"Pétain", Maréchal vous revoilà

La biographe et son sujet

 

Ecrire une biographie de Pétain, quelle gageure ! héros adulé en 1918, puis dictateur en 1940, il sera condamné à mort en 1945 pour trahison. Pétain reste un homme mystérieux, champion de la dissimulation et du double langage (et non du double jeu) plein de secrets (les femmes par exemple). Décrire la vie d’un tel personnage revient à se livrer au jeu des poupées gigognes. Après Guy Pedroncini, Herbert Lottman, Marc Ferro, Bénédicte Vergez-Chaignon a relevé le défi de raconter cet  homme si difficile en apparence à cerner. Sa biographie de Bernard Ménétrel (médecin du maréchal Pétain à Vichy) et son travail sur les vichysto-résistants font d’elle une spécialiste de la France de Vichy pendant la seconde guerre mondiale. Idéale pour affronter le « monstre » Pétain ?

 

Philippe, cet inconnu ?

 

Notre historienne revient sur l’enfance du jeune Philippe. Né en 1856 (donc contemporain de Rimbaud né en 1854), Philippe Pétain est issu d’une famille de cultivateurs, plutôt aisés. Très vite orphelin de mère, c’est un de ses oncles ecclésiastiques qui s’occupe de son éducation suite au remariage de son père : le futur maréchal ne gardera que des liens distants avec sa famille (piquant lorsqu’on songe qu’il fit de la sauvegarde de la famille une de ses priorités politiques en 1940). Désespéré par la défaite française de 1871, il entre à Saint Cyr et devient officier. Prudent, Pétain se tient à l’écart de la politique lors de l’affaire Dreyfus et des querelles nées de la séparation de l’église et de l’Etat et de l’affaire des fiches, Pétain se montre solidaire du corps des officiers. Se contente-t-il de  mener une vie d’officier de garnison assez terne, tout en profitant de sa prestance avec les femmes ? Non, Pétain, porté sur l’étude et la stratégie, donne des cours, réfléchit sur les conséquences des avancées technologiques. La carrière de Pétain souffre pourtant un peu de son caractère (moins cependant qu’on a pu le dire) : froid, peu sensible (tout en étant très sensuel), altier, réservé. 

 

Le héros

 

Lorsque la première guerre mondiale éclate, Pétain se prépare à la retraite. Il accomplira cependant tous ses commandements avec efficacité (et un grand courage physique au feu). A Verdun, si son rôle fut exagéré, il réussit cependant à rendre espoir aux soldats, organise la rotation des unités et surtout résiste et tient. Avec obstination, malgré son pessimisme. En 1917, après l’échec de Nivelle (un des autres responsables de la victoire de Verdun), Pétain est nommé Généralissime. Son principal mérite est de réussir à juguler la crise de moral de l’armée française tout en apparaissant comme un officier « humain », proche des soldats (alors qu’il assume d’avoir fait exécuter certains « meneurs). En 1918, ce n’est pas lui qui gagne mais Foch, qui relance les offensives et réussit à briser les reins des allemands. Bénédicte Vergez-Chaignon fait d’ailleurs un sort à la légende selon laquelle Pétain pleura le jour de l’armistice, en proie au désespoir de ne pouvoir porter le fer en territoire allemand. Sur le moment, Pétain ne réagit pas, ou peu.

 

L’homme qui s’ennuie

 

Fait Maréchal, le voici un des dignitaires de la République. Durant les années 20 et 30, notre historienne décrit un militaire qui s’ennuie, enfin marié (contre son gré ?) à qui les différents gouvernements confient des missions : la guerre du Rif (où il évince Lyautey) par exemple, bien qu’il soit totalement inexpérimenté en matière coloniale. Ambitieux, Pétain attend. Persuadé de son importance. L’âge aidant, il devient de plus en plus méfiant envers une République qui, passé 1925, tend à réduire les budgets militaires. Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il prend la mesure de la renaissance allemande et tente, en tant que ministre de la guerre, d’arracher une augmentation des crédits : échec, qu’il endosse avec calme, en soldat discipliné. En tant que membre du conseil supérieur de la guerre, a contrario de son rôle d’avant 1914 (où il vilipendait avec raison le culte de l’offensive), il laisse se scléroser la réflexion stratégique et ne prête que peu d’attention aux idées novatrices d’un Charles de Gaulle (qui fut son protégé). Hostile au front populaire, il part cependant en 1939 comme ambassadeur à Madrid auprès de Franco. Son séjour annonce quelques unes de ses turpitudes à Vichy : le vieillard se révèle excellent dans la communication personnelle (il rend visite aux victimes de la guerre, distribue des aides) et très mauvais négociateur : à Franco, de peur qu’il devienne l’allié inconditionnel d’Hitler, il cède tout !

