"Enrico" l'enfance crue de Mouloudji

Mouloudji, le petit prince de Saint-Germain-des-Prés, enchante par sa manière d'être indocile et naïf à la fois les arts dans lesquels on l'initie, et où il s'épanouit. Poésie, peinture, mais surtout comédie et chanson, sous la férule de Jacques Prévert, qui l'ouvre au monde et lui présente tous ceux qui comptent alors (Sartre, Simone de Beauvoir, etc.). Prévert s'émerveille de 

C'est pourtant un texte lourd qu'il publie à ses vingt deux ans, Enrico, prix de la Pléiade 1944. Lourd parce qu'il pose calmement, dans une langue certes datée mais qui sent la gouaille de son auteur — c'est un gamin de Menilmontant —, la violence terrible que la mère folle impose à son fils. Violence physique — le roman s'ouvre sur une bastonnade en règle — et morale, comme si elle lui reprochait tout le temps d'être le fils d'un kabyle... Et à la violence physique subie répond l'amour infrangible d'un fils qui protège sa mère de sa propre folie. Et le père, rustre au possible, ne contrebalance pas la folie maternelle. Dans la misère la plus glauque, aux limites parfois de la clandestinité, la famille poursuit sa médiocrité. Et pourtant, le petit narrateur ne perd rien de sa joie de vivre naturelle, comme un remède aux maux qui s'accumulent... 

Pas tout à fait des mémoires, pas non plus tout à fait un roman, ce récit très poétique, fantasmatique même, décousu comme peuvent l'être les souvenirs d'un enfant qui veut tout dire sans trier pour réorganiser à la va vite son réel, Enrico n'a pas perdu de sa force, toute faite d'émotion et d'une certaine candeur, qui n'existe plus dans les témoignages moderne d'enfance malheureuse, toujours trop crus. 


Loïc Di Stefano

Mouloudji, Enrico, Gallimard, "l'imaginaire", mai 2014, 162 pages, 7,50 eur

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