"Fouché", le terroriste devenu homme d'Etat

L’historien face à son sujet


Chercheur à l’école pratique des hautes études, Emmanuel de Waresquiel fait partie du groupe des anciens élèves de François Furet (à l’instar d’un Patrick Gueniffey) et s’est fait remarquer du monde des amateurs par son histoire de la Restauration (coécrite avec Benoit Yvert) et par une biographie brillante du duc de Richelieu. En 2004, il publie une biographie de Talleyrand qui fait date presque aussitôt (remplaçant les ouvrages de Louis Madelin et Michel Poniatowski) : Waresquiel livre en effet un portrait de Talleyrand plein de subtilité et de nuances, à l’image de son sujet toujours prompt à brouiller les pistes. Ecrire sur l’ex évêque d’Autun l’amène au bout d’un moment à aborder le personnage de Fouché, son rival et allié. Fouché… l’ancien élève des oratoriens devenu conventionnel ne possède pas le charme naturel de Talleyrand. De plus, il a des morts sur la conscience (là où le diable boiteux ne peut se reprocher que celle du duc d’Enghien).  Dans son introduction, Waresquiel, dont la famille souffrit de la Révolution, explique ses hésitations à s’attaquer à la figure de l’inventeur de la Police moderne… Et a relevé le défi. Le résultat ? Magistral.


Le terroriste


Comme beaucoup d’autres, Fouché ne fut pas tout de suite un terroriste. Fils d’un capitaine au long cours, sa formation chez les oratoriens lui permet de devenir professeur dans les environs de Nantes. Un professeur d’ailleurs proche de ses élèves et imprégné des théories rousseauistes. Acquis aux idées du temps (instillés par les philosophes), il réussit (après plusieurs échecs aux élections locales et un militantisme avéré en faveur de la Révolution) à se faire élire député à la Convention. Là, Fouché affronte en janvier 1793 sa première épreuve politique, le procès de Louis XVI. Et vote la mort, ce qui lui sera reproché toute sa vie.


Représentant en mission, il est envoyé dans la région de Nevers puis à Lyon. Proche des montagnards et particulièrement d’Hébert, il fait preuve d’un zèle anti-chrétien (n’hésitant pas à faire graver aux portes des cimetières « la mort est un sommeil éternel ») et traque les traîtres (forcément suspect de sympathies royalistes) à la patrie en danger, prononce des exécutions, des mises à mort. Rentré à Paris après que Robespierre ait éliminé Hébert et ses partisans, Fouché se fait discret… et intrigue. Au côté de gens comme Tallien, il fait partie du groupe qui élimine le farouche incorruptible (dont il aima la sœur) lors des évènements du 9 Thermidor. Par la suite, Fouché reste dans l’ombre, se cache même à un moment : sa réputation sulfureuse, ses amitiés aussi l’handicapent. Le directoire finissant lui offre l’occasion de revenir au premier rang.


L’homme d’état


Après une ambassade, Joseph Fouché devient ministre de la police au moment où le Directoire, régime faible né de Thermidor, agonise. Au cœur des intrigues parisiennes, Fouché entretient ses réseaux et attend. Il manquait un     sabre : l’ex abbé Siéyès attendait Joubert (tué à la bataille de Novi), ce fut Bonaparte. Prudent, Fouché, averti du complot de Brumaire, attend et laisse faire : il conservera son ministère lors de l’émergence du consulat et sait se rendre indispensable (la confiance, par contre, ne sera jamais possible) aux yeux du nouveau maître,  Bonaparte.  En 1800, après l’attentat de la rue saint Nicaise, Fouché et ses services, grâce à une enquête fondatrice de la police moderne, démontrent la responsabilité des réseaux royalistes (alors que Napoléon était persuadé de la culpabilité des jacobins). Devenu puissant, proche des milieux républicains, Fouché sera congédié en 1802 lors de la suppression de son ministère… qui sera rétabli à son profit en 1804.


« La pieuvre » (comme le surnomme Emmanuel de Waresquiel) reste dans l’ombre, séductrice et intimidante, au point que Napoléon ne peut se passer de lui. Par ses rapports, Fouché l’informe de l’état de la France, des mouvements de l’opinion. L’opinion est le grand sujet de l’ancien terroriste : il la soigne, manie la menace et sait se montrer modéré, au point que le faubourg Saint Germain lui dresse des couronnes de lauriers (songeons à son comportement de 1793). Fouché sera pourtant écarté, à cause de ses manœuvres (il recherchait la paix avec la Grande-Bretagne) et aussi de ses qualité : en 1809, alors que Napoléon combat les autrichiens, les anglais débarquent à Walcheren (aujourd'hui aux Pays-Bas) et personne n’ose réagir… Sauf Fouché qui bouscule Cambacérès et lève des gardes nationales confiées à Bernadotte (sa solution de rechange en cas d’empêchement de Napoléon, avec Murat). En 1810, Napoléon ne peut supporter les initiatives d’un ministre qui ne sera jamais une de ses créatures et qui détient bien des secrets (sur la famille Bonaparte notamment).


La revanche et l’échec


Sa seconde disgrâce verra Fouché fuir en province avec sa nombreuse parentèle. Après nombre de vexations (que Fouché ne lui pardonnera pas) Napoléon finira par le nommer gouverneur des provinces Illyriennes en 1813, au moment de la débâcle de l’Empire. 1814 le verra assister de loin au rétablissement des Bourbons. Fouché, longtemps, a repoussé l’idée de leur retour… mais se laisse séduire, en particulier par les amis du comte d’Artois (futur Charles X). Les cents jours (après moult rebondissements) le laissent disponible pour redevenir ministre de Napoléon. Loin d’être féroce, il laisse les oppositions se reconstruire, persuadé de l’échec final d’un homme qu’il hait en silence. Il fait élire à la chambre La Fayette et d’autres anciens révolutionnaires (ainsi que sa « créature » Manuel, brillant orateur) pour miner et affaiblir Napoléon. Après Waterloo, il aide à rétablir le roi Louis XVIII (et devient son ministre (lisez le magnifique passage de Chateaubriand)... avant la disgrâce finale et la mort en exil.

 

Que retenir de Joseph Fouché ? Le sang froid du véritable animal politique, une intelligence hors norme, un sens de l’intrigue digne d’un virtuose machiavélien. Un parcours, enfin, qui laisse pantois. Si la vie de Napoléon avait été un film (Kubrick, seul, aurait su le réaliser), Fouché et Talleyrand, les frères ennemis, en auraient constitué les seconds rôles indispensables. Merci à Emmanuel de Waresquiel qui nous donne une nouvelle preuve de son talent de portraitiste. 


Sylvain Bonnet

Emmanuel de Waresquiel, Fouché, Fayard-Tallandier, septembre 2014, 831 pages, 29,90 €

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