L. était si jolie, Pierre Szalowski





Je chronique habituellement des écrits du monde de l’espionnage et parfois, plus rarement, quelques polardeux de talents. Alors, il me fallait expliquer au rédacteur en chef du Salon littéraire mon intérêt pour L. était si jolie, de Pierre Szalowski. 

Tout d’abord, voilà un auteur au patronyme polonais qui est né en 1959 le jour de la visite officielle de Nikita Khrouchtchev aux États-Unis : « ce hasard n’est pas fortuit » aurait dit alors son ange gardien au mien, qui couvait déjà l’étincelle d’un regard amoureux qui ferait de moi, bien plus tard, un joli bébé à l’avenir si incertain.


De plus, Pierre parle le québécois comme un parisien, ne se perd pas au Canadian Tire de la rue Sherbrooke (East, bien entendu), ni à l’Ikea du 9191 boulevard Cavendish, ce repère d’espions des pays du Nord qui baptisent de noms de code abscons de pauvres bibliothèques qui ne tiendraient pas un seul hiver sur un balcon de Montréal.


Szalowski se promène chez lui en chaussons de marque – comme James Bond - et porte, même sous la douche, le chandail de Carey Price, qu’on dit miraculeux et toujours trop grand, quelle que soit la personne qui l’enfile, même Requin dans Moonraker.


Encore plus mystérieux, il s’isole quelques fois sur un bateau, avec l’excuse éculée des hommes du renseignement qui expliquent leur goût immodéré pour le poisson aussitôt pêché et rejeté, alors que tout Européen quelque peu perspicace sait qu’aucun être vivant ne peut tenir sur un lac canadien sans mourir en quelques secondes, dépecé par les maringouins, dévoré par les mouches noires, les bibites à chevreuil et autres nuages de créatures prêtes à fondre sur le plus petit centimètre de tendre pendant les deux ou trois seuls jours de l’année où l’eau n’est pas avalée par la banquise, et quand homme blanc coupe du bois, hiver rude.


Ajoutez à tout cela la touche finale, - mon chef-d’œuvre - chuchotée la main cachant mes lèvres, un regard suspicieux posé sur la femme de ménage qui s’approche un peu trop près de la conversation. Une unique référence à son passé : oui, monsieur ! Parce qu’en plus, Pierre Szalowski fut journaliste, et le simple quidam connaît la promiscuité entre ce vil métier et la barbouzerie. Oui, mais pas seulement. L. était si jolie est presque un polar, aussi, un « suspense implacable » dit de lui son attachée de Presse. Je suis d’accord avec elle, j’ai découvert un petit roman, presque une novella, ciselé, monté comme un scénario de thriller, délicieusement machiavélique.


Avec Pierre, nous nous croisâmes sans nous rencontrer. Nous conduisîmes des camions pour des ONG lors des grandes grèves de Pologne qui marquèrent la fin de l’Histoire du monde soviétique. Nous aurions pu défiler de concert, tapant sur des casseroles dans les rues de Montréal. Nous aurions dû dédicacer au Salon du livre de Québec, dans ce temps si lointain où je survivais sous des mètres de la neige canadienne en me demandant – coudonc – pourquoi Champlain n’avait pas choisi le Mississippi plutôt que les rives du Saint-Laurent.


Pierre Szalowski ayant pu être un espion des Bruins de Boston, infiltré parmi les excités du Centre Bell, il a l’allure de cet éternel adolescent qui fait craquer les dames et désarme les jaloux, dégingandé, la voix douce qui vous explique qu’il doute de tout, surtout de lui, mais jamais de l’équipe du CH de Montréal ni de la capacité de ses chiens à lire toutes ses pensées, surtout pendant le dîner.


Il eut une carrière fournie, œuvra comme photographe et scénariste, graphiste et, selon un appel urgent de son ami et confident Martin Michaud, je peux vous certifier qu’il fut aussi lanceur argentin de couteaux, reconnu pour son subtil cabeceo  - avec le mouvement d’une mèche rebelle, d’un coup de son front puissant - quand il donnait des cours de tango.


Jeune immigré, il participa à l’aventure Ubisoft chez nos cousins d’outre-Atlantique avec le succès que vous connaissez.

Par choix, il avait débarqué au Canada en 1997. Il s’y était fixé, avec encore quelques cheveux, ce qui est un atout nécessaire quand on y vit ses premiers véritables hivers et surtout celui de l’année suivante qui gela la région de Montréal après une pluie verglaçante historique qui bloqua une économie pourtant habituée à la rigueur du grand frète.


Cette expérience – pas le tango argentin, Martin, mais l’hiver - lui offrit son premier roman, une perle d’humour tendre, un joli conte d’hiver à lire près de la cheminée, le sourire et la larme prêts à poindre, sans jamais pousser le lecteur, juste en l’accompagnant. Je l’ai lu à Québec, sous cinq mètres quarante-deux  de neige (vérifiez, nous y étions) alors que naissait l’écrivain qui ne se croyait alors qu’un auteur chanceux. Le petit bijou fut quelquefois ouvert encore, pour finalement comprendre que Pierre Szalowski avait le talent de traduire sa délicatesse amusée de la vie en mots simples, un léger ruisseau printanier, une dentelle à déchirer.


