Robert Boulin, le Dormeur du Val assassiné dans une flaque d'eau, par Fabienne Boulin-Burgeat

Depuis plus de trente ans, les héritiers de l'ancien Ministre d'état Robert Boulin, retrouvé mort dans une flaque d'eau le 30 octobre 1979, noyé après avoir ingurgité des barbituriques pour les uns — ceux qui veulent classer le dossier —, assassiné pour les autres, combattent la thèse officielle, qui a fluctuée, mais dont l'essentiel réside dans un mot : suicide. Et qu'on n'en parle plus ! surtout ! « Le dossier est clos » comme l'a récemment encore clamé Michèle Aliot-Marie C'est l'histoire d'une prise de conscience de l'absurdité de cette thèse, de sa réfutation en un long combat sans repos contre les puissants et la doxa alimentée de basses intentions que ce
Dormeur du Val. C'est ce combat que Fabienne Boulin-Burgeat, fille de Robert Boulin, a repris à son compte et entend mettre sur la place publique en donnant à lire l'intégralité des pièces du dossier, entendu celles qui n'ont pas été détruites (bien qu'en scellées) ou perdu ou négligée. 

Impossible suicide

Tous les faits exposés dans cette charge contre les caciques démentent la thèse officielle, et toute l'instruction du dossier n'aura été qu'une longue suite de simulacres et de tentatives avortées pour masquer la vérité. Des scellés disparaissent, des témoins majeurs et directs ne sont pas interrogés, les autres le sont pour ne rien dire, et tout concourt à ce que la Justice avalise la thèse du suicide, comme si elle avait été manipulée. Mais par qui ? Fabien Boulin-Burgeat ne veut pas répondre directement, mais elle pose assez de questions et force assez le lecteur à s'interroger pour qu'il se fasse de lui-même son idée.

Pour comprendre les raisons qu'ont eu les héritiers du ministre de s'interroger, il suffit de se poser quelques questions, sans prétendre y répondre ici, même si la tentation est très forte de lâcher un nom parmi ceux qui sont régulièrement cités par Fabienne Boulin-Burgeat, d'après ses pièces et les témoignages, et qui figurent parmi les plus hautes personnalités de l'Etat au cours des trente dernières années. Comment se fait-il que certains aient pu annoncer la mort de Robert Boulin plusieurs heures avant qu'on ne retrouve son cadavre ? comment se fait-il que les pièces à conviction disparaissent au fur et à mesure que la partie civile demande leur examen (en particulier les poumons, restés à l'institut médico-légale, et qui auraient pu prouver qu'il n'y avait pas eu d'eau dedans...) ? comment se fait-il qu'on ai voulu classer si vite l'affaire en suicide quitte à accuser un marasme familial que tout dénie ? comment se fait-il que le « suicide » intervienne au moment précis où, las de subir des attaques personnelles infondées dans le seul but de le déstabiliser politiquement, Robert Boulin avait décidé et annoncé (un peu naïvement) qu'il sortait ses dossiers et allait chez son avocat ? qui avait intérêt à le déstabiliser politiquement, sinon ceux dont les ambitions se sont révélés alors qu'ils créaient leur propre parti politique en vue d'être candidat aux élections présidentielles ? Pire, si l'on y pense : comment se fait-il que Jacques Mesrine, qui était pisté depuis plusieurs semaines par la police, ai été tué quelques jours seulement (le 2 novembre) après la mort de Robert Boulin, comme pour faire un écran de fumée médiatique...

Les questions posées par Fabienne Boulin-Burgeat sont innombrables, et vont toutes dans le même sens : l'instruction a été menée à dessein, orientée pour que le dossier soit classé le plus vite possible. Le personnel politique nommé est terrible, impressionnant (tous ceux qui ont compté, dans la lumière ou dans l'ombre, depuis trente ans), et si elle avait utilisé un autre ton que celui du témoignage et de l'interrogation, l'auteur aurait un brûlot à faire sauter la République !


