"Paris, bivouac des révolutions", histoire et mémoire de la Commune

Le salut vient d’Angleterre

 

L’épisode de la Commune de 1871 a fait l’objet de nombreux débats historiographiques passionnés, entre « pros » et « antis », entre historiens de gauche (voire marxisants) et d’autres plus critiques. A l’instar de la période vichyste avec Robert Paxton, c’est de l’étranger que vient une relecture dépassionnée, critique et surtout scientifique de l’épisode dû à Robert Tombs, Professeur au Saint John’s College de l’université de Cambridge. Déjà auteur de la guerre contre Paris (Aubier, 1998), il revient ici avec Paris, bivouac des révolutions, ouvrage stimulant et érudit.

 

Les origines de la Commune

 

Robert Tombs commence par rappeler l’histoire des insurrections parisiennes depuis la Révolution, le souvenir laissés par les révolutions (1789, 1830, 1848) mais aussi par la répression menée en Juin 1848 lors de la fermeture des ateliers nationaux employant les ouvriers au chômage par la jeune deuxième République et aussi par le coup d’état de1851. Il rappelle également les transformations de l’espace urbain parisien opérés par Haussmann, dont on sait qu’il détruit les vieilles ruelles et créée les grands boulevards, peu propices aux barricades.  Ce que l’on sait moins c’est que Paris durant le second Empire fournit à l’opposition Républicaine ses meilleurs scores électoraux, particulièrement dans l’est parisien. L’assassinat en 1870 du journaliste Victor Noir par un cousin éloigné de Napoléon III est l’occasion de manifestations importantes que le pouvoir impérial. Paris est hostile à l’Empire, Paris est « rouge », disait-on. Mais qui sont-ils ces parisiens « rouges » ?

 

Les futurs communards

 

Ce sont des artisans, des boutiquiers, des imprimeurs, des ouvriers typographes, des petits entrepreneurs, des ouvriers du bâtiment. Pour une large part, il ne s’agit pas du prolétariat décrit par Marx et certains refusent par exemple les innovations techniques. Il s’agit du futur Paris communard, à la fois passéiste set traditionnellement frondeur, Républicain par fidélité aux grands ancêtres de 1789-94. À ce chaudron il manque une étincelle : la guerre franco-prussienne la fournit. Et l’historien anglais démontre que beaucoup ont suivi la commune par devoir, par camaraderie aussi.

 

La guerre et la défaite

 

On ne reviendra pas ici sur le déroulement de cette guerre désastreuse, retenons simplement qu’à partir de Septembre 1870, le gouvernement provisoire issu de la chute de Napoléon III arme les parisiens (la garde nationale) et est assiégé par les allemands. La population parisienne, Républicaine et patriote, vit sur un mythe, celui de la nation en armes et de la levée en masse (souvenir de 1793), celui de la sortie de Paris qui brisera l’encerclement allemand. Les généraux et le gouvernement savent qu’il s’agit d’un mythe mais vivent sous la pression d’une population soupçonneuse, soumise aux privations alimentaires. La sortie opérée le 18 janvier 1871 est un échec retentissant mais les parisiens en jugent les généraux responsables…

 

C’est dans ce Paris en armes, surchauffé, déçu de l’armistice conclu par Thiers, révolté par la perte de l’Alsace Lorraine et l’élection d’une majorité conservatrice et royaliste à l’assemblée nationale (qui préfère se réunir à Versailles et non à Paris), qu’éclate l’insurrection qui ne sera que peu suivie en province. Une province sur laquelle Thiers et son gouvernement s’appuie pour mener la répression.

