L'assassinat d'Henri IV de Jean-Christian Petitfils - Un cluedo historique

L'ASSASSINAT D'HENRI IVUn cluedo historique

 

Historien, Jean-Christian Petitfils s’est déjà penché sur Louis XIII, Louis XIV ou encore Louis XVI. Il s’attaque ici à une image d’Epinal, celle d’Henri IV et de son assassinat, le 14 mai 1610. La problématique de son ouvrage, comme il le reconnaît lui-même, peut paraître incongrue : qui a assassiné Henri IV ? Il ne s’agit pas de défoncer une porte déjà ouverte, Ravaillac a bien porté le coup qui fut fatal au Vert Galant. Il s’agit plutôt de s’interroger sur le mobile, la personnalité de l’assassin et surtout sur l’existence ou non d’un complot visant à se débarrasser du roi. Aussi, Jean-Christian Petitfils reprend le dossier depuis son commencement et mène une véritable enquête historique, emboîtant les différentes pièces du puzzle jusqu’à ce qu’elles forment un tout cohérent.

 

Le docteur Olive et mademoiselle Rose

 

La réputation d’Henri IV en ce qui concerne les femmes n’est plus à faire : homme à femmes, volage, celui que l’on surnomme le Vert Galant a cumulé les maîtresses parmi lesquelles Gabrielle d’Estrée ou encore Henriette d’Entragues qui lui donneront une descendance aussi nombreuse qu’illégitime. Les amours du roi peuvent paraître hors sujet quand il s’agit d’établir le mobile du régicide et pourtant ils sont au cœur d’une intrigue qui se met en place début 1609. L’âge ne semble pas assagir le roi : à 55 ans, Henri IV croise le regard de Charlotte de Montmorency «merveilleusement blanche, d’une beauté miraculeuse ». Notre Hercule est terrassé et c’est peu de le dire. Promise d’abord à Bassompierre, l’un des fidèles d’Henri IV, ce dernier décide de la marier à Henri II, prince de Condé, fils de son cousin germain et connu pour ses penchants homosexuels. Ce mariage devait lui permettre de courtiser librement la belle Charlotte et plus si affinités. Mais c’est sans compter Henri II qui ne peut tolérer d’être le dindon de la farce. Prenant peu à peu conscience de l’intrigue, ce dernier décide d’enlever la maîtresse du roi qui n’est autre que sa femme. Un rapt de légitime défense donc. Le couple se réfugie à la cour de Bruxelles, auprès de l’archiduc Albert. L’acte est grave : les Pays-Bas sont liés à l’ennemi naturel de la France, l’Espagne et le prince de Condé est le premier prince de sang.

 

Les Pays- Bas espagnols forment à l’époque une vice-royauté autonome au sein de l’empire des Habsbourg. L’archiduc Albert et sa femme Isabelle, fille de Philippe II, gouvernent donc sous la suzeraineté du roi d’Espagne. Jouissant de la paix apportée par la trêve de douze ans signée avec les Provinces-Unies (1), l’archiduc et sa femme voit l’arrivée du prince de Condé et de sa femme d’un mauvais œil : sur la demande de l’ambassadeur de France, ils refusent dans un premier temps de les accueillir à la cour. Mais blessé par les menaces d’Henri IV, l’archiduc décide de changer de tactique.

 

L’incident diplomatique prend de l’ampleur : Henri IV est furieux, persuadé que les Flamands et les Espagnols soutiennent la candidature du prince de condé au trône de France. Il faut garder en tête les conditions d’accès au trône d’Henri IV et les nombreuses conspirations auxquelles il a déjà dû faire face (2). Il organise donc l’enlèvement de la belle Charlotte, enlèvement qui échoue et provoque la colère de l’archiduc, bien décidé à ne pas s’en laisser compter.

