« Notre cher Marcel est mort ce soir », dans l'intimité de Marcel Proust

Au 44 de la rue Hamelin, à Paris, où il vient d'emménager, Marcel Proust n'occupe qu'une seule pièce, sa chambre. Certains diraient qu'il n'occupe d'ailleurs que le lit, dans lequel il passe le plus clair de son temps, travaille, se soigne. Ses affaires entassées occupent plusieurs autres pièces, et la très fidèle Celeste veille sur la maison, c'est pour ainsi dire sa plus proche parente, celle qui veille sur lui comme une mère son enfant malade. Ses livres, si précieux, ceux de Ruskin ou de Madame de Sévigné, sont dans le boudoir. La chambre est un bureau, un asile, un salon, une salle de concert, tout un monde très ordonné dans lequel vit Marcel Proust, ce monde qu'il a fabriqué pour s'isoler de l'autre, des bruits, de la vie, et contingences. Il fallait les qualités d'âme et de style du grand connaisseur qu'est Henri Raczymow pour nous faire entrer avec beaucoup de délicatesse dans cette intimité. 

Ce récit à rebours qui conduit vers l'inexorable 18 novembre 1922 n'est pas triste, mais au contraire regorge de vie et de plénitude. Ce n'est pas le récit d'une agonie, c'est celui d'une vie qui se prolonge dans un univers très rigoureusement ordonnancé pour finir une oeuvre infinissable dans une existence qui se prolonge comme par miracle chaque jour. Proust est un survivant, un phénomène médical ! et sa vie, telle qu'Henri Raczymow nous en raconte la fin, est celle d'un combattant et de ses manies. Les dîners à faire venir du Ritz, ses rares sorties de plus en plus soutenues médicalement et ses folies de génie pour atteindre à la perfection de son œuvre, comme lorsqu'il invite un quatuor à jouer dans son salon, à jouer pour lui le Quatuor en ré majeur de César Franck, qui servira de base à la sonate de Vinteuil. Il fallait cela, à ce moment précis, pour que l'émotion le submerge et que son intelligence saisisse ce moment particulier qui sera l'un des piliers de la Recherche

L'écriture sensible et attachante d'Henri Raczymow suit les derniers moments d'un homme toit attaché à son œuvre et qui ne voit pas la mort arriver avec effroi, c'est sa vieille camarade. Ses derniers visiteurs, comme son frère Robert ou Reynaldo Hann, ses dernières sorties, ses derniers projets. La veille de sa mort, il se porte assez bien, mieux que les jours précédents où il était alité. Mais il s'affaisse, et les efforts de son frère médecin seront impuissant à retarder un peu plus encore l'inéluctable. Proust meurt à cinquante-et-un an, laissant la Recherche inachevée, inachevable sans doute, et les murs de la rue Hamelin ne bruissent plus de cette magie si particulière qui engendra la plus puissante et incroyable création littéraire du XXe siècle.

Loïc Di Stefano

Henri Raczymow, « Notre cher Marcel est mort ce soir », Denoël, avril 2013, 115 pages, 14,50 eur

NB : réédition de ce bel essai aux éditions Arléa, octobre 2014, 144 pages, 8 eur

présentation de l'éditeur : 
"Proust meurt le 18 novembre 1922 à cinquante et un ans au 44, rue Hamelin à Paris. Si toute vie prend son sens en regard de sa fin, celle d’un écrivain se double d’une autre course de vitesse. Deux adversaires s’opposent : le souci d’achever son oeuvre et la mort qui se rapproche. Aura-t-il le temps d’atteindre son dernier mot, de poser le mot « fin » ?Pour Proust, les choses sont encore plus tragiques. Car la Recherche est une oeuvre toujours à reprendre, à corriger, à nourrir. Par principe, elle est sans fin. Proust malade et se sachant condamné, son attentive et dévouée gouvernante Céleste à ses côtés,

lutte non tant pour survivre quelques jours ou même quelques heures mais pour, une fois encore, ajouter, biffer, corriger son immense chef-d’oeuvre, ce souci interminable."

11 commentaires

anonymous

Inachevée, la Recherche ? Tiens, donc...

anonymous

absolument, Proust n'a cessé de remplir sa Recherche de l'intérieur, déjà au départ le "simple" Jean Santeuil puis trois puis cinq volumes... Il est certain que s'il avait poursuivi sa vie il aurait continué d'enrichir son oeuvre. 

anonymous

Ça reste un abus de langage de votre part, la Recherche est terminée. Ce n'est pas "L'homme sans qualité". D'ailleurs, la fin est somptueuse et conçue comme un espace symphonique destinée à clôturer le livre. 

Un livre qui s'enrichit de l'intérieur est-il fini ? un livre dont la fin incite à relire le début (voire à commencer comme certains le préfère par la fin) est-il fini ? 

anonymous

si je puis modestement vous départager, je dirais seulement cela : la Recherche est à la fois terminée et inachevée parce que inachevable. Quant à la fin (le Temps retrouvé), Proust l'a écrite aussitôt dans le prolongement du début (pour montrer que son œuvre avait une grande cohérence)

anonymous

Vous ne pouvez pas nous départager en ne choisissant aucun camp : La Recherche est achevée.  Point final. Et l'auteur meurt. 

anonymous

Cela dit et entériné (que la  Recherche est achevée), il faudrait en revenir au livre de Raczymow qui montre une belle intimité dans la connaissance de Proust et fait parler Céleste avec une aisance naturelle.

Un petit regret cependant, la mort elle-même n'est pas accompagnée de suffisamment de violons et de coups d'archets, Proust s'éteint presque comme une anecdote alors qu'on aurait voulu voir le rideau se déchirer....

Proust a ceci de flaubertien qu'il ne pouvait / voulait conclure, d'où la notion de cycle dans le procès de lecture de son oeuvre. L'auteur meurt, la belle affaire ! disons alors que l'oeuvre n'aura pas une ligne de plus (sauf si Cérésa...) mais qu'elle n'est pas achevée au sens où l'auteur avait souhaité y revenir, inlassablement.


Quant à la fin de Proust, pourquoi vouloir un concert quand toute sa vie aura été une sonate ? Il a vécu dans le délitement de soi-même et cette mort confirme un long cheminement. Pourquoi donc Raczymow aurait-il dû mettre de la fanfare quand tout son récit va lentement vers cette fin naturelle, modeste, effacée ? Je trouve au contraire de vous (anonyme 2 - signez parbleu !) qu'il y a une belle logique narrative dans ce calme et silencieux départ.

proust était et sera toujours l'un des auteurs qui ont marqué leurs présence dans le monde littéraire.

réédition de ce bel essai aux éditions Arléa, octobre 2014, 144 pages, 8 eur