Jacques Sojcher : un peu de soleil dans l’eau froide

             

Après « L’idée du manque » et en même temps que « Trente-huit variations sur le mot juif », « C’est le sujet » clôt parfaitement un triptyque majeur dans l’œuvre du poète et philosophe belge. Ce dernier recueil est le plus fort car dans des poèmes de quelques vers Jacques Socher met en évidence - à travers méditations et choses vues et éprouvées - l’essentiel de sa quête :  l’oubli et la mémoire, le deuil et le souvenir, le manque et la survivance  au sein d’une réflexion – ici allusive - sur l’Histoire et la judéité.


Tout l’héritage douloureux du poète transparaît de manière sibylline. Il  n’écrit que l’essentiel et parfois préfère le silence à la dilution du logos puisque  « La question est sans réponse. / Le concept / n’est d’aucun recours ».  Et comme « Penser n’empêche pas / de mourir » écrire devient pour Sojcher « aussi rare qu’aimer ». Mais le poète pratique dans l’absolu les deux. En dehors de toute propension de l’égo (« il » remplace « je », le neutralise), le devoir de mémoire, la douleur de ses martyrs sont présents de manière effacée. Et ce loin des sophismes et parfois avec la pratique d’une autodérision d’un clown trapéziste qui n’hésite pas à se jeter sans filet dans le vide.


La mémoire joue sur des oppositions entre présent et passé, entre constat et hypothèse : « Il aurait pu vivre ailleurs / Une femme inconnue / l’aurait porté / dans son ventre ».  Sojcher reste ce voyageur en vignettes (rehaussées par celles - tout aussi superbes - de Lionel Vinche) qui oblige sous le registre d’une presque légèreté primesautière à la réflexion la plus profonde. Une fois de plus le poète ne fait qu’emmener avec lui non ses rêves mais ses propres bagages, sa propre interprétation, son propre inconscient. L’étrangeté espérée et explosive n’est qu’un cataplasme sur une jambe de bois ou un affalement dans le temps qui reste. Celui-ci est toutefois sauvé des catastrophes de l’humanité par l’affect. Sauvé aussi par l’écriture qui – même si elle « ouvre » l’inquiétant abyme des profondeurs bestiales et de l’Histoire -  laisse entrevoir un peu de soleil dans l’eau froide.


Jean-Paul Gavard-Perret


Jacques Sojcher, C’est le sujet, Dessins de Lionel Vinche, 64 p., 13 E, Trente-huit variations sur le mot juif, Dessins de Richard Kenigsman, 64 pages, 13 E., Fata Morgana, Fonfroide le Haut, 2014.

 




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