"L'agonie d'une monarchie", nostalgie et héritage des habsbourg

Le spécialiste français du monde germanique

 

Peu connu du grand public, Jean-Paul Bled est un spécialiste de l’histoire allemande et autrichienne. On lui doit notamment des biographies remarquables de Frédéric II, Bismarck et François-Joseph. Récemment, il a publié un François-Ferdinand dont l’Agonie d’une monarchie constitue presque la suite directe. Cet ouvrage s’inscrit ici dans un débat historiographique ouvert par François Fetjo, historien hongrois renommé, sur les causes de la disparition de l’empire danubien multiséculaire des Habsbourg. Fetjö accusa d’ailleurs nettement la France et Clemenceau d’avoir cherché à abattre la double monarchie. Jean-Paul Bled, pleinement conscient de ces problématiques, va dans d’autres directions.

 

La guerre, cause de la chute de la monarchie

 

La 1e guerre mondiale a éclaté suite à l’assassinat de l’héritier du trône, François-Ferdinand, à Sarajevo, par un nationaliste serbe manipulé par une organisation terroriste (la main noire) et à la volonté autrichienne de punir la Serbie. Bled démontre ici qu’il a fallu attendre 1915 pour que l’Autriche-Hongrie batte la Serbie… Grâce en partie à l’aide allemande. Car si l’armée autrichienne se bat relativement bien, elle a à se mobiliser sur trois fronts : le sud (face aux serbes), l’est (face à la Russie) et à partir de 1915 l’ouest (face à l’Italie qui choisit opportunément le camp de l’entente). Pour un empire réputé pour sa fragilité face aux nationalités, le défi est immense. Au début de la guerre, le loyalisme monarchique l’emporte largement mais au fur et à mesure, l’édifice impérial devient brinquebalant. Surtout que parallèlement aux tensions ethniques (l’auteur montre comment le conflit en Bohème entre tchèques et allemands ne cesse de prendre de l’ampleur), les problèmes de ravitaillement minent la société austro hongroise. L’Autriche a faim, le rationnement devient de plus en plus difficile (malgré l’apport en blé roumain). Le soldat austro-hongrois pèse moins de 50 kgs en 1918 !

 

Enfin la guerre vassalise l’Autriche par rapport à l’Allemagne. Charles, successeur de François-Joseph en 1916, a conscience de la fragilité de son empire et tente des ouvertures (maladroites) vers la France. Si celles-ci échouent, la faute en revient à Berlin où les jusque-boutistes comme Ludendorff l’ont emporté face aux modérés comme Bethmann-Holwegg et parce que Charles comprend que l’Allemagne empêchera tout compromis. Pour autant, le dernier Hasbourg ne rompt pas avec l’allié allemand (en partie par crainte d’une invasion !) : tout dépend alors d’une victoire des empires centraux en France : on sait ce qu’il en advint.

 

Rien n’est écrit à l’avance…

 

Cet empire multinational et multiconfessionnel était-il condamné par l’histoire? L’empire des Habsbourg fut souvent jugé comme une anomalie vouée à disparaître à l’ère des Etats-nations. Dans son ouvrage sur François Ferdinand, Jean Paul Bled avait noté que le début du vingtième siècle avait été marqué par l’aggravation des tensions ethniques en Autriche-Hongrie (que l’archiduc assassiné avait d’ailleurs du mal à appréhender). Pour autant, le libéralisme Habsbourgeois (il n’y a qu’à comparer avec la manière dont les polonais furent traités par l’empire russe) et la culture du compromis auraient pu amener à une solution « fédérale ». Longtemps, les alliés ont cherché à conclure une paix séparée avec l’Autriche-Hongrie dont ils ne souhaitaient pas la disparition (ils étaient cependant prisonniers des engagements pris auprès de l’Italie qui réclamait le Trentin, Trieste, Fiume et la Dalmatie).

 

Enfin, d’un point de vue géopolitique, comme le démontre dans sa conclusion notre auteur (et dans la lignée de François Fetjö), la chute de l’empire a déstabilisé l’espace centre européen, proie ensuite facile pour l’Allemagne nazie et la Russie stalinienne…

 

A l’heure des commémorations, le livre de Jean-Paul Bled montre encore une fois à quel point la déflagration de 1914 fut une catastrophe européenne…

 

Sylvain Bonnet

 

Jean-Paul Bled, L’agonie d’une monarchie, Tallandier, mars 2014, 484 pages, 25,90 €

2 commentaires

Cet "empire multinational et multiconfessionnel" comme tu l'écris est en effet trop méconnu dans son fonctionnement. Entrer par "l'empire" plutôt que par les "nations" dans ce monde ancien qui va se défaire en 1914, c'est finalement mieux saisir ce qu'a été longtemps l'Europe. Pas seulement une guerre de nations. C'est aussi celle des empires, y compris coloniaux.

Tu as tout à fait raison, cet aspect est essentiel et je forme le vœu qu'il soit étudié dans le flot de parutions consacrée au 1er conflit mondial. A titre informatif, le fils de l'empereur Charles, Otto, a eu une carrière de député européen allemand et a refusé un retour politique en Hongrie en 1989 qui aurait pu mener à une restauration.