 

 

La succession des duchés de Clèves et Juliers complique encore cette crise politico-sentimentale. Le souverain, Jean Guillaume le Simple, meurt en mars 1609 sans héritier. La position des duchés entre les Provinces-Unis, les Pays-Bas Espagnols ainsi que la proximité immédiate de la France fait de la succession un enjeu majeur au sein du Saint Empire germanique divisé alors en trois confessions, catholique, luthérienne et calviniste. Les prétendants sont nombreux : l’électeur de Brandebourg, le comte palatin de Neubourg, l’électeur de Saxe, le duc de Nevers… Face à cette situation et surtout pour en garder le contrôle, l’empereur Rodolphe II décide de placer les duchés sous séquestre provoquant une vive émotion en France. Henri IV ne peut laisser la maison d’Autriche, et donc les Habsbourg, prendre autant de puissance sans réagir. La tension internationale déjà tendue devient explosive : l’ancien protestant converti au catholicisme mobilise ses troupes pour venir soutenir les princes protestants, ennemis du roi d’Espagne (3). Beaucoup accusent Henri IV de ruiner le catholicisme romain par sa politique de soutien aux princes luthériens. Une oreille est toute prête à recueillir ces accusations : celle de Ravaillac.

 

 « Le fou de Dieu »  dans le carrosse avec le poignard

 

Dans ce cluedo historique, découvrir l’assassin d’Henri IV n’est pas chose difficile car il est connu de tous : Ravaillac a bien poignardé jusqu’à ce que mort s’en suive Henri IV, ce 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie. Plutôt que de se demander qui, il semble plus intéressant mais aussi plus complexe de se demander pourquoi. Pour répondre à cette question, il faut d’abord d’intéresser à la personnalité du régicide. Originaire d’Angoulême, François Ravaillac est issu d’une famille de petits notables cherchant à s’élever dans la hiérarchie sociale par l’acquisition d’offices. Mais il est loin d’avoir grandi dans une famille heureuse et épanouie : son père, violent et dépensier, est mêlé au complot des ligueurs contre le duc d’Epernon que l’on avait voulu assassiner parce qu’on le soupçonnait de vouloir livrer la ville aux Huguenots. La découverte et l’échec de ce complot entraînent la misère et le déshonneur de la famille. Le seul soutien de la famille vient des oncles de François, chanoines de la cathédrale d’Angoulême qui lui donnent des leçons de lecture, d’écriture et de catéchisme. Il est élevé dans une atmosphère violente et dans la haine du calvinisme. Pour lui, Henri IV est un relaps, un tyran qui n’a aucune légitimité en tant que roi de France (4). Pourtant, l’idée d’assassiner le roi n’est pas une évidence pour lui. Le roi est l’Oint du Seigneur et par conséquent s’attaquer à lui est un sacrilège. 

 

 

A cette éducation catholique s’ajoutent des désordres mentaux qui s’accentuent avec le temps. Il entend des voix et se sent investi par Dieu. Pour accomplir sa destinée, il se rend à Paris et essaye de rentrer dans les ordres dont il est rapidement exclu. Il alterne les séjours entre Paris et Angoulême, est emprisonné et a bientôt des hallucinations où Dieu le pousse à purger « la nouvelle Babylone de ce profanateur de la religion » qu’est Henri IV. La mobilisation des troupes pour intervenir dans les duchés de Clèves et de Juliers est la goutte qui fait déborder le vase. Il part pour Paris. L’objectif n’est pas de tuer le roi mais de lui parler pour le dissuader d’intervenir auprès des princes huguenots. Plusieurs fois, il se présente au Louvre. A chaque fois, il est repoussé. En désespoir de cause, la seule solution pour lui est d’assassiner le roi, ce qu’il fait le 14 mai 1610.

 

Arrêté sur le champ, il est soumis à la question. Au cours des interrogatoires et de son supplice, il affirmera toujours avoir agi seul. Pourtant, les historiens contemporains ou non n’ont jamais voulu accepter sa version.  Ainsi est né « le mystère Ravaillac ».

 

La théorie du complot

 

Jean-Christian Petitfils reprend toute l’historiographie depuis le meurtre jusqu’à nos jours, reprenant les témoignages de l’époque pour évaluer le bienfondé des différentes thèses émises.  Toutes s’orientent vers un complot Lors de son arrestation, juste après le meurtre, un petit groupe d’hommes avait voulu mettre à mort le régicide mais en avait été empêché car on ne voulait pas refaire l’erreur commise lors de l’assassinat d’Henri III où Jacques Clément avait été massacré sans avoir pu être interrogé sur ses motivations et ses éventuels complices. Pour autant, son interrogatoire et son supplice ne nous apprennent pas grand-chose. D’abord parce que le procès a été bâclé : de nombreux témoins ayant rencontré Ravaillac quelques jours avant l’assassinat ainsi que sa famille n’ont pas été interrogés. Ravaillac, quant à lui réaffirme qu’il a agi seul. L’opinion ne peut se satisfaire de cette explication.

