"L'affaire des quatorze", la naissance de l'opinion publique


Un américain à Paris


Historien de la culture et de ses médias, passionné par l’évolution des mentalités, Robert Darnton se propose ici de nous intéresser à une affaire oubliée, loin du quotidien des français du 21ième siècle : l’affaire des quatorze, coupables d’avoir osé déclamer des poèmes ou des chansons satiriques sur Louis XV, la marquise de Pompadour et la paix d’Aix-la-Chapelle (qui mit fin en 1748 à la guerre de succession d’Autriche). L’historien s’est fait enquêteur, furetant dans les archives de la Bastille à la recherche des motivations des uns et des autres et surtout des implications de l’affaire.

 

Le chaudron parisien

 

Un des grands mérites de Robert Darnton est de démontrer que ces « criminels » étaient issus de milieux favorisés : ils étaient prêtres, clercs, étudiants, nobles ou bourgeois (peu étaient suspects de sympathises jansénistes). Ils reflétaient de plus une tendance générale aux mots d’esprit, à la moquerie, encouragé parfois au sommet de l’Etat : rappelons par exemple que Maurepas, ministre de la maison du roi disgracié peu avant le déclenchement de l’affaire, écrivait de pareilles odes, voire les encourageait, dans une lutte de pouvoir et d’influence mêlant Paris et Versailles, le petit peuple et la cour.

 

L’opinion publique au XVIIIième siècle

  

En 1962, le philosophe allemand Jürgen Habermas publia un ouvrage, l’espace public, avec comme hypothèse le développement continu d’un espace public dégagé de l’influence de l’Etat et de la religion dans l’ouest de l’Europe. L’ouvrage de Robert Darnton s’inscrit dans le sillon creusé par Habermas. Comment mesurer cette « opinion publique » ? Elle était élastique, estimée par les chercheurs autour de 100 000 personnes (clercs, juristes, classes moyennes, nobles : les futures lecteurs de l’encyclopédie) mais pouvait aussi englober le peuple dans sa partie alphabétisée. Au-delà des controverses sur les origines de la Révolution, une chose est sûre : au 18ième siècle, les choses avaient définitivement changé. 

 

Sylvain Bonnet

 

Robert Darnton, l’affaire des quatorze, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-François Sené, Gallimard, 218 pages, 21,90 €

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