Roger Gilbert-Lecomte : le Voyant qui écrit peu, mais l’essentiel
Obsédé par l’idée d’un avant-naître, Roger Gilbert-Lecomte acceptera de subir les pulsions de destruction dans son processus de création. Ainsi, sa poésie valorise-t-elle la présence du vide, la circulation mystérieuse du vent créant une harmonie stylistique née des aspérités de ces poèmes si différents (très courts, hachés, longs et sinueux, musicaux, etc.) qui hypnotise le lecteur.
C’est un poète qui cherche, se cherche et finit dans la joie d’avoir trouvé ce chemin qui mène à la poésie, parcours pénible mais fructueux depuis le Chaos jusqu’à la félicité de la découverte : cette vraie poésie qu’Antonin Artaud salue dans sa préface, qui est génésique et chaotique […] et quand elle n’est pas si peu que ce soit anarchique, quand il n’y a pas dans un poème le degré du feu et de l’incandescence, et ce tourbillon magnétique des mondes en formation, ce n’est pas la poésie.
Un lyrisme moderne se dessine au fil de la lecture, Roger Gilbert-Lecomte a décidé de rompre avec la mode littéraire de son époque pour s’orienter vers un ton plus organique, orgiaque même, fait d’humidité ardente et de déchirures, imposant ce lyrisme authentique qui est le fruit de la force de vie, source intime de son inspiration. Avec un regard porté vers cette Orient de l’extrême qui, à l’image de la poésie tibétaine, nous offre un poème foudroyant dans l’évocation de la chute spirituelle de cette âme prise au piège de l’incarnation.
Le lecteur sera vite captif de ces images fortes qui (dé)nouent des sonorités que le refoulement inconscient avait tendance à nous faire oublier. Cette poésie en spirale se construit dans la violence du propos, les nœuds syntaxique et les mots abrupts.
UN SOIR
Un soir Il viendra vous surprendre
Mais apprenant soudain que Il
C’est trois boules multicolores
La peur vous allume la tête
Sous ce diadème de boules
Et la colonne de mercure
Un homme se trouve si seul
Qu’il en demande un ciel au ciel
Ne sachant pas encore ou plus
Que par des chemins inconnus
À cette heure monte vers lui
Annoncé par l’oiseau tempête
Le cheval volcan de tout feu
Né du frottement des trois boules
Il proclamera l’implacable nécessité d’une métaphysique expérimentale, c’est-à-dire oser s’ouvrir à l’absolu par l’expérience, en rejetant tous les dogmes. Une perspective libertaire de ce voyant qui sait que sa quête de l’issue ne trouvera jamais de réponse dans les limites de l’humain : il est donc à l’opposé du croyant. Roger Gilbert-Lecomte s’affranchit de tout ancrage pour mieux débusquer les illusions et détruire les leurres… Nier tout pour se vider l’esprit. Il ne sera jamais un disciple !
Il sera donc un révolté, cette clé du mouvement de la vie
qui va lui permettre d’avoir la force de, systématiquement, tout remettre en
question dans tous les instants. Et pour répondre à ces hommes [qui] crèvent en
mordant leurs poings dans toutes les nuits du monde, Roger Gilbert-Lecomte
œuvrera à imposer la poésie comme pierre angulaire du possible renouveau :
Aussi « Poésie » devant tous
les concepts de cette raison a nom « subversion totale » et devant
toutes ces institutions « Révolution ».
Se révolter pour se
révéler.
François Xavier
Roger Gilbert-Lecomte, La Vie l’Amour la Mort le Vide et le Vent – et autres textes, préface d’Antonin Artaud, choix et présentation de Zéno Bianu, Poésie/Gallimard, février 2015, 210 p. – 7,10 €
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