 

Le sauveur et le traître

 

Le 10 mai 1940, Pétain est rappelé de Madrid par Paul Reynaud au début de l’offensive allemande. Défaitiste, son silence durant les premières semaines est un signe de désaveu. Avocat de l’armistice, appuyé par des hommes comme Weygand et Darlan, il couvre l’armistice de Rethondes et embauche Laval pour saborder la République. Bénédicte Vergez-Chaignon confirme Paxton : Pétain et son gouvernement choisissent la collaboration sciemment, sur la base d’un calcul stratégique (La Grande-Bretagne ne tiendra pas) et d’intentions de réforme de la France d’inspiration réactionnaire (Maurras et d’autres). Dans ce cadre, le statut des juifs est logique et est inspiré par Pétain (celui-ci les jugeant responsables du front populaire et de l’état d’esprit déplorable de la défaite) qui n’hésite pas à en  réécrire personnellement certaines dispositions. Que le statut soit en partie inapplicable et « inefficace » (comme beaucoup de lois du début de Vichy) ne change rien à l’affaire. 


Le déroulement du conflit ne modifiera pas la résolution de Pétain de demeurer parmi les français (il refusera de partir pour l’Afrique du Nord en novembre 1942) et surtout de collaborer avec les allemands. Nombre de ses thuriféraires ont voulu mettre certains de ses errements sur le compte du grand âge. Philippe Pétain a certes des absences, de plus en plus fréquentes, mais il ne change jamais d’avis sur le fond (même s’il écoute beaucoup –trop ?- son entourage). Après 1942, le Maréchal est un symbole et une potiche, qui dans ses messages joue du double langage (son antienne répétitive sur ses geôliers allemands lors de ses voyages de 1944 dans l’ancienne zone occupée) et appelle en même temps Laval à plus de fermeté envers les « terroristes ». Contrairement à Laval, Pétain, eu égard à son grand âge et au souvenir de Verdun, verra sa condamnation à mort commuée en peine de détention à perpétuité, d’abord au Portalet puis à l’île d’Yeu.

 

N’en déplaise à Eric Zemmour, la responsabilité de Pétain, chef de l’Etat Français, fut déterminante dans le coup d’état du 11 et 12 juillet 1940 (où des actes législatifs le désignent comme chef d’Etat), la rédaction des deux statuts des juifs (qui facilitèrent les déportations et donc l’extermination de juifs français), la constitution de sections spéciales pour juger les résistants, le soutien passif enfin à la Milice de Darnand (la réprimande du 8 août 1944 arrivera trop tard) qui laissa planer sur nombre de français la menace du peloton d’exécution. Que ne serait-il arrivé si le maréchal Pétain était décédé le 9 mai 1940 ? Cette biographie rigoureuse ne laisse place à aucune argutie.

 

Laissons le mot de la fin à Charles de Gaulle :

 

« C’était un homme exceptionnel. C’était un chef exceptionnel, je n’ai pas changé d’avis. Le malheur a voulu, pour la France et pour lui-même, qu’il soit mort en 1925 et qu’il ne l’ait pas su. J’ai assisté à cela et, comme j’avais de l’affection pour lui, j’en ai été très malheureux. Ça s’est passé de la façon suivante : en 1925, il s’est laissé circonvenir par Painlevé et par Briand pour aller au Maroc exécuter ce pauvre Lyautey. Il y est allé. Il s’est prêté à ça ! (…) il a voulu être académicien, lui qui n’avait guère écrit de sa vie… Puis ministre, ministre de M.Doumergue, vous vous rendez compte ! Il courait après les honneurs et la « Maréchale » courait devant lui encore plus vite. C’était pénible, c’était dommage. »

 

Sic transit gloria mundi.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Bénédicte Vergez-Chaignon, Pétain, Perrin, septembre 2014, 1040 pages, 29 €

7 commentaires

Bien vu d'avoir réservé la parole finale à DE GAULLE, un vrai Grand Homme, lui, qui avait exécuté d'un trait de plume acéré et définitif son ancien prof à l'Ecole de Guerre , avec le désormais fameux : "il est mort en 1925 et il ne l’a pas su" , phrase citée ici dans sa vraie configuration, mais qui pourrait sans problème s'appliquer, en changeant simplement la date, à un certain nombre d'hommes politiques actuels ( les Chevenement, Jospin, Chirac, Lang, Fabius, Bayrou, Raffarin, Rocard, et autres has-been qui pensent être encore incontournables alors qu'ils sont définitivement grillés).

