Baptiste Beaulieu. Urgences médicales : Transfigurer le pire

Alors voilà, c'est un garçon de 28 ans qu'on rencontre parce qu'une phrase en latin a été tatouée à l'encre bleue sur sa peau mâte et qu'elle dit "Pour faire des miracles d'une seule chose", et en relevant les yeux, on rencontre la lumière bienveillante des siens. Elle a la couleur des émeraudes, cette lumière, mais on ne comprend pas encore pourquoi.

 

Puis, on écoute ses contes, parce que c'est un conteur Baptiste Beaulieu, comme sa mère avant lui et comme les bardes gaéliques, de ceux qui vous racontent les histoires de la vie, celle des "gens couchés ou en fauteuil roulant", celle des patients d'un hôpital. Bientôt, on ne résiste pas, on ouvre son premier livre, "Alors voilà" sur les "1001 vies des Urgences", et il nous fait frissonner avec ces héros mythologiques : les internes, les chirurgiens qui pleurent dans un placard face à la mort d'un jeune homme et les aides-soignantes qui prennent sur leur temps libre pour soulager un patient. Le narrateur aussi, dans ce livre, chante, en dansant des claquettes dans les couloirs ; il chante la légende bien réelle de ceux "qui sont couchés et ceux qui les relèvent" : Chef Pocahontas, Chef Viking, Roméo et Juliette, M. Narcisse, ou Brigitte en l'honneur de la déesse celtique... C'est sa manière de traduire le dévouement, la colère, la bonté, la douleur, le mensonge généreux. C'est sa façon de vous élever à une sagesse inouïe, tapie dans les gestes les plus quotidiens, dans les couloirs et les boxs où l'on souffre, où l'on meurt. Où l'on sauve aussi.

 

Tout devient dans sa voix poésie, humour, tendresse et émotion pure : le toucher rectal, vaginal, Alzheimer et la Mort blanche. On suit son "ascenseur émotionnel" en prenant celui de l'hôpital de bas en haut et de haut en bas : un éloge de la verticalité. Il y a du Baudelaire chez cet auteur ; il sait que l'homme est un vivant pilier parmi des forêts de symboles. Il grandit la vie humaine et rétrécit ses ombres. Il écosse les peaux dures, et il brandit le cœur, celui de chacun, tout humain et périssable.

 

Son écriture vive, dynamique, imagée, vous transfigure le pire et vous révèle la meilleur part des hommes. Percevoir le bon côté des gens, nous dit-il, c'est "une forme discrète et irrésistible de courage". Ce livre est courageux, d'un courage contagieux.

 

Il ne s'agit pas d'un recueil de chroniques, même si à l'origine de ce livre, il y a un blog toujours en cours que Baptiste Beaulieu, l'interne aux Urgences, tenait quotidiennement pour nous réconcilier avec l’hôpital et les soignants, un blog qui a touché des milliers de lecteurs, puis de journalistes, puis ses éditrices à Fayard. Non, il s'agit d'un roman fleuve et d'une épopée tragicomique. Les 1001 vies réelles des Urgences sont prises dans la trame d'une fiction : le narrateur les raconte à une patiente en phase terminale, pour prolonger sa vie le temps que son fils, bloqué à l'étranger, puisse la rejoindre. L'interne rêvait aussi de devenir écrivain : il l'est devenu. Aujourd'hui médecin, à chaque consultation, il demande à ses patients : "quel est votre roman préféré ?". Ce n'est pas dans son premier livre, mais ce sera peut-être dans le prochain. Cet auteur-là ne cessera plus d'écrire.  

 

De ces mille et un visages croqués avec tant d'humanité, on réalise en le refermant qu'on a appris à regarder un visage en particulier, celui de la Mort, et sous la plume de l'auteur, c'est "un étalon arc-en-ciel qui vous emmène faire du rodéo dans les nuages au son de Lucy In The Sky". On ne regarde plus le soleil de la même manière, il s'y greffe une prière égyptienne de remerciement pour la vie, et l'on ne regarde plus les gens dans la rue sans songer à l'incroyable diversité de nos histoires, mais qu'au fond : tout est un.

 

Alors on comprend. Ce garçon qui se tient là, devant nous, c'est Hermès avec sa Table d'Emeraude. Il délivre ses messages, mi-frondeurs mi-sages, il vous murmure en souriant : "ce n'est pas sérieux la vie, il faut s'amuser, danser, voyager, faire l'amour : c'est un jeu". Et il pose son livre-caducée dans vos mains, et ses mots, tour à tour caressants ou piquants comme une morsure, sont de ceux qui nous sauvent. Il existe des paroles qui soignent comme des gestes d'urgences.

 

Quand on lit la dernière phrase de son livre, on retrouve celle qu'il possède sur la peau : "Pour faire des miracles d'une seule chose". Il l'a écrit ailleurs dans le livre : sa "peau ne sait pas mentir". Je crois, VRAIMENT, que d'un seul livre, il fait, parmi ses lecteurs, des miracles.

 

Laureline Amanieux

 

Baptiste Beaulieu, Alors voilà, Les 1001 vies des Urgences, Fayard, octobre 2013, 380 pages, 17 €

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