"Stauffenberg", cerveau de la conjuration contre Hitler

Un Monsieur « Cent à l’heure » ?

Jean-Louis Thiériot est avocat, historien, chef d’entreprise et maire d’une petite commune de Seine-et-Marne… Né en 1969, il nous livre ici sa troisième biographie, après s’être intéressé à François-Ferdinand d’Autriche et à Margaret Thatcher…


Une affaire Tom Cruise ?

Est sorti au cinéma sous le titre d’Opération Walkyrie, un film avec Tom Cruise, sur un épisode célébrissime ( ?) mais peu honoré de la Seconde Guerre Mondiale : l’attentat du 20 juillet 1944. Ce n’est pas le premier film sur le sujet mais avait commencé à poindre, dès sa sortie, une tentative de scandale sur celui-la : Tom Cruise utiliserait Stauffenberg pour populariser les idées élitistes de l’église de scientologie dont il est un grand bailleur de fonds et une des principales figures de proue aux Etats-Unis …

La voix des « Von » se fait enfin entendre !

Ce manque de reconnaissance est dû à l’origine même de la catégorie de personnes qui l’a préparé et perpétré : les familles nobles et très chrétiennes qui faisaient la chair et l’âme de l’Allemagne impériale, profondément violentées dans tout ce qui leur est le plus cher par la défaite de 1918… Et de nous rappeler à grands traits des passages d’Ernst Von Salomon dans les Réprouvés… Il faudrait encore ajouter à cette évocation August Von Kageneck, édité chez Tempus, dont les entretiens avec Hélie Denoix de Saint-Marc du filon français, plus rare, sont  une pure merveille. Je ne résisterai pas au plaisir non plus de vous parler d’un livre paru chez Privat (2006) et toujours disponible. La vie d’un critique littéraire bénévole est parfois bousculée par l’urgence de faire vivre une aventure commune, toute personne du « milieu associatif » me comprendra. Il s’agit d’Un Cœur Allemand, biographie écrite par une descendante à partir de la correspondance d’un officier catholique allemand, Karl Von Wendt, mort en Russie en 1942. Un homme se dessine modestement, lettre après lettre, dans un équilibre bouleversant entre les vertus viriles et la profondeur de la charité chrétienne.

Tous ces témoignages conduisent à se demander si l’idée, si fragile,  de l’Honnête Homme a encore un sens aujourd’hui ou si on a affaire à la survivance puante de « principes à la con », en d’autres termes si les valeurs aboutissent à des axes de vie ou si elles ne sont que le correctif dérisoire des appétits de l’individu. La question se pose, notamment à cette époque, dans le conflit entre la fierté allemande et l’immanence chrétienne. Il me semble que c’est le fond des « Von ». Leur espèce est devenue tellement « dinosaurienne » qu’on les entend maintenant.

Qui sont les « Von » ?
Un petit garçon refuse son anniversaire…

L’auteur rentre dans le vif du sujet. D’une union raisonnable entre un ours aristocrate catholique de 45 ans et une petite esthète de 29 ans (de la même veine, il est hors de question de déroger) surgit une histoire d’amour et deux fois des jumeaux, mais l’un d’entre eux décède dans la seconde fournée. Il reste Claus, le sujet du livre. Dieu merci cela ne concerne que des garçons.

Bercé par les légendes germaniques et la grandeur des talents de sa nation, le petit bonhomme grandit. Il a très tôt l’esprit guerrier. Mais c’est « gentil », un esprit d’exploits, sur soi, qui ne s’alimente pas dans les abattoirs. Il enrage de ne pouvoir faire la guerre. La catastrophe de 1918 tombe sur lui de façon atroce. Son monde s’écroule, l’empereur Guillaume II qui abdique et le roi du Wurtemberg du même nom qui fait de même. Sa famille et notamment son père en sont très proches. Sa famille souffre aussi des spartakistes qui fusillent des otages pris dans les rangs de la noblesse. Il refuse qu’on fête son onzième anniversaire, le 15 novembre 1918, sur les ruines de sa patrie adorée. 

Puis tout se calme, relativement, la république de Weimar déploie ses ailes pour entamer son vol éphémère. Claus et ses semblables se construisent comme des exilés de l’intérieur qui ne reconnaissent en rien dans cette république de marchands et de gens du peuple. Il hésite entre l’architecture et l’armée puis choisit cette dernière plus conforme aux nécessités violentes du temps, les Français occupent la Ruhr, faisant ainsi écho à Ernst Jünger qui prophétisait que l’esprit guerrier était en quelque sorte né en 14-18 dans l’âme des jeunes. Son corps fragile devra se soumettre et il se soumet en effet. A défaut de patrie réelle, on se construit une patrie rêvée. Claus et ses frères rejoignent le cénacle « Allemagne secrète » du maître poète Stefan George.