 

 Les Jésuites ?

 

Les premiers à être visés sont les Jésuites. Ce n’est pas la première fois que les Jésuites sont mis en cause dans une affaire de lèse-majesté (5), leurs doctrines tyrannicides les rendant forcement suspects. Ces théories remontent à l’antiquité en passant par Saint Augustin ou encore par l’évêque anglais Jean de Salisbury (6) qui admettait que l’on put mettre à mort un tyran par usurpation, c’est-à-dire celui qui s’est emparé du pouvoir de façon illégitime. Cette définition colle à l’image que Ravaillac pouvait avoir d’Henri IV. Bien que cette théorie soit séduisante, aucun lien direct entre Ravaillac et les Jésuites n’a pu être établi. Ce qui est cependant certain, c’est que ces doctrines ont été relayées dans les sermons que Ravaillac a pu entendre tout au long de son enfance.

 

 

La comtesse de Verneuil et le duc d’Epernon ?

 

 L’auteur s’attaque à la thèse de Michelet développée dans son Histoire de France en 1857 et reprise par Philippe Erlanger en 1957 : Ravaillac aurait été l’instrument d’un vaste complot mené par le duc d’Epernon, la comtesse de Verneuil et le couple Concini. Cette thèse implique la complicité tacite de Marie de Médicis et la participation de Philippe III d’Espagne. Elle repose  sur deux témoignages de l’époque : celui d’une certaine Jacqueline le Voyer, dit demoiselle d’Escoman et celui d’un capitaine de la garde, Pierre Dujardin. Pourtant  cette thèse, quoique pleinement construite, ne tient pas face à l’argumentation de l’auteur.

 

 

Intéressons-nous d’abord à Henriette d’Entragues, ancienne maîtresse d’Henri IV. Le mobile d’Henriette serait la vengeance et l’attrait du pouvoir. Vengeance d’abord d’une femme trahie, un crime passionnel en quelque sorte. Henriette d’Entragues croise le chemin du roi en 1599. Henri IV succombe à son charme et cherche par tous les moyens à obtenir les faveurs de la jeune pucelle. Loin d’être bête, celle-ci négocie sa virginité en échange d’une promesse écrite de mariage à la condition de donner au roi un fils dans les six mois. Henri IV s’appuie sur cette condition pour retrouver sa liberté et épouser Marie de Médicis. La liaison ne s’achève pas pour autant et Henriette alterne scènes d’amour et de fureur. Elle affirme haut et fort qu’elle est la véritable reine de France et que son fils, Gaston Henri de Verneuil, est le véritable héritier du trône. Le but aurait donc été la vengeance et la volonté de mettre son fils sur le trône. Pourquoi alors avoir attendu le couronnement de Marie de Médicis ? De plus le témoignage de la demoiselle d’Escoman doit être mis en doute car il comporte de nombreuses zones d’ombre et de contradictions.

 

 

Le second témoignage, celui d’un capitaine de la garde, vise le duc d’Epernon, qui  se trouvait dans le carrosse, rue de la Ferronnerie. Ancien archi-mignon d’Henri III, Epernon est le chef du parti catholique, l’un des partisans de l’alliance espagnole et le gouverneur d’Angoulême. Son visage était connu de Ravaillac. Cependant l’attitude même du duc lors de l’attaque dément sa participation : alors que certains lèvent leur épée contre Ravaillac, le duc les en empêche pour pouvoir par la suite l’interroger. Pourquoi prendre ce risque s’il est coupable ?

 

La complicité tacite de la reine ne tient pas plus longtemps : à cette époque, la reine n’a aucun goût pour la politique et rechigne à participer au conseil auquel le roi l’invite. La participation des Concini n’a pu être prouvée malgré l’acharnement des juges lors du procès de la Galigaï en 1617.

 

Reste l’implication de Philippe III d’Espagne, ennemi de longue date d’Henri IV. Auparavant, la monarchie espagnole n’avait pas hésité à recourir aux meurtres d’Etat(6). Pourtant, ici aucun document d’archives n’est venu prouver l’implication de l’Espagne. De plus peu de temps auparavant, un paysan du Rouergue avait proposé ses services pour éliminer Henri IV : elle avait été rejetée et le paysan livré aux autorités françaises. La possibilité de contester la légitimité du dauphin et de mettre le prince de Condé à sa place ne tient pas non plus : pourquoi, une fois de plus, attendre le couronnement de Marie de Médicis ?

