"Entre Moïse et Jesus", les Marranes des oubliés toujours vivants

Le CNRS publie un recueil d’articles de Nathan Wachtel, spécialiste de l’histoire de l’Amérique espagnole et des marranes, sujet auréolé de mystère et très mal connu du grand public. Heureuse initiative car ce livre constitue une très bonne introduction à l’histoire d’une communauté finalement très actuelle.

 

Des clandestins de l’histoire

 

Les marranes sont les enfants du secret. Descendants des juifs convertis de force, aux XIVème et XVème siècles par les couronnes espagnole et portugaise (rappelons que ceux qui le refusèrent furent expulsés en 1492), ils ont vécu entre deux religions, entre mémoire juive et culte chrétien, empruntant à l’une et à l’autre. Parmi ces convertis, certains sont devenus des évêques reconnus, voire des cardinaux comme Juan de Torquemada (l’oncle du grand inquisiteur). D’autres sont revenus peu à peu à la foi de leurs ancêtres, au péril de leur vie (l’inquisition veillait au grain). Rappelons les marranes  subissaient les conséquences des statuts de pureté du sang de Tolède (1449), distinguant vieux-chrétiens et nouveaux-chrétiens, les excluant de fait de certaines professions (malgré des conversions parfois sincères).

 

Les marranes ont aussi essaimé dans toute la méditerranée (Livourne, Venise, Salonique mais aussi au Maroc et en Algérie), en Europe du Nord (Amsterdam) où ils ont rejoint des communautés séfarades issues de l’expulsion des juifs d’Espagne. Constatant leur judaïsme parfois peu orthodoxe et teintée de christianisme, ces communautés les ont accueillies parfois avec méfiance constatant leur judaïsme parfois peu orthodoxe et teintée de christianisme. Dans ce recueil d’articles, Nathan Wachtel nous apprend également que les réseaux marranes se sont étendus jusque dans les  colonies d’Amérique du sud (Pérou mais aussi au Brésil)  où ils se sont impliqués entre autres dans le commerce triangulaire, avant parfois de finir sur les bûchers de l’inquisition…

 

Un passé toujours vivant

 

Aujourd’hui, force est de constater que la mémoire marrane perdure. Le dernier article présente comment les descendants des marranes au Brésil reprennent possession de leur mémoire, revenant pour une part d’entre eux au judaïsme. Leur culture cependant est composite, métissée, avec des influences indiennes. L’auteur estime aussi que, par leur positionnement religieux (entre deux religions sœurs et rivales), leur métissage culturel (les procès-verbaux de l’inquisition démontrent que les accusés pratiquent un syncrétisme assez fascinant), voire l’athéisme revendiqué par certains, les marranes annoncent la modernité. On peut ajouter que les persécutions qu’ils ont subies préfigurent les désastres du 20e siècle. Entre Moise et Jésus démontre ainsi que cette mémoire juive et marrane est non seulement plurielle mais constitutif de notre patrimoine commun.

 

Sylvain Bonnet

 

Nathan Wachtel, Entre Moise et Jésus, CNRS éditions, octobre 2013, 282 pages, 25 €

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