Gabriel Matzneff : exercices de liberté

Quoique n'appartenant pas au cycle du "Journal", dont paraît le 11 novembre le tome XV L'Amante de l'Arsenal (Gallimard), La lettre au capitaine Brünner de Gabriel Matzneff raconte le doute d’un écrivain retraité de Saint-Germain des Prés. Ce pourrait être l'auteur lui-même. Reste à savoir si comme son héros il a été mis en face d'un secret de famille datant de la Seconde Guerre mondiale.

Le roman republié en version poche se rapproche du "Journal" dans la mesure où il est plus une chronique (de vieux amis) qu'un roman d'histoire. Le héros - Nil Kolytcheff - s’interroge sur la mort de son cousin qui s’est jeté d’une falaise cinquante ans plus tôt. Certes, le jeune homme avait une passion pour l’écrivain Emile Cioran et son désespoir aristocratique. Mais son geste n'est pas un "acte gratuit" gidien. Tout est guidé par un autre suicide familial et une disparition du même ordre à Auschwitz.

Le fardeau que doit porter le héros est à ce titre lourd,complexe. Des compromissions avec les nazis traversent son héritage. Néanmoins la narration reste surtout centrée sur la vie de la communauté orthodoxe de Saint-Germain des Prés. C'est l'occasion pour l'auteur de s'intégrer parfaitement dans la narration qu'il invente. Et cela lui permet un règlement de compte en règle contre la famille en général et la sienne en particulier. Pour preuve, les patriarches sont pour les descendants une vénéneuse poche de sang contaminé.
 

Face a ce nœud de vipères, Nil devient le semblable et le frère de son auteur. En ce sens ce roman rejoint L'Amante de l'Arsenal. Le héros et son créateur optent pour la liberté des relations amoureuses. Elles restent sans doute des sources d'échecs mais aussi le plaisirs goûteux. L'auteur en rajoute une couche en insérant dans sa fiction un mariage homosexuel célébré à Rome, histoire de donner un coup de pied de l'âne au Pape et à l’institution catholique.

L'intrigue est d'ailleurs secondaire - ce qui rapproche encore plus le roman de "journal" et ses XV tomes déjà parus. Dans les deux cas la dolce vita prend la plus belle des places entre Paris, Venise et autres lieux. Le roman reste moins polémique sans doute que le "Journal" mais dans les deux cas Matzneff demeure l'éternel gamin des lettres aussi polémiste que doué.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Gabriel Matzneff, L'Amante de l'Arsenal (Journal Tome XV), coll. Blanche, Gallimard, novembre 2019, 432 p.-, 24 €
Découvrir les premières pages...

Gabriel Matzneff, La lettre au Capitaine Brunner, coll. La Petite Vermillon, La Table Ronde, janvier 2015, 204 p.-, 17 €
Découvrir les premières pages...

Aucun commentaire pour ce contenu.