« Il est des morts qui sonnent le glas d'une société »
Mgr Poupard

Préparant la succession de Raymond Barre, Valery Giscard d'Estaing annonce qu'il entend très certainement choisir Robert Boulin, et fait son éloge public devant ses administrés à Libourne. Tout conduit à ce que ce grand serviteur de l'Etat, fidèle et probe, à devenir prima inter pares. Mais cette gloire annoncée en gène d'autres qui frétillent. La politique n'est faite que d'hommes et d'ambitions... La mort de Robert Boulin est le signe que la République si exemplaire, ou si prompt à se donner en exemple, n'est qu'un vivier de crotals prèts à se mordre les uns les autres pour une place. Si la chose n'est pas nouvelle, elle est même liée à la nature même de l'homo politicus, ces pratiques extrêmes sont plus proches d'une république bananière ou d'un vieil empire romain que d'une France du XXe siècle. Et pourtant !

Les pièces du dossier sont étalées devant le lecteur, qui doit pouvoir se faire son opinion. Mais si l'affaire étouffée depuis tant d'année éclatait enfin, avec la convergence d'un juge d'instruction éclairé et vraiment libre, de politiciens et de journalistes non inféodés à la thèse qui protège le vrai commanditaire, dont sans doute tous ont eu à bénéficier des marges, alors c'est la République qui tremblerait sur ses bases, un Watergate à la française pour le moins. Mais qui ne rêve pas d'assainir les écuries d'Augias ?

Il ne reste qu'à espérer qu'un tel travail, qu'un tel « j'accuse », que cette somme magistrale ne reste pas lettre morte et, malgré le petit tapage médiatique dont il bénéficie ces jours-ci notamment du fait du témoignage nouveau d'un gendarme qui met à mal certains propos d'époque et toujours tenus pour vrais (contre toute logique : les hématomes ne peuvent pas avoir été causés post mortem et sur le lieu du décès il n'y a strictement rien à quoi se cogner !), qu'un juge puisse se saisir de toutes ces pièces et oser, alors que la République semble prête à juger un de ses anciens présidents, lire sans œillères ce qui ne paraît pas réfutable : la mort de Robert Boulin est suspecte, pour le moins. C'est à cela qu'on estimera le courage d'une démocratie et de sa justice.


Loïc Di Stefano

Lire en complément les entretiens qui nous ont été accordés


Fabienne Boulin-Burgeat, Le Dormeur du val,
Don Quichotte, janvier 2011, 311 pages, index, 16,90 euros

2 commentaires

Madame Fabienne Boulin-Burgeat nous communique copie de la Lettre qu'elle adresse à M. Jean-Marc Ayrault, premier ministre, et que nous reproduisons ci-après avec son aimable autorisation : 


Lettre ouverte de Fabienne Boulin Burgeat au Premier Ministre, M. Jean-Marc Ayrault

 

 

Fabienne Boulin Burgeat

                  Ramatuelle, le 22 février 2013

 

 

                                                                                  Monsieur Jean-Marc Ayrault


Premier Ministre

Hôtel de Matignon

57 rue de Varenne

75007 Paris

 

 

 

 

Monsieur le Premier Ministre,

 

Dès le 30 octobre 1979 la vérité sur la mort de mon père, Robert Boulin, aurait pu être légitimement établie.  Mensonges, incompétences, manipulations, vols successifs de scellés judiciaires et pressions l’ont empêché.  Aujourd’hui la justice s’évertue toujours à défendre une thèse fabriquée dès avant la découverte officielle du corps alors même qu'il a été amplement démontré depuis longtemps qu’il ne s'agit pas d'un suicide.