Curieusement, puisqu'on est dans la vie secrète des chefs d'état , la description suivante : " Pétain reste un homme mystérieux, champion de la dissimulation et du double langage (et non du double jeu) plein de secrets (les femmes par exemple)" ,  fait immédiatement penser au locataire actuel du palais de l'Elysée.  Elysée, où, d'ailleurs Pétain, pourtant chef de l'Etat, ne s'est jamais installé alors que les Allemands le souhaitaient, et qui s'est fait piquer la place par un jean-foutre de première classe, l'amiral Darlan, qui osa s'y installer de son propre chef, de quoi Pétain fut fort vexé. Comme quoi , au bal des Egos, on trouve toujours meilleur danseur que soi.

cher Proutch, que de Gaule fut de haute taille, n'en doutons pas, mais prétendre que Pétain ne le fut pas, c'est un peu simpliste. Le sauveur de 14 s'est fourvoyé, certes, mais gagez lui au moins une première moitié de vie honorable

@proutch: de grâce quand vous ne savez pas de quoi vous parlez, abstenez-vous ! comme le dit Loïc, Pétain n'est pas à jeter aux orties, n'en déplaise à la doxa actuelle, renseignez-vous auprès des gens qui ont vécu la guerre, sans Pétain cela aurait été CENT fois pire ; quant à mettre Chevènement dans le même panier que Lang, Fabius, etc., une fois encore c'est une démarche d'une grande simplicité (mais c'est vrai que comme Léa Salamé, vous devez aimez aller vite et simple) car le premier a toujours eu le courage de ses opinions et ses actes ont toujours suivi ses dires (notamment sa démission lors de la première guerre d'Irak) ce qui n'est pas le cas des autres...
enfin, que je sache, c'est un salon littéraire ici, donc on se passe de vos idéaux politiques...

Tiens, tiens, c'est curieux, cher COMMEN40, que, s'agissant de biographies d'hommes politiques du passé, tout parallèle avec des hommes politiques actuels vous choquent à ce point.  Si l'étude de l'Histoire a  un intérêt, c'est bien pour servir de référence pour juger de l'actualité, et comprendre le monde et les gens. Et ne pas être dupe.

Je ne commenterai évidemment pas votre affirmation quelque peu aventureuse comme quoi votre contradicteur ne sait pas de quoi  il parle, une des grandes ficelles classiques de la rhétorique (le stratagème 38 du célèbre "L'art d'avoir toujours raison "de Schopenhauer).


 J'aurais bien sûr  apprécié que votre ire vengeresse s'exprime également  aux chroniques talentueuses, mais très orientées politiquement de certains ( comment ne pas mentionner ce cher FX, notamment) qui ne mettent pas leurs opinions dans leur poche , et c'est très bien : les poches ne sont pas faites pour ça.
Je vous remercie enfin pour votre compliment , qui me va droit au coeur, sur ma simplicité. C'est en effet, une des qualités les plus aptes à la compréhension des idées et  à la qualité des relations sociales : qui comprend et aime les gens compliqués, à part eux-mêmes?

Enfin, sur le fond, MON opinion personnelle, que je ne vous demande pas de partager (je m'en fous totalement) est que Pétain n'est pas un type respectable, et sûrement pas un Grand Homme.
L'argument comme quoi ç'aurait été 100 fois pire sans lui en 40  me semble quant à lui relever plus  du fantasme que d'une analyse historique construite. Arroseur arrosé, ne seriez-vous pas vous-même en train d'affirmer, de manière détournée, vos propres opinions politiques?
C'est pas joli-joli, tout ça...

Mon cher LoÏc,
"Première moitié de vie honorable"??
A mon sens, mais je suis loin d'être le seul à le dire, le mérite militaire de Pétain , vu comme chef de guerre, a été un peu exagéré . On lui  a taillé un costume de lumière trop grand pour lui.