Le froid modifie la trajectoire des poissons est une réussite d’édition toujours au présent, traduit en autant de langues que nous a offert la chute de la tour de Babel. Il fait toujours le bonheur des chroniqueurs littéraires, éclipsant même le deuxième roman de l’auteur – cette malédiction -, que je n’ai pas lu – je m’en veux – et j’en viens enfin au petit nouveau.


L’éditeur VLB pensa un jour que mettre un auteur connu au sein d’un collectif ferait la richesse de sa publication par le miracle de la multiplication des talents. Ce fut le cas avec l’Orphéon et plus tard en 2013, autour du thème de la disparition d’un Vol 459 en provenance de Paris. Le problème, dans le premier comme le second, avec l’idée d’une série à mains multiples aux auteurs choisis avant l’écriture des manuscrits, est que vous pouvez commencer sa lecture en jouant de malchance. Éditeurs, sachez qu’il n’y a pas de magie de l’œucumélangisme littéraire. Souvent, les auteurs se refrènent, économisent leur brio. Ils font constater inconsciemment à leurs admirateurs, par la retenue du mot, le modeste et le bâclé du texte, que les lecteurs ne doivent pas confondre leur participation collective à un jeu d’édition avec leur œuvre personnelle et indépendante.


Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, je commençais la lecture de la tétralogie par amitié, je laissais vite tomber la suite.


L. était si jolie est pourtant l’un d’entre eux, mais ma surprise fut que ce roman n’avait rien à voir avec les autres, peut-être parce que là, c’est une hypothèse de ce facteur humain qui mène mes travaux, l’exercice permettait à Pierre Szalowsky de sortir de son Poissons, travailler un de ces exercices que nous, les tâcherons de l’écriture, appelons négritude littéraire, qui aide à s’exonérer de la malédiction qui n’existe jamais, peut-être parce que le penser porterait malheur.


Ce roman arrive en France pour notre plus grand bonheur, édité par EHO et son éditeur amateur des mêmes cigares que votre serviteur, donc un saint homme, sorti du contexte éditorial précédent et c’est tant mieux, peut-être un peu réécrit, parce que je n’ai trouvé qu’une fois ce « une porte barrée » que je jalouse de ne pas me faire corriger à chaque fois que je le place dans un manuscrit.


L’histoire aurait pu être un polar classique sur le thème d’une vengeance féminine, mais elle est construite à l’envers, par la technique d’un Colombo, pour déterminer non pas qui est l’auteur, mais comment a-t-il fait, toujours avec ce sourire que ne lâche pas Szalowski quand il va vous raconter une histoire drôle : pas pendant, vous m’avez bien compris, là il s’esclaffe avant la conclusion, non, avant, le rictus qui prévient ses enfants et ses chiens, le « préparons-nous, il va en sortir une bonne ».


Le drame est donc raconté avec cette science de la retenue qui fait l’écriture de cet auteur original, fait de précision aboutie, proche du cinéma qu’on verrait bien le scénariser.


Les personnages y sont campés naturellement, parce qu’il les connaît bien, les écoute aussi, les suit donc dans l’aventure, en vous faisant comprendre qu’il n’y peut rien.


Bon, il faut vous prévenir que j’ai tremblé sur cet Airbus A330 qui s’envole de Montréal un 12 septembre 1992, parce que ledit avion ne décolla qu’en janvier 1994, pour cette bonne ville de Marseille qui arrange toutes les histoires à sa façon. Et puis, je me suis attaché aux héros, même de passage, comme cet octogénaire dont on ne retrouvera que la canne dans le pavillon d’un voisin après une explosion de gaz qui lancera l’affaire, mais qui aura tant d’importance dans la conclusion.


Je me suis attaché à sa nièce qui enquête sur un squelette de femme (qui ? sera le sujet du roman) découvert dans les ruines de sa maison. J’aurais bien aimé dîner avec le légiste alcoolique, pour écouter ses dialogues avec les morts, ces fantômes si vivants qui pleurent quand les enquêtes n’avancent pas. Même l’enfant de l’agent immobilier, du genre à revendre sur Ebay dans la rubrique « perdu ou pendu », devient un pion du jeu de Szalowski, fait d’histoires croisées qui toutes nous emmènent doucement vers une chute surprise.


Bon, comme dans ce pari de placer un mot dans un discours, l’écrivain nous offre l’accident du vol 459 en provenance de Paris, sans grand espoir de nous voir nous en souvenir. Il survole la commande éditoriale, bascule alors du récit tranquille au polar noir, accélère ses phrases et ne nous lâche plus.


Il y a un sourire dans la conclusion de ce petit bijou, un rebondissement qui écrase les théories que vous auriez imaginé tout au long du récit, il y a aussi ce mélange de tristesse amusée, cette nostalgie passée qui renoue les cicatrices et vous laisse refermer le roman avec une seule déception, celle d’avoir lu trop vite. Bravo monsieur l’écrivain.


Patrick de Friberg

 

L. était si jolie, Pierre Szalowski

Éditeur : Héloïse d'Ormesson (4 mai 2016)


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