Jean-Pierre Lemaire l’affirme : il y a bien un Pays derrière les larmes

Ne vous laissez pas piéger : si tout à l’air simple et ordonné, le poème de Jean-Pierre Lemaire est tout sauf primaire. Le lire donc avec cette lenteur si chère à Kundera ; d’ailleurs ne voit-on pas poindre l’influence hongroise (Jànos Pilinszky) ou tchèque, d’ailleurs (Vladimir Holan) voire russe (Boris Pasternak), poètes qui accompagnèrent bien des nuits blanches… Il faut dire que l’Histoire des années 1980-90 a bien suscité de questionnements chez Lemaire, et son écriture a suivi : voici une poésie où il est question de murs qui s’écroulent, de frontières qui se traversent, de distances, d’échanges, de rythmes respiratoires… d’altérité, finalement.

Poésie à plusieurs sens où les mots sonnent d’autres vocables que l’initialement perçu, et seule la lente lecture permettra au sous-jacent de remonter des abysses pour venir éclore dans l’iris de notre cerveau soudain illuminé. C’est l’appel du poème !

 

Il y aurait donc une autre voie, un autre pays derrière ce rideau de larmes, et plutôt que de dormir debout, lire ce recueil construit de poèmes choisis – à dessein – vous donnera à vivre une expérience en sollicitant des pans de conscience endormie par l’affront fait à l’Homme depuis que le digital a remplacé votre mémoire par deux pouces frénétiques qui s’agitent en vain sur un écran tactile, une lecture en forme d’énigme qui sollicitera la spiritualité dont vous faîtes si peu preuve alors qu’elle aussi, tapie au fin fond de votre Moi, ne quémande qu’une chose : se libérer des peurs inutiles…

 

Longues ombres déjà dans le matin d’automne.

Au début, la lumière est toujours aussi jeune.

Elle se bat bien : les bouleaux, les toits

la boîte aux lettres jaune à l’angle du mur

sont passés dans son camp. Elle semble savoir

comme les héros que sa vie sera courte.

Le Ressuscité, mort à trente-trois ans

toujours premier levé, l’encourage ne silence.

Aie pitié de nous dont la vie est lente

qui dépassons l’âge où mourir est beau.

Nous attendons couchés comme le Roi Pêcheur

que la lance d’or atteigne notre lit

et sonde les nœuds de l’enfance humiliée.

Alors, notre mort refluerait de la fin

pour rejoindre la tienne, et nous la passerions.

 

La poésie est votre amie. Elle va vous aider à (re)découvrir et (re)explorer tous ces territoires oubliés qui ne sont pas aux antipodes de la mappemonde que vous ne regardez même plus, mais en vous-même. « La difficulté d’atteindre ce territoire », précise Jean-Marc Sourdillon dans sa préface, « ne tient donc pas à son éloignement mais, au contraire peut-être, à sa trop grande proximité. » Aveugles à force de se coller le nez aux écrans, nous avons l’impérieux besoin que le poète nous dise où regarder. Puis comment franchir ce rideau de larmes, aller dans l’au-delà de la douleur et recouvrer l’apaisement.

 

Profondément ancrée dans une culture chrétienne, la poésie de Jean-Pierre Lemaire n’est jamais aussi sublime dès lors qu’elle surpasse les premiers rêves d’une écriture polyphonique pour accoster aux rivages de la Sagesse. La voix se fait discrète, douce, limpide… S’interrogeant sur cette présence, le poète se la figure comme une femme qui lui apprendrait à relire sa propre vie, et ainsi le réconcilierait avec le monde car, nous-dit-il, sous le regard de la Sagesse « l’imagination réconciliée ne prétend plus corriger le réel ; mais elle épouse en lui le mouvement de la vie promise, de la vie à naître, enfouie dans la tristesse, le sommeil et la mort ».

 

François Xavier

 

Jean-Pierre Lemaire, Le pays derrière les larmes – Poèmes choisis, préface de Jean-Marc Sourdillon, Poésie/Gallimard n°509, février 2016, 384 p. – 8,80 €

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