Habiter poétiquement le monde, l’anthologie manifeste de Frédéric Brun

Qu’elle est loin, si loin, perdue semble-t-il, envolée, dissipée oubliée disparue la fameuse sentence de Malraux, le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas – ou religieux ou mystique –, selon les variantes, car, en effet, jamais ô grand jamais le ministre de la Culture du Général de Gaulle ne prononça une telle phrase. Cela provient d’une légende qui s’est construite depuis les années 1960, et obscurcit sa réelle « vision » qui réclamait un « supplément d’âme », selon l’idée de Bergson, plutôt qu’un vil retour au communautarisme (sic). En effet, l’urgence de la situation requière une prise de hauteur, autant dire une prise de risque, un lâcher-prise me glisse dans l’oreille mon ange gardien, puisque le marché financier décide de nos vies, que le politique a failli, que les militaires traînent encore les pieds pour remettre la maison en ordre, demeure, mes amis, ne demeure plus que l’utopie, la poésie en autre terme, et avec elle l’immense cortège de plaisirs qu’elle véhicule, transmet, libère… Oui, ne vous en déplaise, puisque tout s’effondre, soyons fous, dignes, et avec honneur, en souvenir de l’orchestre du Titanic, lisons, buvons, chantons, aimons-nous jusqu’au bout de la nuit, fumons notre dernière cigarette (en musique), et feu d’artifice !


Frédéric Brun y croit, lui, encore un petit peu ; il a sans doute – certainement – raison : « Il faut que l’homme habite poétiquement ce monde, qu’il cesse de courir après la croissance pour retrouver l’essence de son existence. […] Il doit tenter d’exister avec le plus de réceptivité possible, en contemplant les beautés qui nous entourent, en s’en nourrissant, s’en inondant l’âme et les yeux, en essayant chaque jour de regarder plus attentivement le ciel, la mer, l’écume, les arbres, le sourire d’un enfant, avec les yeux et l’esprit du poète. »


Lu comme cela, j’entends déjà les cyniques dire que c’est cul-cul, sortant Gombrowicz de leur chapeau, magicien de l’instant, sans l’avoir lu sans doute, mais cela fait bien dans le dîner en ville aux frais du contribuable. Alors laissons à Frédéric Brun sa candeur, car sans candeur point d’avenir. Se lever chaque matin est déjà un défi, et pas seulement pour ceux qui allument directement leur télévision pour suivre l’évolution de leur portefeuille sur Bloomberg-TV

Car, n’oublions pas que « la poésie fut créée en même temps que le monde » (August Wilhem), ce qui lui confère une certaine maturité, pour un medium de naïfs (sic), si bien que souvent la philosophie s’invite entre les vers, faisant de la poésie « l’institutrice de l’humanité » (Schelling), rien de moins !

 

Au-delà de son évolution, des querelles entre athées et provocateurs qui ont cherché à faire évoluer son langage, la poésie demeure hors champ, comme dirait un sociologue, car « sous la poésie des textes, il y a la poésie tout court, sans forme et sans texte » (Artaud) ; une manière de dire combien sa présence est indispensable pour le bien-être de l’Homme, son équilibre, son épanouissement ; sans doute une raison pour laquelle elle est galvaudée, décriée au profit de Facebook et d’émissions de télévision débilitantes. Tant que les gens regarderont Hanouna au lieu de lire, la société continuera à s’effondrer…

Si la poésie « ne peut appartenir à aucun système d’idée » (Pierre Jean Jouve) elle offre la possibilité de « penser et se penser en images » (Reverdy). Ainsi, le crétin qui éteint enfin sa télévision recouvre par enchantement les capacités de son cerveau, puisque la poésie « ne dépasse pas l’homme. Elle le prouve » (René Ménard). Alors tout changera : un idiot de moins devant sa télévision c’est une voix de moins pour l’escroc politique qui est derrière et un mode de vie qui change, une manière de voir le monde – et donc les Autres – et d’apprécier autrement les possibles offerts. Faut-il encore savoir qu’ils existent ! Gaston Bachelard l’a écrit, pour s’ouvrir au Monde il faut donner « plus d’attention à la rêverie poétique » ! Ce que confirme Kenneth White quand il dit que le poète n’est pas mondain car il doit refuser le monde pour réintensifier son être…

 

C’est en ressentant ce qui est poétique qu’on le connaît et qu’on le comprend.

Giacomo Leopardi, 1821

 

C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, […] que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau.

Charles Baudelaire, 1857

 

Le monde dans un homme, tel est le poète moderne.

Max Jacob, 1922

 

L’expérience poétique est une révélation de notre condition originelle. Et cette révélation se résout en une création : celle de nous-mêmes.

Octavio Paz, 1956

 

La poésie est la fondation de l’être par la parole.

Heidegger à propos d’Hölderlin, cité par Roberto Juarroz, 1980

 

 

François Xavier

 

Anthologie manifeste – Habiter poétiquement le monde, Frédéric Brun (conception, choix de textes et avant-propos), Poesis, mars 2016, 368 p. – 24,00 €

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