Annie Girardot, un destin français

Le bel hommage


Après Clelia Ventura qui a récemment publié un livre sur son père, voici Giulia Salvatori qui fait de même sur sa mère. Grosso modo, le concept est le même : de nombreuses photos mélangeant vie professionnelle et vie familiale plus des témoignages de personnalités ayant travaillé avec l'artiste. Là s'arrêtent les comparaisons. D'un côté Clelia a choisi de servir un thème (l'amitié), de l'autre Giulia veut raconter « un destin français » c’est-à-dire retracer à grandes lignes la vie d'Annie.


Giulia a déjà écrit un livre sur ses relations avec « la » Girardot (La mémoire de ma mère - Ed Michel Lafon, 2007) et Annie elle-même rédigea un très beau livre de souvenirs (Partir, revenir, les passions vives – Le Cherche Midi, 2003). Ce nouvel album s'en démarque quelque peu. Il s'agit bel et bien d'un hommage et tous les témoignages vont en ce sens. Ce n'est que mérité, tant Girardot fut une grande actrice et l'une des rares stars féminines des années 70, avec Romy Schneider (dans un autre genre). Pendant plusieurs années elle fut en tête du box-office avec, fait rare, le soutien d'une bonne partie de la critique.


Concrètement l'ouvrage se divise en trois parties non distinctes mais mélangées : les légendes des photos rédigées par Giulia elle-même avec, forcément, beaucoup d'émotion et ponctuées de souvenirs personnels touchants ; les reproductions des lettres des artistes qui, toutes, rappellent le talent, la disponibilité et l'humour d'Annie ; et la pure biographie.


Sur ce dernier point, le livre pêche par faiblesse. En réalité, il ne s'agit pas à proprement parler d'une biographie mais d'un survol, rédigé par Alan O'Dinam. Outre qu'il a tendance à citer trop de critiques de journaux au détriment d'une présentation plus complète de certains pans de la vie d'Annie il lui arrive de se tromper. Lourdement. Mélanger comme il le fait (p 20-23) le Centre du Spectacle de la rue Blanche, le Conservatoire National d'Art Dramatique et la Comédie-Française ne peut qu'entraîner de la confusion. Mon propos n'est pas ici de débrouiller cet imbroglio mais, pour faire, court, disons que Jean Meyer n'a pas été le professeur d'Annie à la Comédie-Française mais son mentor, vu qu'il n'y a jamais eu de cours au sein de la Maison de Molière. Par ailleurs, dire que le film, La Pianiste, de Michael Haneke (dont l'auteur omet de citer le titre !) fut un « immense succès populaire » (p144) me paraît un tantinet exagéré.


Il est dommage que cette partie biographique n'ait point été rédigée avec le même soin que le choix des photos. De ce côté là rien à redire puisque l'on y découvre des clichés rares ou carrément inédits. Ainsi, comme souvent en pareil cas, l'objet devient un livre à feuilleter plus qu'à lire. On tourne les pages et on se souvient. De son rire, de ses larmes, de ses coups de gueule, de ses coups de cœur.


Bien sûr, Annie n'a pas joué que dans des « grands films » (qui l'a fait?) mais elle en était parfaitement conscience. Ainsi apprend-on grâce à ce livre qu'elle interdit à se fille de voir Les Novices où elle partageait l'affiche avec Brigitte Bardot. On la comprend : il s'agit d'un effroyable navet faussement égrillard où tous les soi-disant gags tombent à plat avec la légèreté d'un bloc de béton que l'on jetterait dans la fange. Le pire film de Girardot ? Pas si sûr.


Ce « destin français » (titre un peu abscons pour une actrice qui a beaucoup vécu et tourné en Italie) s'impose donc comme un hommage iconographique mérité à l'une des rares comédiennes qui réussit à passer avec le même talent, et le même impact sur le public, du rire au drame. Personnellement, si je ne devait retenir d'elle qu'une scène, elle ne se situerait pas autour d'un dialogue d'Audiard (eh non !) mais dans ses trop courts passages de La Gifle où elle est d'une vérité bouleversante.


Philippe Durant


Giulia Salvatori, Annie Girardot, un destin français, Michel Lafon, novembre 2012, 29,95 €

1 commentaire

Bel album photo qui réhabilite cette grande dame honteusement oubliée par le cinéma français pendant une grande traversée du désert