Stefan George (1868-1933, et non 1866, coquille dans le livre), est dans la lignée des poètes romantiques allemands qui exaltent la noblesse d’âme et une Allemagne quasi-mystique et charnelle à la fois, une Allemagne rêvée et vécue dans la mesure où il y une victoire à être soi à rebours de l’air du temps. Il est lié à Mallarmé, et c’est un lien réciproque… Cette société secrète d’hommes comporte des chrétiens, des juifs et de futurs nazis… Certains en ont vu la genèse du complot du 20 juillet 1944  car nombre de conjurés en proviennent, et l’auteur exécute rapidement le soupçon d’homosexualité que ce genre de cercle suscite toujours aujourd’hui.

Claus  devient officier de cavalerie et ses talents, appuyés sur la certitude de sa supériorité, lui valent un avancement rapide. Il est sérieux, trop peut-être, alcool traditionnel et zéro femelle. On le voit épouser une femme de sa caste car il lui faut des héritiers ; Il cite d’ailleurs les propos de Frédéric II à cette occasion : « pour un officier, une femme est un malheur nécessaire… » ; Une muflerie qui ne lui vaudra aucune ire de sa belle famille ni de son épouse dotée de la force morale nécessaire… S’il n’est guère romantique dans ses relations amoureuses, on lui concèdera toujours qu’il est un bon mari et un bon père. Aristocrate, jusqu’au bout des ongles… Aristocrate qui sert la patrie, en admettant la compromission inévitable avec la « gueuse » (la république) qui en est l’expression momentanée. Il attend l’homme providentiel qui relèvera le pays.

Une conjonction d’intérêts

Claus n’est pas nazi, d’ailleurs pour lui et ses compagnons de l’Allemagne Secrète, la politique est le summum de la vulgarité. Il accueille comme une formidable opportunité l’arrivée de Hitler au pouvoir, contrairement aux hommes plus âgés de la noblesse. Ce n’est pas un soutien inconditionnel, simplement une conjonction d’intérêts. Par exemple, il protège sa belle sœur juive dont les traces d’état civil sont heureusement perdues, ou s’insurge quand Hitler écarte du commandement militaire des nobles trop frileux quant à ses projets en Autriche ou en Tchécoslovaquie (1938). Il veut une Allemagne grande quand Hitler veut une Grande Allemagne, premier malentendu, il n’est pas raciste mais ses traumatismes d’enfants assimilent volontiers les Juifs et les communistes et donc, les écarter ne lui paraît pas monstrueux … Les écarter, pas plus, second malentendu…

Soldat dans la guerre…

S’il ne semble pas foudre de guerre, Stauffenberg fait les campagnes de Pologne et de France sans se poser de question; il approuve le projet de colonisation de l’Est, antienne reprise par Hitler dans Mein Kampf, mais entend faire tout cela en chevalier : on ne touche pas à un civil ni à un homme qui se rend. Il réussit à obtenir la dégradation d’un lieutenant qui a fait fusiller deux Polonaises mais échoue pour des SS qui ont exécuté 37 Juifs… En tant que responsable du ravitaillement, il se démène et prend tous les risques. Croix de fer, on le nomme à l’Etat Major, dans le Saint des Saints. Il doit préparer la logistique de l’invasion de l’URSS, tout en gérant tant bien que mal la dispersion que représentent les affaires des Balkans ou d’Afrique, devant se satisfaire d’un irritant « Hitler a dit ». Simple capitaine, il a l’oreille de certaines « huiles », par son charme, sa culture et l’acuité de son intelligence. La guerre ne sera pas correcte, le ton est donné, pas de pitié raciale, pas de pitié politique… Le fil de l’épée doit rester aiguisé dans une main morte.

…Et guerre au soldat…

Des officiers commencent à se demander si éliminer Hitler… Claus est un poète, pas un rêveur (belle remarque de l’auteur), pour l’instant c’est non. Si on avance en URSS, l’orgueil de Hitler ne veut pas entendre parler de « campagne d’hiver », donc on ne doit pas s’y préparer… Encore une couleuvre à avaler… Elle est d’autant plus grosse que Hitler se venge de son imprévoyance en épurant l’Etat Major ! La conférence de Wannsee décide de l’élimination systématique des Juifs en janvier 1942 ; Cela se fait entre crapuleux, en catimini… Stauffenberg est horrifié par les rumeurs de massacres et l’inconséquence dans la conduite de la guerre, Saint Thomas d’Aquin lui donne la force de décider de faire un tyrannicide.

