George Sand l'anticipatrice

Le recyclage actuel et les glissades des genres permettent de ressortir de la naphtaline certaines œuvres secondaires des armoires où elles auraient dû rester. C'est pourquoi nous pouvions craindre le pire en abordant un texte où "Gabriel", élevée en garçon pour une sombre affaire d’héritage, ne se doute pas que son vrai nom est "Gabrielle".

Ce "Il"  du "Elle" va pouvoir goûter à tous les délices d’une éducation libre jusqu’au jour où, tombant amoureux de son cousin, il/elle fait rapidement connaissance avec les interdits et les tourments de son sexe réel.

Le texte de Sand est sidérant. Car sur cette trame, elle écrit une analyse des plus subtiles des sortilèges de l’ambiguïté sexuelle. L’ambivalence amoureuse est décrite à la manière d'un manifeste anticipateur. Il est chargé d’indignation, d’ironie. L'auteure y "dit" son fait aux différences d’éducation et de vie entre les garçons et les filles, entre les hommes et les femmes.

A lire cette pièce, le lecteur comprend pourquoi George Sand y tenait tant. Néanmoins et en dépit des tractations de Balzac elle ne put la faire jouer. L'auteur de "La Comédie Humaine"  la  mettait au niveau des pièces de Shakespeare.

C'est sans doute exagéré. Toutefois dans cette œuvre écrite à Marseille d'un retour de voyage avec ses enfants et Chopin, George Sand met son cœur, son expérience et ce non sans regret. Le texte n'en prend que plus de force et permet de comprendre la vision originale de l'auteure. Elle fut capable de se renouveler sans cesse et de nous étonner toujours.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

George Sand, Gabriel, édition de Marine Reid, Folio-Théâtre, Gallimard, mai, 2019, 320 p., 8,40 euros

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