Il lui a fallu quand même , comme à ses pairs, plusieurs années de guerre et un bon  million de morts pour comprendre que toutes les théories  qu'il avait enseignées à l'école de guerre (grosso-modo un savant mix entre les campagnes napoleoniennes et la guerre de 70) étaient totalement périmées.
 C'est seulement au vu des effroyables pertes en hommes que ces psychorigides semi retraités ont compris ce que les généraux allemands savaient depuis le début , en particulier en étudiant la guerre de sécession : c'était l'artillerie et les mitrailleuses qui feraient la différence, autrement dit la technologie et l'industrie lourde. 
Le problème- le naturel revenant toujours au galop, même si on n'est pas de la cavalerie- c'est que cela ne lui a pas servi de leçon, et il a replongé dans son archaïsme intellectuel natif : en retard d'une guerre, en 40 comme en 14, il a traité par le mépris les avertissements des visionnaires  sur la guerre de mouvement, l'arme blindée,  et même au vu de la guerre d'Espagne,  l'apport de l'aviation tactique . Cela nous vaudra la raclée de 40., dont il n'est pas , certes, le premier responsable .
Mais de là à en faire un héros et un militaire de génie, ou même "un homme respectable"..il y a un pas. Que son action politique ultérieure et , surtout, le renversement de la République  (carrément!! ) m'interdisent définitivement de franchir.
Mais je ne ferai pas comme notre ami "commeen40", je n'empêcherai  pas les gens d'avoir leur propre opinion. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut lire ce bouquin!

 Le procès sera donc à charge ,même s'il est le prétexte pour des atrabilaires à s'envoyer des fions en guise d'arguments.

  N'étant ni historien, ni littéraire , je ne me prévaudrai que de mon titre de témoin oculaire de l'occupation et de la ferveur des Français pour Pétain . Comme la foule des parisiens qui l'ont ovationné quelques mois avant De Gaulle , je portais ces deux hommes d'exception dans mon coeur.Et ma honte fut grande de voir le sionisme et le communisme qu'il avait combattus , obtenir la condamnation sans réaction de celui qui avait assumé la lâcheté des parlementaires et ministres de 40. Ils avaient tous fui leurs responsabilités , abandonné leurs postes et voté à une large majorité , tous partis confondus , les pleins pouvoirs à ce pauvre vieillard. Et certains appellent ça un "coup d'état" !

    , Quand tous les petits écoliers chantaient de tout coeur "Tu nous a redonné l'espérance , la Patrie renaîtra , Maréchal , nous voilà " ils clamaient à la face de l'occupant que la Patrie était morte sous leur joug , mais que celà ne pourrait durer. Bien sûr , ils savaient que ce n'était pas Pétain qui serait leur libérateur , mais il avait obtenu des Allemands , par un armistice providentiel au lieu d'une reddition sans condition , la conservation des Colonies et de leurs héroïques soldats . Sans eux ,De Gaulle n'aurait pas eu la place qui a été la sienne parmi les belligérants , et je pense que ,même si sa gloire en eût été ternie , il en avait conscience.

     C'est pourquoi , si le portrait de Pétain trônait dans toutes les chaumières , l'amour clandestin pour De Gaulle était aussi répandu. Mais il était interdit de le montrer, et après avoir entendu tant bien que mal radio-Londres , on prenait soin de déplacer l'aiguille du poste.Si une perquisition (fréquente) des boches trouvait la radio sur Londres , on risquait la déportation.

       Ce sont des choses que les moins de 80 ans n'ont pu connaître et qui accompagneront les autres jusqu'à la mort . Là comme ailleurs , le titre d'historien n'est nullement un gage de vérité. Surtout lorsque l'historien , comme Mme Vergez-Chaignon , propose de censurer l'histoire dans la bouche des chefs d'Etat , en rapport avec les mérites de Pétain en 14/18. Non , aucune idéologie ne permet de censurer la vérité , reconnue par les précédents Présidents dignes de ce nom , qui avaient le courage de visiter la tombe de Pétain et de lui apporter des fleurs. Ces pseudos-historiens voudraient être mieux placés que De Gaulle pour nier les mérites de Pétain à Verdun et les circonstances atténuantes de 40 . Victime des lâchetés des politiciens de l'époque , il est intolérable qu'il soit de nos jours victime de "coups de pied de la mule" de porteurs d'idéologies qui n'ont rien vécu de la guerre.

  De temps en temps on ose les mots de "traître" ou même "dictateur", ce qui ne correspond nullement à la vérité . Il serait temps que les idéologies cessent de démolir l'histoire , la vraie .