pas que c’était mieux avant, de façon ringarde, mais parce que les nouveaux codes de vie, de morale, et surtout la force des images, surtout animées (magazines, télé, internet…) ont bien affadi l’indécence, l’obscène, l’outrage, l’inconvenant. Ce que l’on nous donne à voir est sexe, génital, certes, mais pas érotique, tout au moins dans le sens où ces images devraient éveiller notre esprit tout autant que notre corps… La banalisation crée l’ennui. Les mutations des sociétés s’uniformisent, ainsi y aura-t-il sans doute une mondialisation de l’érotisme. Dommage ! Courir avec Pauvert d’un pays à l’autre pour passer à la loupe leur éros était chouette… Si les choses des sens, de la chair amoureuse et de ses pulsions, sont désormais admises comme valeurs de consommation courante, quasi marchandes, y aura-t-il encore un sentiment érotique ? Pauvert, en parlant de l’imagerie érotique, explique qu’après avoir nourri, elle ne fait plus que distraire. Tout est dit.

 

Anne Bert

 

Jean-Jacques Pauvert, Métamorphose du sentiment érotique, éditions JC Lattès, avril 2011, 350 p., 20,50 €

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