"Hors la nuit" de Sylvain Kermici

Noir, oppressant, et d'une écriture tellement maîtrisée, Hors la nuit de Sylvain Kermici nous plonge dans les angoisses d'un jeune homme qui se retranche dans une non-vie pour échapper à ses démons : il vit seul dans un appartement délabré, travaille dans un placard à enregistrer machinalement dossier sur dossier, n'a de loisirs que ceux que l'alcool lui offre. Une vie pour rien. Une vie à déchoir sans cesse au fond de soi et dans un abîme de non-vie, comme les terrains-vagues qui entourent sa cité. Jusqu'au jour où il rencontre Isabelle, parce que sa belle-sœur veut faire revivre les liens familiaux, parce qu'elle est enceinte, parce qu'elle trouve dommage que les frères se connaissent si peu. Mais au lieu de lui ouvrir l'espoir d'une rédemption vers une certaine normalité, Isabelle, cette femme si gentille et si douce, va devenir l'obsession qui lui ouvrira les portes de son propre enfer.

"Vous entendez des voix. Vous les avez toujours entendues. [...] Vous n'avez plus la possibilité de repousser les voix, si seulement vous l'avez eue un jour. 
Au fond, vous ne le souhaitez pas, tant le plaisir de s'y abandonner enfin, et complètement, est grand." 

Comme le doigt du destin qui écrase son personnage, Sylvain Kermici utilise le "vous" (1) narratif, assez acrobatique mais parfaitement maîtrisé, et contribue à l'ambiance étouffante de ce court roman d'une rare densité et d'une vraie beauté littéraire qui se donne dans chaque phrase. La noirceur y est condensé à l'extrême jusqu'à devenir troublante et la violence presque une délivrance pour le lecteur. Qui respire enfin...

Loïc Di Stefano

Sylvain Kermici , Hors la nuit, Gallimard, "Série noire", octobre 2014, 112 pages, 9,90 €

(1) A ma connaissance, le seul grand écrivain du "vous" est Michel Butor, dans La Modification. Mais Kermici pourrait y faire référence car son roman est aussi celui d'une modification, même si l'issue est un pas de plus dans la noirceur et non pas, comme chez Butor, un pas de retrait.

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