Pierre Bouet raconte la bataille de "Hastings" (14 octobre 1066)

Ancien Maître de conférences  à l’université de Caen, Pierre Bouet a fait avancer l’enseignement du latin et notamment du latin médiéval. Il est spécialisé dans l’Histoire de sa région. Il a donc toute autorité pour inaugurer la nouvelle collection de Tallandier, "l’histoire en batailles". L’auteur s’appuie sur la tapisserie (en fait une broderie) de Bayeux, tout en soulignant ses faiblesses, comme le rôle finalement assez secondaire de la cavalerie alors qu’elle est mise en avant dans ce monument du patrimoine de l’Humanité. En moins de deux cents pages, Pierre Bouet  nous apprend des choses fondamentales sur un évènement que tout le public cultivé croit saisir. C’est à mon sens le principal mérite de l’ouvrage.

Le Droit contre le Droit

On part du contexte… Guillaume, fils bâtard du duc de Normandie, a dû batailler ferme pour s’imposer comme duc, à la mort de son père. Une fois en place, il dirige son duché de façon assez « moderne », notamment quant à l’efficacité de son administration. De l’autre côté de la Manche, le roi Edouard  le Confesseur,  sans enfant (par piété), meurt et provoque le conflit sans le vouloir. Il a promis son trône à Guillaume, mais semble se dédire sur son lit de mort au profit d’un des Grands du royaume d’Angleterre, Harold. La querelle de Droit entre Normandie et Angleterre est inconciliable. Harold peut passer pour un traître puisqu’il a rendu hommage à Guillaume ;  la « tapisserie » s’y attarde, mais sans le condamner grossièrement. Un troisième larron vient se greffer sur cette dispute de succession, Harald, roi de Norvège, dont la légitimité est lointaine et ténue.

L’intelligence de la guerre

Guillaume prépare soigneusement son expédition. Il attend que Harald agisse et surtout que les navires d’Harold laissent la Manche libre de circulation. Il tient compte des impératifs météorologiques. Il s’agit de faire franchir la mer, en une seule fois, sur mille navires, à quinze mille hommes. L’enjeu est lourd, la « fenêtre d’accès » étroite. Il ne faut pas se louper. Les plus petits détails de logistique sont pris en considération, comme l’obligation faite aux troupes de se laver les mains avant de manger, comme des structures en bois couplées à la marée pour faire monter et descendre les chevaux dans les navires, sans trouble ni fatigue excessive. Le service militaire de quarante jours dû au suzerain dans le monde féodal, ne peut s’accorder avec les contraintes de l’expédition. Guillaume doit avoir recours à des volontaires qu’il ne peut payer qu’en promesses. Il sait se montrer persuasif, puisque les Bretons, les Flamands et les Français forment les deux tiers de son armée.
    
Pendant ce temps, selon la vieille tradition saxonne, Harold est proclamé roi d’Angleterre. Il fédère tout le monde autour de lui, sauf son frère Tostig qui fait le lit d’Harald de Norvège. Sans opposition, Harold  lève les hommes libres d’Angleterre dans son armée ; on appelle cela le Fyrd.
    
En un tournemain, extraordinaire, Guillaume franchit la Manche le 29 septembre 1066 et s’appuie sur un antique fort romain encore efficace pour consolider son débarquement. Il profite du débarquement d’Harald de Norvège dans le nord-est.  La réaction d’Harold est remarquable.  Il  se précipite  vers le nord, intercepte, bat et tue Harald à Stamford bridge. Cette défaite sonne le glas des expéditions vikings. Harold, avec une rapidité qui force l’admiration, file bloquer Guillaume dans sa péninsule, ne prenant que les troupes fraîches. Il prend position sur un plateau.

La vague et le roc

La bataille est longue et meurtrière en ce 14 octobre 1066, c’est inhabituel. Les chevaliers mormands ne servent pas à grand-chose car la pente est raide. Les vagues de l’armée normande se brisent sur le mur anglais. Cependant, deux éléments viennent au secours du duc de Normandie : ses archers et l’indiscipline des paysans guerriers anglais. Ces derniers, par enthousiasme, descendent à plusieurs reprises de leur position pour poursuivre les vagues normandes en retraite. La nature de ces retraites est floue, l’auteur insiste sur la technique normande de la fausse panique pour attirer l’ennemi dans un piège. Quoiqu’il en soit, Guillaume mouille sa chemise et risque sa peau pour tenir. Les cavaliers taillent en pièces les Anglais aventurés dans la plaine. Sur l’escarpement, les Housecarls,  guerriers professionnels à la lourde hache, ne bronchent pas autour d’Harold. L’issue est incertaine. Il suffirait d’un soupir du destin.

À quoi tient l’Histoire ?

On consultera avec avantage l’article sur l’Art du commandement pour comprendre le dénouement de cette histoire. Le basculement de la bataille vient de la mort d’Harold, une flèche dans l’œil. Son armée, alors, ne se débande pas mais se débat de façon désordonnée comme un corps sans tête… La tête, ce corps la retrouve avec le couronnement de Guillaume le 25 décembre 1066… On est encore frappé par l’éternel avachissement des élites soucieuses de garder, par leur ralliement le gras de leurs prérogatives. Le rêve est le luxe du pauvre. Par cette bataille, l’Angleterre rejoint le monde romain, peut-être plus que par tous les efforts du bègue empereur Claude.

Un bon ouvrage

Le talent de Pierre Bouet est de nous dessiller sur ce que l’on croyait savoir. Cette concision a pour corollaire une bibliographie sommaire. En revanche, s’il y a un reproche à faire, ce ne sera pas sur la précision de la langue mais sur les cartes. Certes, il y en a, mais elles sont enfantines et ne rendent pas hommage à l’ouvrage.

Didier Paineau


Pierre Bouet, Hastings, Taillandier, « l'histoire en bataille », novembre 2010, 185 pages, 16,90 € 

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