Pierre Chartier propose une bien réjouissante "Théorie du persiflage"

Un petit livre au plus haut point passionnant. Petit par la taille, certes – un  « libelle », comme le revendique explicitement le titre de la collection – mais considérable par l’intérêt qu’il détermine. Il pose en effet avec acuité deux problèmes.

Le premier est évidemment celui qui lui donne son titre. Rien de plus fuyant que le mot persiflage. Son signifiant, d’abord : c’est important, pour un mot, l’aspect qu’il prend, dans la prononciation et dans l’orthographe.  Persiflage et persifler se sont toujours (à quelques exceptions près, comme… toujours, et l’auteur les signale) affichés avec un seul –f-. Cela suffit, au niveau de l’écrit, à rendre au moins douteuse la relation avec le verbe siffler. D’autant que persiflage est apparu avant persifler… Alors, quelle est l’étymologie du mot ?  Eh bien, en dépit des affirmations péremptoires de quelques dictionnaires (voir par exemple l’illustre Trésor de la langue française, à l’article persifler), personne ne le sait vraiment. Rien de bien étonnant, me dira-t-on : les mots d’étymologie inconnue sont légion, comme les diables. C’est vrai, en général. Mais c’est faux, le plus souvent, pour les mots récents. Or persiflage date de 1734 : l’adolescence, tout au plus, pour un mot. Et pour les mots aussi jeunes il est exceptionnel que l’étymologie soit à ce point obscure.

La même obscurité occulte le sens exact du mot. Et c’est le grand mérite de Pierre Chartier que de débusquer toutes les composantes, subtiles et changeantes, du signifié de ce vocable. On admire l’érudition avec laquelle il entre dans les ambivalences du terme, notamment les relations, pour l’essentiel disparues aujourd’hui, qu’il entretient, au XVIIIe siècle, avec la mystification. On reconnaît à tout instant l’excellent lecteur de Diderot, de Voltaire, de Crébillon, et de quantité d’autres persifleurs et mystificateurs moins illustres.

Le second problème posé par le livre est plus général. Il n’est autre que celui de la relation entre le discours critique et l’objet qu’il se donne. Est-il, en somme, possible de décrire le persiflage sans le pratiquer soi-même ? On me voit venir : on reconnaît – enfin, j’ai reconnu, ou cru reconnaître – dans l’écriture, très alambiquée (qu’on veuille croire que cet adjectif est, pour moi, flatteur) les procédés stylistiques du … persiflage. L’auteur le reconnaît, à mots à peine couverts : « Esquissons une théorie qui, sous cape, ravive du persiflage l’indispensable urgence ».  

Michel Arrivé 

Pierre Chartier, Théorie du persiflage, coll. "Libelles", PUF, avril 2005, 171 pages, 19 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.