Une mise au point passionnante de Benoît Lemay sur "Erwin Rommel"

Après avoir écrit une remarquable biographie d'Erich von Manstein, le stratège de Hitler, Benoît Lemay se consacre à une figure mythique de la Seconde Guerre Mondiale : Rommel, qui incarne le soldat allemand exemplaire.

Une tête brûlée

Né en Souabe en 1891, Erwin Rommel n’est pas d’une famille noble ni liée à l’armée. Son père est professeur de mathématiques. Quand ce dernier constate que son fils ne tient pas en place et montre peu de goût pour les études, il envisage de l’orienter vers la carrière militaire. Si Erwin est réticent au départ, cela change vite, son père a eu le nez creux. Sous-lieutenant en 1912, Erwin égare une fille naturelle dans un amour de passage puis épouse Lucie, par amour. Sa première conquête s’en suicide. Lucie lui donnera tardivement un fils unique, Manfred, qui deviendra maire de Stuttgart. La guerre éclate et Rommel se révèle un excellent meneur d’hommes, doté d’une « baraka » inouïe. Il reçoit les plus hautes décorations dans les combats menés en Italie avec l’Alpenkorps. Comme beaucoup d’officiers, il est désespéré par l’armistice de 1918, qu’il attribue aux politiciens socialistes apparus sur le fumier des tentatives révolutionnaires. La thèse du coup de poignard dans le dos reçoit son adhésion totale.

Il a la chance de rester dans l’armée réduite à cent mille hommes par le traité de Versailles. Il obéit à la République qu’il méprise, en attendant l’homme providentiel… L’armée tolère la république car elle est autonome, formant un état dans l’état ! Rommel reste en retrait de la politique, il n’est ni nazi, ni antisémite ; Sa seule haine ce sont les socialistes et les communistes qu’il met dans le même sac. L’arrivée de Hitler au pouvoir comble ses vœux.

Le courtisan

Le destin met Hitler sur la route de Rommel en 1934 ; il s’en fait d’autant plus rapidement remarquer que Goebbels voit en lui un potentiel de propagande sensationnel ! Rommel est un officier issu du peuple et auréolé des décorations les plus distinguées.

Rommel obtient un succès énorme de librairie avec un manuel de combat d’infanterie. Hitler en est admiratif. Rommel devient l’attaché militaire du chef des Jeunesses Hitlériennes qui répond au doux patronyme de Schirach… Ce prussien l’apprécie peu ; il le trouve vulgaire et affligé du plafond moyen du militaire… Hitler n’en a cure. Il utilise de plus en plus les talents de Rommel dont la carrière s’envole : colonel, général en 1939, chef de la 7eme division blindée en février 1940 … Erwin  admire Hitler avec lequel il partage certains goûts comme l’amour de Napoléon… S’il y a quelque chose de mauvais en Allemagne, cela vient de son entourage… Sa division le déçoit car elle est équipée de chars Skoda pris en Tchécoslovaquie… 

Le hussard

Qu’à cela ne tienne ! Dès mai 1940, il franchit la Meuse et réussit à dépasser son collègue Gudérian ! Il va de l’avant, toujours, laissant sa division s’étirer dangereusement derrière lui, innovant sans cesse (ses chars tirent en roulant). L’inertie et le manque de moral des Français l’aident beaucoup… Quand il tombe sur les chars Matilda britanniques, il éprouve un peu plus de difficultés. Malgré tout, sa « division fantôme », comme on la surnomme, fonce vers la Manche, enfermant les meilleures troupes franco-anglaises dans une nasse. Il y a une vertu, assurément, à la présence des chefs en première ligne. L’avancée éclair de Rommel finit par faire peur à Hitler qui ne parvient pas à croire à la passivité des alliés. Il freine ses divisions, ce qui permet l’évacuation anglaise à Dunkerque !

En juin, Rommel est le premier à franchir la Seine. Goebbels est ravi et la propagande encense le fringant général. Rommel cède à son côté vantard…

Le vantard du désert ?

En janvier 1941, il est envoyé en Libye à la tête de l’Afrikakorps pour aider des Italiens malmenés par les Anglais. Sans ordre, avec des chars factices en renfort, il se lance à l’attaque ! Le succès fait oublier l’insubordination mais ses chefs italiens le prennent en grippe… Il est toujours en première ligne et la propagande de Goebbels masque les souffrances atroces de ses soldats. Malgré les efforts de la marine italienne, le ravitaillement a du mal à suivre. Rommel n’en a cure, il n’a que l’attaque en tête. Les fameux canons antiaériens 88 deviennent l’arme décisive contre des blindés anglais qui surclassent les panzers. Rommel devient le chef des forces de l’Axe en Afrique du Nord. Il est aimé de la plupart de ses soldats mais son imprévoyance, sa vantardise et son excitation agressive lassent ses officiers. Tout revers est dû à la trahison de ces derniers ou à la couardise des Italiens, par ailleurs bien mal armés… Rommel, lui, ne fait pas d’erreur ! Cependant, Rommel n’a aucun sens stratégique sérieux. La mollesse britannique lui sauve souvent la mise. À Tobrouk ses attaques coûteuses et mal conduites provoquent la colère de ses officiers : Rommel n’a pas pris soin de regarder les plans des fortifications que les Italiens avaient ! La guerre du désert a pour caractéristique des allers-retours brutaux. En mai 1942, le renard du désert fonce sur l’Egypte et cette fois s’empare de Tobrouk. Tout cela vient à point nommé pour faire oublier les nuages qui s’amoncellent en Russie. Il devient maréchal. Mais encore une fois, sa fougue ne vient pas à bout de la réalité. Il pénètre en Egypte avec des forces exsangues et piétine devant El Alamein. Churchill nomme Montgomery à la tête de la VIIIe armée. Ce général sans grand génie a la supériorité du matériel et sait décoder toutes les transmissions allemandes. Il repousse Rommel, inexorablement.

