Les Hommes de l'ombre, portraits d'éditeurs

L'éditeur est au centre du processus de création d'un livre, entre son auteur et son lecteur. Il ne faut pas croire qu'un auteur, aussi talentueux soit-il, gagne à se passer de son éditeur, qui n'est pas là pour le plier à sa propre vision de l'écriture, mais pour le forcer à dépasser son talent initial et à atteindre par une exigence attentive le meilleur résultat. Les éditeurs "tiennent du séducteur et du guerrier, du metteur en scène et du grand couturier, du toxicomane et de l'homme d'affaires, du navigateur solitaire et du coupeur de têtes, du philatéliste et du négrier" (Pierre Nora). François Dosse, a décidé de nous présenter quelques grandes figures parmi ces "travailleurs de l'ombre" dont on connaît le nom quand il est devenu celui de la maison d'édition (Gallimard, Flammarion, José Corti, etc.) mais dont, pour la plupart, nous ignorons tout des hommes. 

Pourtant, à un moment clé de l'évolution du livre en France, les décennies 1960-1970 qui virent notamment l'arrivée du livre de poche et l'explosion du nombre d'étudiants lecteurs, quelques figures importantes de l'édition ont su imposer leur personnalité et véritablement façonner le paysage culturel français. Quelques grands anciens avaient été précurseurs, pour la constitution d'un catalogue comme Gaston Gallimard ou pour les coups de génie marketting comme Bernard Grasset, mais cela restait à l'échelle individuelle. Il est important de voir comment, des hommes et des femmes aux profils très différents ont pu, dans un mouvement général, transformer le monde et le définir tel qu'il demeure aujourd'hui.

Des éditeurs attachés à leur propre maison (José Corti, Christian Bourgois, Claude Gallimard, René Julliard, Robert Laffont, Jean-Jacques Pauvert) ou des chasseurs de têtes et découvreurs de talent (Françoise Verny, Maurice Nadeau, Claude Durand), des  francs-tireurs infatigables (Jérôme Lindon, François Maspéro, Paul Flamand), voici l'image d'une époque au travers des portraits des acteurs les plus importants. Chaque portrait révèle une personnalité propre, ceux qui se mettent en avant et ceux qui restent cachés derrière leurs auteurs, ceux qui travaillent pour le grand public et ceux qui visent l'élite. 

Bien sûr, cette galerie de portrait aurait pu s'enrichir de quelques figures moins germanopratine et "grandes maisons", mais François Dosse parvient à son objectif de donner à comprendre une époque en mutation par le destin de quelques figures exemplaires.

Loïc Di Stefano

François Dosse, Les Hommes de l'ombre, portraits d'éditeurs, Perrin, mars 2014, 456 pages, 25€
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