 

La question essentielle de savoir où et quand est mort Robert Boulin reste aujourd’hui une énigme alors que de très graves anomalies (nous en avons recensé 75) ont vicié l’enquête sur les circonstances de cette mort.  Savez vous par exemple que le corps de mon père a  été retrouvé à tout le moins à deux heures du matin, comme l'indiquent notamment les témoignages très précis et concordants de Raymond Barre et du Sénateur Yan Gaillard dans leurs livres de mémoires, alors qu'officiellement la découverte du corps par la gendarmerie n'a eu lieu qu'à 8h40?  Une réouverture de l'instruction s’impose; une instruction réellement soucieuse d’aboutir à la vérité; une instruction sereine, enfin exempte des pressions politiques qui ont pollué cette affaire depuis la première heure.  Elle seule permettrait d’entendre des témoins importants qui s'impatientent de faire connaître à la justice, en toute sécurité, les éléments en leur possession.

 

Le 30 janvier dernier deux députés, le Président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale, Bruno Le Roux, et le député de la Gironde, Florent Boudié, vous ont adressé à propos de cette affaire un courrier dont ils attendent la réponse.  Je suis moi-même dans l’attente d’une réponse à la lettre ouverte, publiée par Sud Ouest le 29 janvier dernier, que j’ai adressée à la Garde des Sceaux, Madame Christiane Taubira.  Ces courriers formulaient une demande claire et exprimaient un fort espoir d’obtenir une réouverture de l'instruction sur la mort de mon père, après 33 ans de pressions politiques empêchant la vérité d’être établie.  Nous avions voulu croire que vous aviez décidé de retenir votre réponse jusqu’à votre visite en terre girondine en compagnie de Madame Taubira le 16 février dernier, certains que vous voudriez vous exprimer à cette occasion sur ces demandes, et plus généralement sur le scandale que constitue ce trop long déni de justice. Mais à la question, bien prévisible, que vous a alors posée le journaliste de France 3 Bordeaux sur la réouverture de l’enquête de l’affaire Boulin vous avez répondu un énigmatique :"ce sont les magistrats qui décideront".

 

Je souscris pleinement à votre souci, Monsieur le Premier Ministre, d’assurer l'indépendance des magistrats en mettant fin aux pratiques des régimes qui vous ont précédé.  J’ai aussi pris bonne note de la circulaire par laquelle en septembre dernier la Garde des Sceaux a décidé de renoncer dans les affaires individuelles au pouvoir d’injonction que la loi lui donne sur le ministère public.  Je ne veux toutefois pas croire que votre volonté de changement dans ce domaine se résume à cela. L’indépendance ne se décrète pas, elle procède d’une culture et d’une éducation. Comment pourrait-elle tomber sur les esprits des magistrats comme l’Esprit Saint, par le miracle d’une circulaire?  Je veux encore moins croire que votre gouvernement trouvera prétexte d’une circulaire pour ne rien faire dans l’affaire Boulin, qui n’est pas une simple affaire individuelle, mais une affaire d’Etat, puisqu’il s’agit de la mort d’un ministre en exercice et d’une affaire qui a souffert de très graves dysfonctionnements de nos institutions.  Ne rien faire dans cette affaire reviendrait en fait pour votre gouvernement à valider les pratiques nauséabondes des régimes qui vous ont précédé et avec lesquelles vous dites haut et fort vouloir rompre.

 

Vous le comprendrez, Monsieur le Premier Ministre, votre phrase prononcée à Bordeaux ne saurait satisfaire mes attentes. Ni, j’en suis certaine, celles des élus socialistes qui vous ont écrit et des nombreux français que continue de révolter l’apparente volonté des autorités de notre pays de taire la vérité sur les circonstances de la mort de Robert Boulin. Alors qu’il est encore possible de faire cette vérité et qu’il ne fait pas de doute que la justice et notre démocratie en sortiraient grandies.  

 

La justice pour Robert Boulin, est ce ou non pour maintenant ?

 

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma haute considération.

retour sur l'Affaire Boulin : ce qu'on sait depuis longtemps ressort encore et étonne comme à chaque fois ceux qui découvrent ce dossier plein de dysfonctionnements et de mensonges. Dossier complet dans le Salon littéraire et actualité ici :