Le dépressif ?

Hitler, qui songeait à nommer Rommel chef de toute l’armée, change de ton. Il convoque son « renard » et l’insulte. Rommel sort de là comme un « caniche noyé », dira un témoin. Il ne peut arrêter sa retraite et devient même timide, imaginant un Montgomery beaucoup plus actif que ce dernier ne le sera jamais ! En Tunisie, Rommel se retrouve subordonné aux Italiens. Sa santé décline. De peur de voir le « fameux Rommel » se faire laminer par les alliés, Hitler lui impose un long congé maladie ; Tous les jaloux, ulcérés de la carrière accélérée du souabe, sont ravis et enfoncent le clou. Rommel, de fait, a perdu toute confiance en lui et en la victoire. Hitler l’envoie en Italie quand Mussolini est renversé en 1943, puis à Salonique pour prévenir un débarquement allié puis en France pour repousser le débarquement qui menace. Rommel ne combat plus mais son nom fait encore mouche. Il retrouve de l’énergie en s’activant sur le mur de l’Atlantique (mines, pièges…). Il croit comme Hitler à un débarquement en Normandie, puis finit par se rallier à l’idée d’un débarquement dans le Pas-de-Calais grâce à l’intoxication de l’opération Fortitude.

La fin

Les « gadgets » (Von Rundstedt dixit)  de Rommel n’arrêtent pas les alliés le 6 juin 1944, puisqu’ils choisissent marée basse. Une partie des divisions blindées sont au contact, selon l’indécision de Hitler qui ne tranche pas entre ses généraux. Rommel voulait repousser les Alliés sur la plage, connaissant leur écrasante supériorité aérienne. Mais cela aurait-il changé quoi que ce soit, c’est douteux, d’autant plus que pendant plus d’un mois, Rommel retient ses forces en attendant un second débarquement, avec Patton, dans le Pas-de-Calais. 

S’il essaye de convaincre Hitler de trouver une solution politique, s’il envisage de laisser passer les Alliés pour qu’ils soient les premiers à Berlin, en aucun cas il ne trempe dans le complot de Stauffenberg qui vise à éliminer Hitler. On le voit très dépendant affectivement du chef du Reich, retrouvant quelque vigueur quand il a parlé avec le « dieu vivant ». Son adjoint Speidel qui, lui, est au centre de la conjuration ne lui en dit rien. . Rommel a prêté serment et ne peut s’en libérer. Le 17 juillet, il est très gravement blessé par une attaque aérienne. Le 20, le complot contre Hitler échoue. L’enquête révèle que Rommel, sans avoir trempé dedans, a commis le grave péché de silence quand il a été approché à demi mots par les conjurés, il s’agissait de pression sur Hitler, pas d’attentat, et l’autre grave péché de défaitisme. Hitler demande donc à Rommel de se suicider en échange de funérailles nationales et… de l’assurance que sa famille serait bien traitée. Rommel s’exécute.

La légende

La légende du soldat brillant et intègre a prévalu pendant trente ans après la guerre. Elle arrangeait tout le monde. Les Anglais cachaient derrière le génial « renard du désert » leur médiocrité militaire crasse. Les Allemands, et notamment Speidel qui a exercé de hautes responsabilités à l’OTAN, redoraient leur blason avec un Rommel talentueux mais pas nazi, voire même conjuré du 20 juillet 1944. C’est l’historien anglais David Irving qui, dans les années 70, a commencé à déboulonner la statue du commandeur… Rommel apparaît alors sous la plume de Benoît Lemay comme un homme courageux, meneur d’hommes, mais vantard, servile et limité au rang subalterne dans ses compétences militaires.


Didier Paineau


Benoît Lemay, Erwin Rommel, Perrin, « tempus », (1re édition janvier 2009), février 2011, 12 € 


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1 commentaire

Hello,

Un commentaire intéressant, mais qui passe peut-être à côté d'une dimension essentielle du livre...

http://www.mapiledelivres.org/dotclear/index.php?post/2013/07/25/Rommel-et-le-plagiat%2C-de-Beno%C3%AEt-Lemay