Gérard Depardieu, l'innocent aux mains sales

Notre « Gégé » national est résolument un être à part. Nul n’oserait remettre en cause son immense talent d’acteur qu’il a entraîné dans des chefs d’œuvre autant que dans des films mineurs. Ce bourlingueur de l’actorat ne recule devant rien et dévore tout ce qui lui tombe sous la main. C’est un ogre. C’est Falstaff.


Par sa position, par son envergure, il est la cible favorite de bien des critiques. Depuis ses débuts – et même depuis son enfance – il en a pris plein la gueule. Aujourd’hui madré, blindé, il rit des attaques, se gausse des commentaires.


Si Gérard Depardieu s’est ainsi imposé c’est parce qu’il est un être entier. Il n’est qu’à le rencontrer pour s’en rendre ô combien compte. Il dégage une incroyable chaleur qui vous fait croire presque instantanément que vous êtes son ami. Comme Marlon Brando – avec qui il a beaucoup de points communs – il ne répond jamais vraiment aux questions et suit le cours de ses pensées, qui peut le mener très loin.


En revanche, il dit toujours ce qu’il pense faisant fi des salamalecs, des ronds de jambes et du bien-pensant. Je l’ai vu enguirlander en public des producteurs, leur enfonçant le nez dans leur médiocrité. Gérard ne mâche pas ses mots. Il vit de coups de cœur et de coups de gueule, de passions et d’envies. Il abhorre ce qui est tiède, veut se brûler les ailes pour sentir la chaleur de la vie.


Son naturel est époustouflant. Dans tous les domaines. Ainsi, en pleine interview, il m’a un jour regardé dans les yeux pour me dire avec un immense sourire : « Arrête tes questions, je dois aller faire caca ! » Cela peut paraître vulgaire voire grossier et pourtant non. C’était tout simplement naturel. Parce que la nature est en lui et il a, finalement, parfaitement raison de balayer de basses considérations professionnelles pour satisfaire un besoin présent. Nul autre que lui oserait. Les gens biens sont des culs serrés, lui ose tout. Vraiment tout.


Car Depardieu n’a rien à perdre. Plus exactement, il est prêt à tout perdre. On lui annoncerait demain qu’il doit renoncer à tous ses biens matériels pour aller vivre dans une roulotte au fin fond d’une contrée perdue, il ne lèverait pas même un sourcil. Il irait dans ce trou avec un infini plaisir. Y rencontrer les gens du cru et avant la fin de la première journée se ferait un tas d’amis qui le protégeraient, le cajoleraient, l’aimeraient.

Sa quête c’est l’humain. Le paysan qui laboure son champ, l’artisan qui cisèle son travail, le réalisateur qui mouille sa chemise, l’acteur qui ne pense pas à son cachet. Il le répète souvent au fil des pages de ce nouveau livre. En réalité, il ne dit presque même que cela.


Il croit en l’homme. En l’individu. Non dans les sociétés, les religions, les groupements, les castes. Il croit en l’homme qui mène sa propre vie, se consacrant à ce et ceux qu’il aime. Quel que soit sa fonction, sa race, sa couleur et même son sexe. L’Homme.


Dans cet Innocent au titre un peu trompeur (qui ne trouve sa véritable explication que dans les toutes dernières pages), il ne cherche pas à s’expliquer mais à se raconter. Contrairement à ce que le texte sur le dos de la couverture pourrait laisser supposer, il ne s’agit pas pour lui de se défendre des innombrables accusations dont il a été la victime. Il ne signe ni un plaidoyer ni une plaidoirie. Il raconte ce qui l’attire et ce qu’il déteste dans un monde qu’il commence à bien connaître. Il a été (presque) partout et a côtoyé trop de représentants de cette race que l’on dit humaine.


Passant parfois du coq à l’âne, il met en exergue – entre autres – sa haine viscérale de la politique (et des politiciens), son amour de la Russie (qu’il oppose à sa méfiance de l’Amérique), il vilipende les religions, défend un cinéma qui ose… Sans chercher à se faire des amis, ni des ennemis. Il expose ses points de vue avec des arguments basés sur son vécu et ses montagnes de lecture. Le bon sens n’est jamais loin.

«Ma seule force c’est la vie, c’est de regarder les gens et d’être avec eux » écrit-il (p 73).


Tout Gérard Depardieu est là.


Son livre commence par ses rencontres cinématographiques (Michel Simon, Jean Gabin, Pierre Brasseur, Marcel Dalio…) et se poursuit avec des anonymes qui l’ont touché pour se terminer, en vrac, par des considérations sur son enfance, son métier, la cuisine, le mariage, les femmes, la vie... L’ogre Depardieu a toujours les yeux ouverts. Il ne se repose jamais.


Philippe Durant 


Gérard Depardieu, InnocentLe cherche-midi, novembre 2015, 188 pages, 16,80

4 commentaires

Comme ca M. Depardieu est aussi ecrivain, pas seulement cela mais realiste, revelateur de la personne qui il est.....superbe.

Dominique1

Je cite:"Je l’ai vu enguirlandé en public des producteurs, leur enfonçant leur nez dans leur médiocrité"

Comment s'appelle ce site sur lequel je tombe pour la première fois? "Salon littéraire" Ah bien bien...
C'est sûr les gars, pas foutus de faire la différence entre entre un infinitif et un participe passé, ça sent le salon littéraire en effet.
Et ça a été relu je suppose...

c'est corrigé, merci de votre vigilance 

éléve non cerieux

Pourquoi l'Innocent" aux mains sales ? Cet article est très bien écrit et super positif (comme il se doit) pour notre cher Gérard Depardieu.