Le bandit voyageur, Jack Bilbo, Rebelle par passion

S'il existe quelque éditeur courageux, petit mais musclé, dénicheur de textes ahurissants et qui dépasse les autres maisons d'une tête, ce pourrait bien être les Fondeurs de Briques, éditeur basé dans le Tarn, à Saint-Sulpice-la-Pointe (je n'ai pas inventé ce toponyme).

J'avais déjà dit dans ces virtuelles colonnes tout le bien que je pensais de Jack Black, auteur de Yegg. Autoportrait d'un honorable hors-la-loi, et de la biographie de Traven par Jonah Raskin... sans même rappeler les romans de Max Aub, les inédits de José Bergamin ou de Miguel de Unamuno, etc... C'est un plaisir de feuilleter le catalogue de ces gars-là : on devrait tout acheter les yeux fermés.

Cette fois, il s'agit d'une espèce de monstre, un OLNI (*) inquiétant, un mélange d'autobiographie, de mémoires et de roman, bien que sur ce dernier point l'on se méfie : après tout, il est possible que ce Jack Bilbo ait vécu (1907-1967) tout ce qu'il raconte. C'est assez bien traduit de l'allemand. De plus, il jouit du sauf-conduit de Henry Miller, pas tout à fait l'épicier du coin, plutôt un géant généreux, qui non seulement l'avait gratifié d'une préface, mais encore de quelques lettres (vers 1963) que nous trouvons en fin de volume.

Le lascar avait mal commencé : né Hugo Baruch en Allemagne, il est martyrisé par sa mère et largué par son père. Un seul choix se présente à lui : il s'en va. Il nous fait penser d'abord à un Suter imaginé par Blaise Cendrars au début de L'Or, puis à une manière de Traven qui aurait rapidement viré sa cuti : costumier à New-York chez les Ziegfeld Follies, il est dépucelé par de jolies starlettes et initié au gangstérisme le plus strict par les sbires d'Al Capone.

Il devient l'un des gardes du corps de ce bandit.

Au lieu de juger ces truands qui le stupéfient, il les observe. Il nous décrit le palais et la bibliothèque d'Al Capone, ses meubles anciens, ses manies, ses gueulantes. Il évoque le code de l'honneur de sa nouvelle famille, les bootleggers, les mœurs des gunmen, des snappers et autres « gardiens » : « Après une bataille en bonne et due forme, la bonne humeur revenait. Nous étions amis comme devant. Oublié non seulement la bagarre, mais aussi le danger que nous avions frôlé. Et de rire de tous ces nez en sang et de ces yeux pochés.

   Arriva mi-novembre le bal des gangsters. »

Bien sûr, je ne détaillerai pas ici le menu de toutes ses fredaines. Il est partout, mêlé à tout, curieux de tout, rencontre tout le monde : des jeunes filles échappées de l'Assistance publique, des gens de cinéma, Fritz Lang, Peter Lorre, des Indiens du Mexique, des Berlinois, son père (à nouveau paternel), des Parisiens, Braque, Picasso, Soutine, un assassin russe qui complote contre le président Doumer, le préfet Chiappe (qu'il n'aime pas du tout), et des nazis (qu'il préfère tabasser).

De plus en plus moqueur, désabusé, anarchiste au grand cœur, combattant aux côtés des républicains espagnols, peintre marié en Angleterre (la presse titre alors : « Le Peintre-Gangster » !), notre homme finit par se demander qui il est, et que faire d'une existence qui donne le tournis à force de dispersion et d'aventures. C'est sans doute un des aspects les plus intéressants de ce récit, qui aborde de front la question : sommes-nous vraiment ce que nous croyons être ? Ne sommes-nous pas capables de nous duper nous-même avec la plus grand acharnement ?

Ne résumons donc pas ce que fera Jack Bilbo durant la guerre, et ce qu'il adviendra de sa nouvelle épouse. Et nous ne raconterons pas non plus pourquoi il fut poursuivi par des jonques au large des Célèbes : il vous faut lire Rebelle par passion.


Bertrand du Chambon 


* OLNI : Objet Littéraire Non Identifié.


Jack Bilbo, Rebelle par passion, suivi d'une correspondance avec Henry Miller, éditions Les Fondeurs de Briques 2014. 442 pages. 23 €.

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