Amos Oz, Soudain dans la forêt profonde : Un message qui dépasse la littérature

Il est des livres, surtout quand ils sont aussi courts, que vous relisez coup sur coup, émerveillé, stupéfait, enchanté. Des livres qui vous parlent, mais qui murmurent également combien il serait judicieux que votre voix porte le texte, sa douceur, sa saveur, aux délicates oreilles de ceux que vous aimez. Le dernier livre traduit d’Amos Oz, appartient à cette étonnante catégorie. Vous y entrez, doucement, assis dans l’avion, le métro, à la terrasse d’un café ou dans une salle d’attente, et soudain, le monde commun disparaît et surgissent les montagnes, le ciel, les arbres, les enfants, l’école et vous entendez distinctement le rire hennissant de Nimi, les moqueries de ses camarades, les chuchotements de crainte de ces adultes pétrifiés par la malédiction… et le silence, le silence lourd d’un village privé de toute vie animale. Chaque page, chaque phrase, chaque mot prend vie et remonte lentement dans votre gorge, pour que les mots reprennent vie dans la parole. L’écriture quand elle s’incarne avec cette facilité révèle le génie de l’aède, celui qui n’a jamais oublié que les mots sont faits pour être savourés, dégustés et redonnés à l’autre.

 

Amos Oz est un conteur, tous ses livres le clament. Dans son flamboyant récit familial, Une histoire d’amour et de ténèbres, la saveur des mots donnait immédiatement envie de lire le texte à voix haute, de la partager, de laisser chaque son porter l’histoire merveilleuse et tragique de cette famille. Soudain dans la forêt profonde est un conte, un vrai de vrai, estampillé tel : forêt enchantée, adultes malavisés et terrés, enfants courageux et insupportables, démon que le courage de l’enfant peut repousser dans les ténèbres. Mais aussi cette belle règle de vie, que nous savons si opportunément oubliée, briser le moule, ne jamais se contenter de survivre dans la crainte, regarder loin et haut, toujours chercher, toujours écouter et toujours être prêt à entendre.

 

La parole. Elle est au cœur de ce conte initiatique. Elle porte la valeur ultime, l’arme absolue contre les folies du monde des adultes. Une parole venue de loin, qui dit amour, respect, fraternité, des valeurs d’enfance, des valeurs dont nous n’aimons nous souvenir que lorsqu’elles brillent aux frontons de nos bâtiments publics. Oz nous rappelle que ce don que les enfants possèdent de ne jamais se laisser saisir par les apparences ou par le « c’est comme ça », est notre unique sauvegarde, notre chance, un privilège restitué à ceux qui sont prêts à retrouver cette part qui n’est pas d’innocence, mais de curiosité.

 

Cette idée n’est pas nouvelle dans l’œuvre d’Amos Oz, qui n’a d’ailleurs jamais vraiment cessé de la mettre en pratique, lui l’infatigable partisan de la paix et du dialogue, la parole retrouvée pour effacer les mensonges et les légendes noires. Avec ce conte, il offre à tous ces lecteurs l’opportunité fabuleuse de glisser à ceux qui l’entourent, enfants ou non, l’histoire de ces enfants pas toujours sages, qui font lentement aller chercher ce que les adultes craintifs ne veulent pas leur donner l’opportunité de découvrir : la vie dehors, la vie avec ses choix dramatiques, ses moments de désillusions profondes, ses cauchemars, mais surtout la vie avec ce merveilleux grain de folie qui la rend si impensable à ne pas vivre. Je ne connais pas bien Orhan Pamuk, mais je crois vraiment qu’Oz était l’homme du prix Nobel de littérature 2006, parce que cette leçon magistrale qu’il dispense délicatement dans toute son œuvre est un message qui dépasse la littérature et qui parle d’un temps que nous ferions bien de rappeler à nous, sous peine comme les adultes de ce village maudit de poursuivre notre inexorable descente aux enfers de la veulerie.

 

Adeline Bronner

 

Amos Oz, Soudain dans la forêt profonde, traduit de l’Hébreu par Syvie Cohen, Gallimard, septembre 2006, 117 pages, 12,50 € ; Folio, février 2008, 128 pages, 4 € 

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