La Métamorphose de Miquel Barceló

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme disait Antoine Lavoisier à propos de la conservation des masses lors du changement d’état de la matière. Il en va de même de l’esprit, du Moi, de l’âme – quelque soit le nom que vous employez – car l’homme est une machine complexe qui se nourrit de ses erreurs et se projette vers des possibles. Et quel texte mieux que celui de Kafka pour nous rappeler combien nous sommes fragiles et voués à être autre l’instant d’après.
Lire La Métamorphose est toujours un choc, il y a un avant et un après.
Miquel Barceló est tombé sur le livre par hasard à quatorze ans, il l’a lu d’une traite dans la nuit. Un jour plus tard, en rentrant de l’école, il voit sa mère pleurer avec le livre dans les mains, elle était bouleversée à l’idée qu’il avait lu ça. Pourtant pas de quoi alarmer l’enfant qui le reliera par la suite, et aujourd’hui encore, une fois par décennie, avoue-t-il dans un clin d’œil car il le considère comme une sorte de comique essentiel et moderne, à la manière de Cervantès.

Emporté par la démesure et la folie, Miquel Barceló ose des paris insensés, du plafond de la salle XX de l’ONU, à Genève au Festival d’Avignon, en artiste pariétal et visionnaire en 2006 (il réalisa une œuvre-performance avec le chorégraphe et danseur Josef Nadj : Paso Doble. Dans l’église abandonnée des Célestins, les deux hommes se livrèrent à un formidable spectacle autour d’une paroi d’argile griffée, grattée, lardée, frappée, modelée … et finalement transformée en sculpture géante, différente chaque soir) ou 2016 quand la BnF et le musée Picasso montèrent un parcours pour tenter de percer l’œuvre dans son ensemble tout en provoquant la polémique, des crises d’ego surdimensionné aux dépassements de budgets comme à Genève en passant par le vol d’œuvres d’art au Mali (Amahiguere Dolo accuse Barceló de lui avoir volé des œuvres ; on attend le procès) ; à croire que les artistes ne sont vraiment pas des gens ordinaires.

Il suffit d’ouvrir cet album pour en être définitivement convaincu : premier indice, non la couverture n’est pas tâchée ou salie, elle a été imprimée telle qu’elle fut restituée par l’artiste ; idem pour tout le corpus qui voit des traces ici et là parmi les caractères d’imprimerie. On a l’impression que l’on vient tout juste de retirer l’exemplaire de travail des mains de Miquel Barceló dans son atelier. La force injectée dans cette peinture se marie instinctivement à la puissance de l’écriture de Kafka. Mais la destruction que porte cette métamorphose offre aussi des joies inédites, des mondes nouveaux que les couleurs portées sur le dessin démultiplient dans un kaléidoscope extravagant qui dérange tout autant qu’il séduit…

On se réjouit de la mort prochaine de la Covid-19 pour nous laisser, au printemps, le loisir de nous porter à la Galerie Gallimard pour y admirer les originaux dans une future exposition sous l’égide de Valérie Tolstoi.


Rodolphe

 

Franz Kafka, La Métamorphose, avec des œuvres originales de Miquel Barceló, 60 illustrations couleurs, 250 x 325, broché, coll. Blanche illustrée, Gallimard, octobre 2020, 208 p.-, 45 €
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