 

Paradoxes

 

Robert Tombs décrit la vie dans Paris sous la commune. On apprend que les fonctionnaires de l’octroi restent en place (au grand dam de la frange la plus extrémiste de la Commune), que la banque de France consent à des avances qui permettent à l’administration de fonctionner. L’administration, parlons-en : peu d’épuration, de révocations dans les mairies (contrairement à la légende noire). Si la Commune proclame la séparation de l’Eglise et de l’état, il y a peu de persécutions de prêtres, certains sont mêmes protégés par la populace. On a souvent glosé sur le « féminisme » de la Commune (par exemple à travers la figure de Louise Michel) mais le suffrage universel reste masculin, sans qu’il y ait eu de volonté de l’étendre aux femmes. Reste cependant le souvenir d’une grande fête, de quelque chose d’inédit que les survivants essaieront de peindre dans leurs mémoires. Notons cependant que la Commune ne suscita pas d’enthousiasme mais de la peur dans l’Ouest parisien, plus bourgeois. Notre historien britannique essaie donc de montrer la pluralité des mémoires de la commune. Tâche difficile.

 

Karl Marx avait décrit la Commune comme l’aurore d’une ère nouvelle. A contrario, Robert Tombs y voit surtout le dernier acte d’un cycle révolutionnaire entamé en 1789. Après 1871, Paris ne reprendra les armes qu’en août 1944 pour chasser les nazis, suscitant la peur de certaines élites. Mais c’est une autre histoire me diront certains…Pas si sûr.

 

L’ouvrage de Robert Tombs fera en tout cas date. A la suite Du livre de Jacques Rougerie, il fournit le livre de référence sur la Commune. Indispensable.

 

Sylvain Bonnet

 

Robert Tombs, la commune, traduit de l’anglais par José Chatroussat, éditions Libertalia, mars 2014, 480 pages, 20 €

 

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6 commentaires

L'intérêt principal de ce livre semble être son impartialité. La qualité d'historien étranger de l'auteur nous garantit une certaine neutralité, en particulier quant aux pertes humaines, domaine où les approximations  de propagande et les exagérations partisanes sont monnaies courantes.

Ensuite, ce bouquin a un autre intérêt : il est intéressant de rappeler en effet à la lumière de cette crise que le "peuple de Paris" est un fantasme : la moitié ouest de Paris n'était pas solidaire des communards, et  la province entière se   félicitait de l'action du gouvernement légitime, et en particulier de la répression qui s'en suivit. Tous les leaders républicains de l'époque étaient d'ailleurs derrière Thiers (même Jules Ferry!-allez expliquer ça aux élus PS qui se la jouent "enfants de rebelles" chaque année au mur des fédérés...)

Par contre, la tonalité générale de cet article semble présenter la Commune comme finalement assez sympathique. Une grande fête populaire, la Commune??
Une grande fête populaire cette guerre civile stupide durant laquelle on meurt de faim,  on se tire dessus entre Français alors que les armées étrangères nous encerclent, où on tue nos propres généraux et exécute tranquillement 47 innocents otages -dont de nombreux prêtes et un évêque (-sans doute pour faire pareil que les prestigieux grands ancêtres septembriseurs...)
Une grande fête, l'épuration de la "semaine sanglante" qui a suivi?
Une grande fête, les incendies imbéciles allumés par les anars et les blanquistes, mûs par une haine atavique de l'ordre établi?
Une grande fête, les mutilations irréfléchies de la Ville  ( palais des tuileries, bibliothèque du louvre, palais de justice, palais d'orsay, palais de la Légion d'honneur, palais royal, caisse des dépôts, misistère des finances, hôtel de ville, etc...) ? Une grande fête cette folie destructrice-qui rappelle en effet le vandalisme institutionnel des sans culottes - qui aboutit à détruire  l'état civil -la mémoire intime- de tout un peuple ?

Ah oui, je note , côté "c'était pas mal, finalement" : pas d'épuration dans l'administration.  C'est oublier un peu vite que  l'immense majorité des fonctionnaires a suivi Thiers lorsque le gouvernement a quitté Paris (en ce temps là, les fonctionnaires n'étaient pas systématiquement de gauche ;^)...)

 Pour finir,  le raccourci-clavier qui fait de la libération de Paris en 1944 le dernier avatar de la Commune et de la Révolution française me semble pour le moins suspect. Si on commence comme ça,  barricade pour barricade, il va falloir considérer Etienne Marcel comme un proto-marxiste, et lui élever une statue à cheval... Comment ça, c'est déjà fait? Pfff...tout fout l'camp!

