Georges Minois dépoussière la biographie de Charlemagne

Charlemagne dépoussiéréGeorges Minois est agrégé d’Histoire, docteur, ancien élève de l’ENS et professeur en lycée à Saint-Brieuc. Auteur de nombreux ouvrages, il a une prédilection pour le domaine culturel. Il vient d’écrire chez Perrin une somme de 700 pages sur Charlemagne, roi puis empereur des Francs entre 768 et 814. Le livre fourmille de détails, n’épargnant aucune source et employant judicieusement la bibliographie abondante sur le sujet, de Michelet à Jacques Le Goff… On a le bonheur de trouver la description et l’analyse des textes contemporains de l’empereur.

Le mythe de Charlemagne

La première partie de cette œuvre est consacrée à l’étude du mythe de Charlemagne à travers les âges. Tout commence quand Otton III,  empereur germanique, fait ouvrir le tombeau du grand homme. Il remplace un bout manquant de la dépouille par un élément en or (le nez, mauvais esprit !), l’habille de blanc et prend une dent et la croix en or que l’empereur défunt portait au tour du cou. On voit un Charlemagne allemand ou français, dernier Romain, humaniste puis utilisé comme faire valoir des Lumières et des anti-Lumières… On le retrouve symbolisant l’amitié franco-allemande, tant dans la division SS qui achève de se sacrifier à Berlin en avril et mai 1945, que dans la construction européenne avec la création du prix qui porte son nom, en 1950, à Aix-la-Chapelle. La lauréate de 2008, Angela Merkel, a reçu son prix des mains de Nicolas Sarkozy… 

Quel père pour l’Europe ?

Cette image de constructeur de l’Europe est le fil conducteur de l’ouvrage de Georges Minois.  L’empereur entreprend de construire une Europe cimentée par la foi chrétienne, au milieu de trois dangers : les Byzantins à l’est, les Musulmans au sud et les païens à l’est. Ses actions politiques sont raisonnables. On ne le voit pas entreprendre de croisade. Il rêve de la Cité de Dieu sur Terre plus qu’il ne la réalise. Il reste un Germain, un Franc avec des oripeaux romains, l’héritage de Constantin n’est pas à Aix-la-Chapelle ! Ses dispositions successorales ne dérogent en rien aux coutumes barbares, il n’y a pas de droit d’aînesse. Son empire sans nom est nominal… C’est celui de Charlemagne, le sien, point. Pas de grande victoire, pas d’œuvre étatique pérenne si ce n’est la véritable naissance de l’Europe médiévale par la substitution du principe du droit au principe de la foi comme fondement. Il ne peut être le symbole de l’Europe que dans sa volonté d’unir les peuples dans une foi commune sans songer à les uniformiser.

Un défi : le portrait psychologique de Charlemagne

Plus hasardeuse est la tentative de restituer la personnalité même de Charlemagne. En effet, la source la plus proche de l’empereur est une biographie hagiographique, celle d’Eginhard, grand lettré et homme de confiance du Carolingien. Georges Minois compense avec talent ce manque par une étude minutieuse des faits et gestes de Charlemagne. On a donc une enquête chronologique rigoureuse qui fait honneur au métier d’Historien, essayant de découvrir dans les faits, tous les facteurs de basculement et d’évolution psychologiques du personnage. On part du royaume que Charlemagne partage avec son frère Carloman avnt le retrait religieux de ce dernier. Seule tête, Charlemagne, obtient des succès mitigés dans sa politique d’expansion entre 772 et 780. Il affirme sa puissance dans la décennie suivante jusqu’au couronnement comme empereur en 800. Ce couronnement ambigu crée une situation où les deux têtes de l’Occident chrétien ne vont guère cesser de l’emporter l’une par rapport à l’autre. Le pape a été trop longtemps livré à lui-même…Charlemagne est un homme de plus d’1,90 mètre, gros mangeur, mais sobre, avec une activité physique intense… Il est sensible et autoritaire, très paternel. Il est obstiné, doté d’un solide bon sens sans être génial. Il aime la précision et la logique. Sa soif de culture est vive et il s’entoure de lettrés pour apprendre sans cesse… On ne peut que saluer Georges Minois dans ce qu’il peut arracher d’un passé si lointain pour nous brosser un portrait humain inédit d’un véritable mythe.

Didier Paineau 

Georges Minois, Charlemagne, Perrin, mars 2010, 713 pages, cartes, arbres généalogiques, notes, bibliographie, index, 26 euros

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