« Et alors, quoi de nouveau ? » Jossot !

Henri Gustave Jossot (1866-1951) fait partie des pamphlétaires qui exercèrent leur talent polémique dans la presse de la Troisième république. C’est au double titre d’auteur et de caricaturiste que Jossot contribua à L’Assiette au beurre ainsi qu’à maintes autres feuilles de tendance libertaire. Son anarchisme teinté d’accents réactionnaires sous-tendait un esprit aiguisé et un regard posé sans concession sur l’école, le fonctionnement de la démocratie ou encore le colonialisme. La rondeur de son trait de dessinateur – qui n’est pas sans rappeler celui de son contemporain Vallotton – n’adoucissait en rien la férocité de son humour ni la virulence qu’il mit à dénoncer la bien-pensance bourgeoise. Ses cibles privilégiées furent les hommes d’église, d’armée, de justice, d’argent, bref cet apôtre-là déclara très tôt une allergie au pouvoir sous toutes ses formes et, par bonheur, il n’en guérit jamais.


Après avoir réédité Le Fœtus récalcitrant, les éditions Finitude nous offrent de retrouver un choix d’articles, issus cette fois de ses contributions à la presse tunisienne. En effet, alors que le succès commençait à lui venir, Jossot se détourne brusquement de la France et fuit vers le Maghreb. Il faut dire que, sur le plan personnel, il traverse une période très noire de son existence, endeuillée par le décès de sa petite fille. Le voilà donc qui s’installe à Tunis en 1911, où il se convertira à l’Islam quelque temps plus tard.


Dans ses chroniques à La Dépêche tunisienne ou Tunis socialiste, Jossot n’a rien perdu de sa vigueur d’antan et il poursuit inlassablement sa croisade contre ce qui lui apparaît comme la pire valeur de la modernité : le travail. Le « droit à la paresse » n’est pas d’après lui une expression ronflante, elle est la clé qui sortira l’humanité citoyenne de sa condition d’esclave volontaire ! D’autres de ses opinions frappent parce qu’elles sont inattendues et signalent l’atypisme foncier du personnage. Il n’est en effet pas fréquent de trouver des articles datant de plus d’un siècle où sont évoqués la condition de la femme musulmane ou le tort qu’ont les populations arabes à succomber aux charmes de l’occidentalisation. Dans Pitié pour elles !, Jossot constate les ravages de maladies telles que l’épilepsie auprès des femmes soumises à une claustration excessive. Il en appelle à la bonté élémentaire pour défendre les pauvresses victimes, dans la rue, de brimades venant d’inconnus ou, à la maison, de l’autorité abusive de leurs maris. Au passage, il se gausse de la coutume des mariages arrangés pour en arriver à la conclusion : « Une captive ne s’éprend pas de son geôlier. » Ce qui différencie son discours de celui des islamophobes (affichés ou sournois) d’aujourd’hui, c’est que lui se hisse seul à la tribune, et ce n’est au nom ni de la Laïcité ni de la République, encore moins du Progrès ou de la Démocratie qu’il prétend s’exprimer, mais de l’Humanité et de la Justice majuscules.


S’arrêter à la seule dimension ethnographique du talent de Jossot serait terriblement réducteur compte tenu de la diversité des sujets qu’il approcha. Il faut avancer dans ce volume jusqu’aux textes intitulés « Les méfaits de l’instruction » et « Les déformateurs du cerveau », où l’on trouvera des charges imparables contre le système éducatif nécrosant. Puis célébrer sans retenue la patrie durant « La fête du fumier ». Enfin, se délecter de « L’Homme est fait pour vivre seul » et suivre le précieux conseil : « Dès que nous apercevons un de nos semblables, écrions-nous “Sauve qui peut !” »

  

Jossot fut l’homme de toutes les ruptures : avec sa famille, son milieu et la société occidentale. Son tempérament naturellement révolté éclate dans chacune de ses phrases, au risque de l’incohérence. Mais le paradoxe n’était-il pas aussi pour lui synonyme de liberté ? Le meilleur exemple du jeu subversif auquel il se plaisait envers les vérités établies se trouve dans

 les deux plaidoyers qui se succèdent, pour ou contre le port de la barbe, et où Jossot, en sophiste jubilant, soutient mordicus l’un puis l’autre discours avec la même conviction rhétorique.


« Et alors, quoi de nouveau ? » L’excentrique, le pas sérieux, le décapant, l’unique Jossot…


Frédéric Saenen


Gustave-Henri Jossot, Sauvages blancs !, édition établie par Henri Viltard, Finitude, mars 2013, 176 pp., 19 €


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