Auschwitz, les nazis et la solution finale, ou la construction de l'inhumain

Le plus célèbre des camps de concentration nazi (1) coïncide dans son évolution à la mise en place de la Solution finale, visant à anéantir les Juifs du IIIe Reich. Ce document magistral, appuyé sur une somme inégalée d'entretiens (avec des survivants, des anciens nazis, etc.) et les études les plus récentes, pose l'horreur dans sa réalité non fantasmatique et invite à la conclusion définitive : le réel est plus effrayant.


Tout commence par la construction d'un camp de concentration « normal », installé en Pologne pour y accueillir la population du Ghetto de Lodz. Une succession d'évolutions liées aux événements de la guerre et à la radicalisation du comportement nazi à l'égard des Juifs, d'abord honnis en groupe du fait de leur responsabilité supposée dans le déclenchement et la défaite de la Première Guerre mondiale et ses conséquences humiliantes pour l'Allemagne (occupation de la Rurh, dicktat étranger, etc.). Puis, afin de soutenir leur effort de guerre, les nazis en viennent à établir que ces sous-hommes peuvent être utiles, comme main d’œuvre soumise, et les juifs sont classés en deux catégories : utiles / inutiles, les deux catégories étant pareillement dépouillées de leurs biens. Les Juifs utiles doivent être placés dans les camps de travail, vendu comme cobayes ou main d’œuvre, les autres doivent mourir, partant que de toute façon, notamment pour la campagne de Russie, Hitler avait établi que ses armées évolueraient sur les réserves de nourriture des populations locales et à leur détriment. Ne doivent être nourris que les « utiles », les autres, de part leur simple existence, sont une charge, qu'il faudra alléger.


Le premier déclencheur qui va faire se transformer le camp de travail d’Auschwitz, pareil à tous les autres jusqu'en juillet 1941, est l'arrivée massive des prisonniers politiques soviétiques, dont le sort va vite devenir un enfer d'inhumanité. Leur traitement au sein même du camp va se différencier par sa férocité et la mise en place de la volonté de tuer. A cet effet, en octobre 1941, se construit l'extension Birkenau, qui est la véritable évolution du camp de travail en camp de la mort. C'est une véritable Zone d'Intérêt qui s'installe autour d’Auschwitz, en lien étroit avec l'industrie (les nazis fournissent la main d’œuvre) et la campagne de Russie : la volonté de purifier les nouvelles étendues du Reich conduit à l'industrialisation de la mort.


Les premières chambres à gaz sont des camions dont le branchement des gaz d'échappement en direction de la cabine crée une chambre isolée et meurtrière. Après la Conférence de Wansee en  janvier 1942 où Eichmann et Himler posent les bases de la « solution finale » et de l'extermination des Juifs (2), le camp de travail devient un lieu de mort massive. La mise à mort s'industrialise et, en même temps, pour éviter une trop lourde gestion, les nazis mettent en place un mensonge destiné à rendre dociles les populations débarquées au camp pour y être exterminé. Les chambre à gaz sont là pour vous désinfecter, restez tranquilles, déposez vos affaires vous les retrouverez après, ainsi qu'un bon bol de soupe. Rudolf Höss, responsable du camp, ainsi que l'ensemble des gardes et des médecins qui assistent aux arrivées massives (dont le Dr Mengele de sinistre mémoire), plaisantent parfois même avec les hommes et les femmes qu'ils vont exterminer, afin de maintenir l'illusion. La finalité ? l'ordre, une foule crédule se manie plus facilement qu'une foule en colère. Ainsi, c'est le plus souvent dans un grand calme que les Juifs marchent à leur mort.


La spécificité d'Auschwitz par rapport aux autres camps, notamment Belzec, Sobibor ou Treblinka construit en 1942 d'emblée pour y exterminer les populations qui y seraient envoyées, c'est sa frénésie finale, la montée progressive de l'ignominie.


Ce document exceptionnel, en impose à la fois par la rigueur de ses analyses que par l'humanité des histoires personnelles au travers desquelles l'auteur choisit de raconter la « vie » dans le camp. Que ce soit le jeune nazi Oskar Gröning qui accepte la routine du camp, le prisonnier politique Kazimierz Piechowski à l'origine de la plus importante évasion, Pavel Stenkine qui figure parmi les rares premiers prisonniers soviétiques à avoir survécut, et tous les autres qui témoignent, se forme  un tableau incroyable. Parallèlement aux figures historiques qui traversent cette histoire du camp : les nazis (Himmler, Mengele, Heydrich, etc.), Chaim Rrumkowski (qui dirigea d'une main de fer le ghetto de Lodz et tyrannisa ses compatriotes juifs), les grandes questions liées à la Solution finale et au comportement nazi sont abordées : le rôle de la France dans le déportement des Juifs non-français, le comportement du Danemark qui a protégé sa population, l'incroyable annecdote de la déportation d'une habitante des îles anglo-normandes, la vie dans le ghetto de Lodz, tout ce qui en périphérie de l'histoire pure du camp d'Auschwitz permet d'en comprendre la création et l'évolution.


Auschwitz, les nazis et la « solution finale » est un ouvrage remarquable, riche, humainement instructif et qui n'ergote pas : il pose la question de l'inhumain et donne tous les éléments pour comprendre cet événement aux frontières de l'intelligible.


Loïc Di Stefano


(1) Sauf pour la population anglaise dont un sondage récent nous apprend que 65 % d'entre elle ne sait pas ce que c'est qu’Auschwitz !


(2) Soit 2 ans après le déclenchement de la guerre.


Laurence Rees, Auschwitz, les nazis et la « solution finale », Albin Michel, janvier 2005, 400 pages, 21,50 euros

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