Les Lusiades de Luis de Camoes : révolutionnaire

Luis de Camoes, est un auteur presque inconnu, dans le sens où l’on ne connaît ni sa date ni son lieu de naissance, ni son cursus universitaire et si peu sur sa vie que ne demeure… que son œuvre. L’édition originale des Lusiades a paru à Lisbonne en 1572, dont deux exemplaires sont conservés à la BnF. 1572 qui est d’ailleurs une année bénie, puisqu’elle voit Ronsard publier les quatre premiers livres de la Franciade.

Ce – long – poème compte mille cent deux stances, soit huit mille huit cent seize décasyllabes, répartis en dix chants, et entièrement composés en huitains, comme deux autres chefs-d’œuvre contemporains : le Roland furieux de l’Arioste (1532) et la Jérusalem délivrée du Tasse (1575).

 

Livre célébrant les découvertes, les exploits et la geste de Vasco de Gama, ce poème est avant tout une invitation au voyage, à ce fameux voyage qui changea à tout jamais les relations Occident-Orient : il s’agit de la première épopée européenne, en quelque sorte, dans le cas où l’on perçoit ce chant héroïque dans lequel Luis de Camoes porte une certaine Europe incarnée en un petit peuple qui s’affirme comme médiateur dans un échange provoqué, au dessein universel. Les Lusiades, poème candide, peut-être, aspire à une mutuelle reconnaissance des peuples et des cultures. Il sera le poème des rencontres, de la découverte, de l’aspiration à aller vers l’Autre.

 

Conscient de son rôle, Camoes écrit avec un sens aigu du récit, avance vers l’inconnu sans peur tout en n’oublions jamais de célébrer son point de départ, portugais, chrétien et européen… Homme de l’époque des grandes découvertes de ce XVIe siècle qui explore autant la planète qu’il s’invite dans la carte du ciel, Camoes se tient à la rupture des âges. Il parvient ainsi à faire coexister des éléments antithétiques : la tradition et l’innovation, la platonisme et l’aristotélisme, la culture livresque et l’expérience vécue, la mythologie et le christianisme, la piété et la cruauté… Mais parce qu’il chantait des choses vraies, le poète accorda une extrême importance aux récits historiques et à d’autres témoignages authentiques : sur le périple de Vasco de Gama mais aussi sur d’autres voyages, sur les techniques, le calendrier, le régime des vents, le climat, etc.

Ainsi, Les Lusiades, au-delà de leur valeur littéraire et esthétique, forment une sorte d’encyclopédie, somme rassemblant une grande part du savoir, théorique comme pratique, de l’époque. C’est un livre unique dont les chants invitent à une prise de conscience du monde tel qu’en lui-même il est : maillé, divers, changeant. Livre- éclaireur qui, dans l’esprit des bateaux de Vasco de Gama, ouvrira une voie nouvelle vers d’autres temps tout aussi nouveau, réalisant en cela, au sens le plus littéral, une révolution.

 

 

Puis vient la Dalmatie. A la précise place

Où des murs Anténor fit édifier jadis,

La superbe Venise, d’origine si basse,

En reine de la mer du sein des flots surgit.

De là s’étend un bras, qui malgré les entraves

Put courber sous son joug l’Univers en vainqueur,

Bras fort des Italiens, d’hommes adroits et braves,

En courage, en esprit, non moins supérieurs.

 

 

François Xavier

 

Luis de Camoes, Les Lusiades, traduit du portugais par Hyacinthe Garin, préface de Vasco Graça Moura, avec une adresse d’Eduardo Lourenço, Poésie/Gallimard, 460 p.- 9,70 euros

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