Les conjurés

Avec un groupe d’amis il se met à démarcher les généraux, ne recevant qu’une approbation neutre. Ecoeuré, il obtient une mutation dans une unité combattante en Afrique du Nord. Ses amis tentent dés 1943 de tuer Hitler mais enchaînent les malchances, un détonateur qui gèle, un Hitler de mauvais poil qui se révèle trop pressé… Von Stauffenberg, quant à lui, est gravement blessé en Tunisie, le 6 avril 1943. Revenu infirme, un œil et un main en moins, il reprend son activité résistante qui compte bien peu de généraux. Néanmoins c’est dans ce cercle de résistants, chrétiens et monarchistes,  que se précisent les idées sociales et démocratiques qui présideront à la naissance de la RFA. Les conjurés pensent détourner le plan Walkyrie, que Hitler a demandé de préparer dans la crainte d’une agitation rendue possible par la présence de sept millions de travailleurs étrangers dans le Reich, pour faire un coup d’état contre les SS et le parti nazi. Claus améliore le plan en en faisant une action rapide pour la prise du pouvoir immédiate par l’armée. Il se révèle adaptable en intégrant des représentants politiques, socialistes ou autres, dans le gouvernement qui doit succéder à Hitler. Contact est pris avec les services secrets américains. Les conjurés acceptent la capitulation, l’occupation mais pas le communisme. Les Américains refusent au nom de la logique des alliances. La situation militaire ne cessant de se dégrader, les généraux deviennent de plus en plus réticents à l’égard de Hitler. Rommel, le général du régime par excellence, se fait éconduire par un Hitler, furieux, quand il lui dit que seule une solution politique est envisageable. Il songe à renverser les alliances, lui aussi, mais il est blessé le 17 juillet 1944. Mais seuls cinq généraux, sur 3500, et notamment Stülpnagel commandant de Paris, sont du complot. Les militaires n’ont pas la tête politique et le poids du serment à Hitler reste écrasant. Le temps passe et Claus ne parvient pas à trouver un volontaire pour tuer Hitler, ou il est encore victime du mauvais sort ! Le complot n’est pas découvert du côté des officiers, rompus au secret de caste, mais Himmler, chef des SS, a des informations du côté politique et attend pour voir d’où viendra le vent.

 Le cerveau devient la main…

Stauffenberg, cerveau de la conjuration, décide d’en être aussi l’instrument. Les déclarations qu’il prépare pour le peuple allemand montrent combien il est devenu prosélyte dans sa noblesse. Il n’a pas le choix, le temps presse : les politiciens de la conjuration « s’effilochent » et les hasards des mutations d’officiers supérieurs à Berlin ne sont pas favorables aux conjurés. Il échoue le 15 juillet et le 20, enfin, il dépose sa bombe à un mètre de Hitler lors d’une conférence. Il part, la bombe explose, il croit voir évacuer le cadavre du tyran… Le plan cafouille, la bombe n’était pas assez puissante car le lieu de réunion a été changé, il faisait trop chaud dans un bunker où l’effet de souffle aurait été mortel pour tous les occupants… Hitler est vivant ! Les conjurés se lancent, ou pas dans la révolte et créent ainsi le désordre, suivant qu’ils croient ou pas à la réussite de l’attentat. A Vienne et à Paris les conjurés marchent comme un seul homme. Claus le sait, c’est là que sont ses amis, et essaye de secouer les officiers, mais puisque Hitler est sauf, il est mal accueilli, le soufflé dégonfle. Il est arrêté et fusillé séance tenante dans la lumière des phares, en criant : « vive la Sainte Allemagne ! » 
200 hommes passent au peloton avec ou sans tortures. Rommel est invité à mettre fin à ses jours, l’Allemagne se crispe dans le nazisme comme jamais. Les familles des conjurés vont peupler les camps de concentration.

In fine…

Deux précisions sont ciselées  par l’auteur à cette aventure de Claus von Stauffenberg et des siens : si l’attentat a échoué, ce n’est pas dû à un aspect velléitaire de l’entreprise, Claus n’a pas prévu le « si Hitler ne meurt pas », c’est sa seule erreur, et, la conjuration ne se réduit pas à un ensemble d’aristocrates nostalgiques, incapables de penser l’avenir… Quand les « fachos », comme diraient certains, sauvent l’Honneur…

Didier Paineau

Jean-Louis Thiériot, Stauffenberg, Perrin, janvier 2009, 310 pages, organigramme du complot, index, cahier, photographique, 19,90 € 

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