Le Horla version Guillaume Sorel

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d’eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, – l’avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

Tout le propos du Horla de Guy de Maupassant, dans sa seconde version de 1887, est condensé dans ces propos du moine qu'interroge le narrateur lors de son séjour au Mont Saint Michel et qu'il retranscrit dans son Journal, inachevé. Bon bourgeois vivant en hédoniste solitaire, tout commence quand le narrateur prend le frais sur la terrasse de sa villa et admire les bateaux qui passent, dont un brésilien qui attire son attention. Un peu plus tard, un sentiment d'étrange inquiétude s'empare de lui, et le conduit peu à peu aux bords de la folie. C'est d'ailleurs sans doute cette folie qui mettra un terme au récit. 

Nouvelle adaptation de ce récit majeur du XIXe siècle, c'est au tour de Guillaume Sorel de s'emparer du texte de Guy de Maupassant et d'en livrer une version somptueuse. Il y a un vrai combat graphique entre la lumière et l'ombre, entre la beauté incroyable des décors (intérieur avec bibliothèque, vue dominante de Paris, etc.) et l'oppressante noirceur des moments de solitude quand le Horla s'empare du narrateur, ou s'en approche, ou simplement manifeste sa présence. Toute la force du récit de Maupassant est dans cet entre-deux, ce non choix du récit réel d'un événement surnaturel ou de la folie pure et simple du narrateur. Et Guillaume Sorel parvient à rendre cette atmosphère.

Seule petite retenue, le choix de Guillaume Sorel d'incarner le Horla. Bien sûr, la BD permet moins de choses que la littérature ou le cinéma en matière de suggestion, et qui plus est son incarnation est graphiquement superbe, mais Maupassant dit bien « Quel est-il cet invisible rôdeur d'une race surnaturelle ? »... mais comment dessiner l'invisible ? 

Guillaume Sorel a donc fait un choix d'adaptation, ainsi que pour la fin du récit, et d'autres petites anecdotes qui viennent enrichir sa version, mais les puristes tatillons sauront passer outre tant ce qu'il propose est cohérent et, surtout, d'une grande beauté : il a su rendre sien cet univers fantastique particulier et le magnifier.


Loïc Di Stefano

Guillaume Sorel, Le Horla, Editions rue de Sèvres, mars 2014, 64 pages, 15 eur
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