Pervers & Cie : la fête continue !

Sophie Chauveau eut le triste privilège de naître dans une famille de dégénérés, qu’elle nomme par décence des pervers. Or, n’en déplaise aux bien-pensants et aux bourgeois serviles, les crimes sexuels ne sont pas des actes pédophiles, et cela relève plus de la dégénérescence, de la bestialité, de l’horreur que d’une once de perversion si adroitement glissée entre la poire et le fromage…

Serge André (qui a travaillé sur les perversions) et d'autres cliniciens ont expliqué la différence entre un pédophile et un criminel sexuel : le pédophilie est "amoureux" de jeunes enfants, mais jamais il n'impose l'acte charnel, tout au plus le demande-t-il mais il n'y a jamais violence ni contrainte ; le criminel sexuel, lui, est un sadique, violent, qui agresse l'enfant et obtient par la force ce qu'il désire.


Le récit de Sophie Chauveau débute par le siège de Paris, en 1870, quand son aïeul a la subtile idée d'aller tuer les animaux du Jardin des plantes pour nourrir les Parisiens. C'est le début de la fortune : voilà ce jeune provincial, peu instruit mais débrouillard, devenir le traiteur du moment, et ouvrir boutique place de La Madeleine puis avenue de l'Opéra. Les générations n'auront de cesse de faire grossir l'affaire, la bourgeoisie s'encanaillera de plus en plus, les pervers s'autorisant tous les méfaits...


Mais quelle est donc cette société dépravée que la nôtre qui ose encore admettre dans le Code pénal la notion de prescription pour les crimes sexuels ?! D’ailleurs, cela est ridicule pour tous les crimes ! Le Code pénal anglo-saxon est nettement plus juste : outre que tout crime demeure « opérable » devant la loi à n’importe quel moment, mais aussi le justiciable est innocent à preuve du contraire, quand en France c’est à vous de démontrer que vous l’êtes dès lors que l’on porte une accusation contre vous. D’où la prescription histoire de tenter de s’en sortir avec la douce lenteur des procédures et autres recours quasi infinis (cour d’appel, cour de cassation, conseil d’Etat, cour des droits de l’homme, cour européenne de justice, etc.) ; et tant pis si cela avantage les salauds.

Surtout pour les crimes commis sur des enfants !

 

Comment admettre que l’arsenal judiciaire ne soit pas à l’écoute des enfants maltraités ? Comment admettre que la notion de perpétuité réelle (j’entends au sens littéral du terme : le violeur meurt en prison) ne s’applique pas et que la récidive soit légion ? N’oublions pas le témoignage de ce criminel belge qui demandait à être euthanasié car il savait pertinemment qu’il allait rechuter dès sa sortie… Comment protéger les enfants quand ce sont les membres de sa propre famille qui les agressent ?

 

Le récit de Sophie Chauveau est consternant, déroutant, assommant tant le trait est forcé… mais tout est vrai, cela dure depuis 1870, de père en fils, les monstres reproduisent leurs agressions, et rien ne change, on peine à y croire et pourtant… Alors quand la Justice faillit, reste la place publique pour tenter de faire avancer le débat, mais le sujet est délicat ; une fois encore le sexe fait sourire, et les sempiternelles remarques abjectes (jupe trop courte, trop maquillée, elle l’a cherché, etc.) s’invitent, à croire que l’homme est réellement débile et monstrueux, incapable de se contrôler, de réfléchir, d’assumer, et bien entendu de légiférer comme il se doit.

« Un homme, ça s’empêche », disait Camus. Mais y a t-il encore des hommes au pouvoir dans ce pays ?

 

Ce pays qui publia en 1973 le roman de Tony Duvert, Paysage de fantaisie, accueilli par des articles dithyrambiques : l’expression d’une saine subversion, qu’ils écrivaient !... Un récit des jeux sexuels entre un adulte et des enfants. Il y eut aussi Quand mourut Jonathan (1978), l’aventure amoureuse d’un artiste d’âge mûr avec un petit garçon de huit ans. Relisons la chronique du Monde (14 avril 1976) : « Tony Duvert va vers le plus pur ». Et que dire de L’île Atlantique en 1979 qui lui a valu des éloges de Madeleine Chapsal ? Quant aujourd’hui on bannit Richard Millet parce qu’il n’aime pas le multiculturalisme. Mais dans quelle époque vivons-nous ?!

 

C’est d’autant plus important de témoigner que la société détourne encore le regard : quand ce n’est pas madame Dutroux qui est libérée par anticipation contre l’avis du procureur du roi (qui se garde bien de tenter quoi que ce soit pour interférer dans la procédure, se contentant de geindre devant les caméras mais protégeant coûte que coûte sa carrière), c’est Daniel Cohn-Bendit qui, quand il ne donne pas de leçons à la terre entière, avoue sa déviance comme si de rien n’était…

 


 

Remarquez, je connais un ancien ministre de la culture apparenté à un ancien président de la République qui a écrit un livre détaillant par le menu ses frasques sexuelles sur des mineurs, en Asie et ailleurs, et au lieu de le jeter dans un cul de basse-fausse, un autre président, « le petit », s’est enorgueilli de son « courage », de sa « sincérité »… alors, les bras m’en tombent…

 

Wittgenstein affirme dans son Tractatus que le monde est tout ce qui a lieu ; qu’il est la totalité des faits, non des choses ; qu’il se détermine par les faits, et par ceci qu’ils sont tous les faits. Ainsi, le monde dans lequel nous vivons se décomposerait en faits, et uniquement. Car leur totalité déterminerait ce qui avait lieu, et aussi tout ce qui n’avait pas lieu.

J’en conclus donc que le drame de Sophie Chauveau fait partie du monde, même si c’est totalement insupportable…

 

Franz Kafka a écrit à Oskar Pollak, en 1904, « Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme la mort de quelqu’un qui nous est plus cher que nous-mêmes. »

Nous devons donc lire le livre de Sophie Chauveau comme un acte de résistance. Lire ce livre comme un engagement. Lire ce livre comme un geste de compassion. Lire ce livre comme une obligation à faire bouger les choses. Lire ce livre, pour la mémoire de toutes ces victimes silencieuses qui se meurent dans l’indifférence générale…

 

François Xavier

 

Sophie Chauveau, La fabrique des pervers, Gallimard, mai 2016, 280 p. – 19,50

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