Les multiples vies du Ku Klux Klan

Comme une légende noire qui traverserait toute l’histoire de l’Amérique, le Ku Klux Klan ne cesse de hanter la conscience collective et ses imageries traditionnelles (chevalier blancs, capuches à pointes, croix enflammées) constituent un patrimoine culturel aussi angoissant que prégnant. Des films qui sont fondateurs des Etats-Unis comme Birth of a nation sorti en 1915 sont directement un éloge du KKK. Pourtant, le Klan n’est pas un mythe ni un épouvantail, c’est une réalité très forte du Sud qui a essaimé au-delà de ses frontières naturelles. Les klans, serait-il plus juste de dire, tant il y eu de mouvements officiels (au moins trois) ou non (une myriade) à s’attribuer l’apanage de ce titre.

 

Farid Ameur dresse un portrait succinct mais très riche et intelligent du Klan, en proposant deux parties complémentaires : l’Histoire à proprement parlé ; les grandes thématiques qui traversent ce mouvement de pensée fondé (essentiellement) sur le refus d’admettre l’égalité raciale. 


La Guerre de Sécession a coupé l’Amérique en deux : au sud, les esclavagistes, au nord les abolitionnistes.  A leur victoire, des vainqueurs imposent des règles qui vont vite être ressenties comme une humiliation. Privés de leurs esclaves, les grandes propriétés terriennes  risquent de péricliter, et la tutelle de soldats en armes, et de soldats noirs, exacerbe les haines : ceux qui jusqu’alors n’avaient pas d’existence réelle et légale deviennent les représentants de la Loi, en un mot les maîtres. Certains même sont élus ! C’est plus qu’insupportable et la réponse naturelle est le repli identitaire et l’aigreur qui tourne à la monomanie vengeresse (comme après l’occupation de la Rurh par la France en 1918, qui conduisit inexorablement à l’hitlérisme… mais l’humanité n’apprend jamais rien). Le KKK est donc d’abord un groupe de défense identitaire d’hommes apeurés qui craignent pour la survie de leur culture — aussi injustement fondée soit-elle. A partir de ce mouvement intial de repli, les immanquables débordements de haine et de violence surgissent, d’autant que pendant une longue période le KKK est impuni : les forces de l’ordre et les juges sont le plus souvent des partisans, et laissent passer… aussi violentes que soient les actions, jusqu’au lynchages de manifestants des droits civiques (à l’origine du film Mississippi Burning). Ce n'est que plus tard, en 1962, dans sa troisième mouture, que le KKK se rapproche des mouvances nazies américaines. 

Point d'histoire important, le KKK est toujours présent, toujours actif et nombre de personnalités politiques nationales lui doivent leur carrière. 

 

La seconde partie est plus théorique, elle choisit les grands thèmes du KKK et reprend l’histoire en analysant les rapport aux femmes, à la famille et aux traditions rigoristes, à l’argent, aux affaires et notamment aux dérives frauduleuses de nombre de dirigeants, la propagande, etc. 


"[...] elle est l'expression d'une intolérance américaine, trop faible pour influer sur le cours des événements, mais néanmoins récurrente dans l'histoire nationale. En ce sens, elle se présente sous la forme d'un héritage encombrant dont il paraît bien difficile de se défaire pour de bon" 


Le Ku Klux Klan est une excellente et très intelligente introduction à ce moment clé de l’histoire de l’Amérique, quand les colons ont décidé que leurs nouvelles racines formaient leur histoire, leur dogme et leur avenir, et qu’ils ont décidé de se battre pour ces valeurs. Bien sûr, ces valeurs sont posées sur la conquête d'un territoire et peuvent apparaître comme artificielles,  mais dès lors qu'elles ont été le socle commun d'une tradition nouvelle, celle-ci s'est imposé comme ancrée si puissamment qu'elle garde aujourd'hui encore sa puissance et son aura.

 

Loïc Di Stefano

 

Farid Ameur, Le Ku Klux Klan, Fayard, “Pluriel“, avril 2016, 217 pages, 7,50 eur 

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