Roger Gilbert-Lecomte : le Voyant qui écrit peu, mais l’essentiel

Vous tenez ici, entre vos mains, un livre rare, l’anthologie d’un poète exceptionnel, cofondateur de la revue du Grand Jeu : Roger Gilbert-Lecomte (1907-1943) qui ne publiera de son vivant que deux recueils, dont celui-ci. Auteur précoce aux yeux bleus-violet, marchant dans les traces d’un certain Rimbaud – qu’il vénérait – qui, à seize ans, écrivit Tétanos mystique… et mourut, vingt ans plus tard, d’une crise de tétanos dans un hôpital parisien (sic). Poète visionnaire et déchiré, enclin à la métaphysique, qui exerça sur ses proches une intense fascination au point que sa veuve se retrouva traînée devant les tribunaux par André Malraux, en 1968, car elle s’opposait à la publication de sa Correspondance.

 

Obsédé par l’idée d’un avant-naître, Roger Gilbert-Lecomte acceptera de subir les pulsions de destruction dans son processus de création. Ainsi, sa poésie valorise-t-elle la présence du vide, la circulation mystérieuse du vent créant une harmonie stylistique née des aspérités de ces poèmes si différents (très courts, hachés, longs et sinueux, musicaux, etc.) qui hypnotise le lecteur.

C’est un poète qui cherche, se cherche et finit dans la joie d’avoir trouvé ce chemin qui mène à la poésie, parcours pénible mais fructueux depuis le Chaos jusqu’à la félicité de la découverte : cette vraie poésie qu’Antonin Artaud salue dans sa préface, qui est génésique et chaotique […] et quand elle n’est pas si peu que ce soit anarchique, quand il n’y a pas dans un poème le degré du feu et de l’incandescence, et ce tourbillon magnétique des mondes en formation, ce n’est pas la poésie.

 

Un lyrisme moderne se dessine au fil de la lecture, Roger Gilbert-Lecomte a décidé de rompre avec la mode littéraire de son époque pour s’orienter vers un ton plus organique, orgiaque même, fait d’humidité ardente et de déchirures, imposant ce lyrisme authentique qui est le fruit de la force de vie, source intime de son inspiration. Avec un regard porté vers cette Orient de l’extrême qui, à l’image de la poésie tibétaine, nous offre un poème foudroyant dans l’évocation de la chute spirituelle de cette âme prise au piège de l’incarnation.

 

Le lecteur sera vite captif de ces images fortes qui (dé)nouent des sonorités que le refoulement inconscient avait tendance à nous faire oublier. Cette poésie en spirale se construit dans la violence du propos, les nœuds syntaxique et les mots abrupts.

 

UN SOIR

 

Un soir Il viendra vous surprendre

Mais apprenant soudain que Il

C’est trois boules multicolores

La peur vous allume la tête

 

Sous ce diadème de boules

Et la colonne de mercure

Un homme se trouve si seul

Qu’il en demande un ciel au ciel

 

Ne sachant pas encore ou plus

Que par des chemins inconnus

À cette heure monte vers lui

Annoncé par l’oiseau tempête

 

Le cheval volcan de tout feu

Né du frottement des trois boules

 

 

Il proclamera l’implacable nécessité d’une métaphysique expérimentale, c’est-à-dire oser s’ouvrir à l’absolu par l’expérience, en rejetant tous les dogmes. Une perspective libertaire de ce voyant qui sait que sa quête de l’issue ne trouvera jamais de réponse dans les limites de l’humain : il est donc à l’opposé du croyant. Roger Gilbert-Lecomte s’affranchit de tout ancrage pour mieux débusquer les illusions et détruire les leurres… Nier tout pour se vider l’esprit. Il ne sera jamais un disciple !

 

Il sera donc un révolté, cette clé du mouvement de la vie qui va lui permettre d’avoir la force de, systématiquement, tout remettre en question dans tous les instants. Et pour répondre à ces hommes [qui] crèvent en mordant leurs poings dans toutes les nuits du monde, Roger Gilbert-Lecomte œuvrera à imposer la poésie comme pierre angulaire du possible renouveau : Aussi « Poésie » devant tous les concepts de cette raison a nom « subversion totale » et devant toutes ces institutions « Révolution ».
Se révolter pour se révéler.

 

François Xavier

 

Roger Gilbert-Lecomte, La Vie l’Amour la Mort le Vide et le Vent – et autres textes, préface d’Antonin Artaud, choix et présentation de Zéno Bianu, Poésie/Gallimard, février 2015, 210 p. – 7,10 €

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