 

Aucun de ces suspects ne peut donc être retenu.

 

Albert, l’archiduc humilié

 

Il semble bien qu’un complot, de plus petite envergure, ait existé à cette époque. Huit ou dix jours avant le meurtre, le bruit courait déjà que le roi avait ou allait être tué. Pour Jean- Christian Petitfils, cette rumeur tend à montrer qu’un complot venant de Bruxelles, avait été mis sur pied au moment même où Ravaillac commençait à envisager le régicide. Pour comprendre ce complot, il faut revenir au contexte international. L’intervention militaire organisée par Henri IV dans les duchés de Clèves et de Juliers, nécessitait de passer à travers les territoires de l’archiduc Albert. Ce qui ressemble fort à un ultimatum fut envoyé à l’archiduc qui supporte mal cette énième tentative d’intimidation. A cela, il faut rajouter que les Pays-Bas espagnols étaient devenus le refuge des ennemis d’Henri IV et qu’Albert était sensible aux thèses tyrannicides défendues par les Jésuites. Souffrant de n’être qu’un souverain d’opérette aux ordres du roi d’Espagne, l’archiduc Albert vit comme une humiliation de trop la demande d’Henri IV. Ce complot est sa revanche. Il semble bien qu’il est ordonné au comte de Salenove et au sieur de la Motte d’assassiner Henri IV entre le couronnement de la reine et la mise en marche de l’armée. L’existence de ce complot tend à être confirmée en négatif par l’absence de presque toute correspondance dans les semaines précédant la mort du roi.  Si l’existence d’un complot flamand ne fait presque aucun doute, Ravaillac a-t-il pour autant rencontré les conjurés ? L’ont-ils manipulé ? Des coïncidences troublantes tendent à l’affirmer. Il s’agit en tout cas de la thèse la plus solide aujourd’hui.   Quoiqu’il en soit, les juges de Ravaillac ont pris soin d’éluder ces pistes embarrassantes mettant en cause le roi d’Espagne ou l’archiduc Albert.

 

D’analyses en coïncidences troublantes, Jean-Christian Petitfils  mène une enquête historique qui tient autant de la recherche que du polar.  L’argumentation est solide, les références historiographiques et bibliographiques étayant chacun des arguments avancés.  Celui qui est finalement à l’origine de la légende henricienne revit sous sa plume.

 

Julie Lecanu

 

Jean-Christian Petitfils, L'assassinant d'Henri IV, Perrin
« Tempus », Mars 2012, première édition septembre 2009
9,20 €

(1) Cette trêve signée en 1609 marque une pause lors de la guerre de quatre-vingt ans aussi appelée révolte des Pays-Bas ou encore révolte des gueux. Cette révolte contre la monarchie espagnole s’achève par l’indépendance des sept provinces septentrionales sous le nom de Provinces-Unies, indépendance reconnue par le traité signé en 1648 par l’Espagne.

(2) Comme par exemple le complot de Biron en 1602. Ce complot mené par l’un de ses vieux compagnons d’armes, le maréchal de Biron, gouverneur de Bourgogne d’abord avec le duc de Savoie, puis avec le roi d’Espagne s’achève par l’exécution de Biron.

(3) Le traité de Vervins signé en 1598 entre la France et l’Espagne oblige normalement les signataires à ne pas porter assistance à leurs ennemis réciproques.

(4) Henri IV a été élevé dans la foi réformée par sa mère, puis devient catholique sous l’influence de son père avant de redevenir huguenot à la mort de celui-ci. Un mois après la saint Barthélemy en septembre 1572, il se convertit sous la contrainte avant de révoquer publiquement son abjuration en 1576. Relaps, il est excommunié. Après l’assassinat d’Henri III et face à la Ligue, il décide de revenir à la foi catholique et obtient le pardon pontifical en 1593. Il serait faux de qualifier Henri IV d’agnostique : il était profondément chrétien mais un chrétien tolérant cherchant la conciliation et la paix civile.

(5) En 1595, l’étudiant Jean Chastel, élève des Jésuites, avait essayé d’assassiner Henri IV. Cela avait débouché sur l’expulsion des Jésuites en janvier 1595 avant d’être rappelé en 1603.

(6) Elle avait commandité le meurtre de Guillaume d’Orange, chef de la révolte des Pays-Bas.

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