C'est compliqué: la Commune  fut une grande fête pour certains communards et des massacres, surtout pendant la semaine sanglante (mgr Darboy et d'autres furent fusillés sans ménagements).

Quant au "raccourci clavier" qui semble vous choquer, il tient à la chronologie. Songez que Paris s'est insurgé en un siècle au moins 4 fois après 1789: 1830, 1848 (2 fois si on compte les journées de juin), 1851 (les quelques barricades contre le coup d'Etat de Louis-Napoléon) et 1871.
Après ce n'est pas avant 1944 (soit soixante quatorze ans après!) que les parisiens se révolteront contre l'occupant nazi et dans l'est de Paris en agitant la continuité avec la lutte des communards: on peut trouver ça spécieux mais c'est la réalité. 

La Commune a sans doute clos un siècle d'insurrections parisiennes (et celles rapportées ne sont que les plus notables, les premières années de la Monarchie de Juillet ont été marquées par une série de tentatives d'insurrections), mais elle a ouvert une autre histoire insurrectionnelle, en Russie. Lénine, né l'année de la Commune, se passionna pour elle et l'analysa pour en tirer la conclusion que l'on sait : son échec tenait en l'absence de chefs, de révolutionnaires professionnels capables d'orienter la force insurrectionnelle des masses... De nombreuses villes russes ont encore aujourd'hui des "rue de la Commune parisienne". 

Vous parliez des polémiques françaises sur la Commune, mais le moins que l'on puisse dire est que l'Ecole républicaine est muette sur ce sujet :  je ne l'ai jamais vu aborder pendant toute ma scolarité ! Ce livre en est d'autant le bienvenu. 

Attention sur un point de votre commentaire: vous dites que la Commune a ouvert l'histoire insurrectionnelle en Russie. Marx a interprété la Commune à chaud et, comme Lénine, a été frappé par l'impéritie des chefs (pourquoi n'ont-ils pas marché sur Versailles avant que Thiers ne rassemble des troupes?) mais penser comme eux que la Commune ouvre une nouvelle ère, ce n'est plus tout, à fait de l'histoire et déjà de l'idéologie. 

L'ouvrage de Robert Tombs est à contre courant de cette interprétation téléologique de la Commune qui, pour moi (et ça n'engage que moi) a bien plus à voir avec les révolutions françaises du 19e siècle qu'avec la Révolution Russe. Remarquez aussi que le destin de certains communards est étonnant. Rochefort par exemple a fini à l’extrême-droite après un passage par le boulangisme (où des communards cotoyaient des royalistes).
Après, il est intéressant de voir comment la mémoire de la Commune est récupérée par le mouvement ouvrier, socialiste et communiste, interprétée et utilisée : c'est l'objet du dernier chapitre de l'ouvrage de Tombs.

C'est intéressant en effet de voir comment la légitimité d'une opinion politique quitte le domaine des idées pour celui des sentiments ou même du sacré,  et devient ainsi irréfutable par l'adversaire dès qu'elle s'appuie sur un massacre. 
Je cite un ouvrage passionnant qui décrypte les artifices littéraires du monde politique :
"Dès la Libération, le Parti communiste français construit le mythe interne du « parti des 75 000 fusillés », qui semble répondre aux « 35 000 fusillés » de la Commune. [..] Il est en ce sens significatif que les monuments à la mémoire des résistants au cimetière du Père-Lachaise aient été installés le long du Mur des Fédérés."

source:  Sidonie Verhaeghe Publié dans

Mots. Les langages du politique 2012/3 (n° 100)

 E.N.S. Editions

@ Sylvain Bonnet : ma phrase était maladroite en effet. Je ne voulais pas dire que la Commune de Paris préfigurait la Révolution russe, ni qu'il y avait un lien de cause à effet entre elles ; je voulais pointer le fait que pour Lénine elle a été à la fois la référence en terme d'insurrection révolutionnaire, et le contre-exemple de ce qu'il fallait faire.