"Zénobie", Histoire, mythe et légende

Un couple d’historiens

 

Membre du comité de rédaction de la revue l’Histoire, Maurice Sartre est un des spécialistes mondiaux du Proche-Orient antique et particulièrement de la Syrie. On lui doit un ouvrage fameux, D’Alexandre à Zénobie, Le Levant antique (il y était déjà fortement question de la « reine » de Palmyre) qui a passionné nombre d’étudiants. Annie Sartre, sa femme, est quant à elle une spécialiste des coutumes funéraires syriennes. Ils nous offrent ici un Zénobie  dont le sujet même, on va le voir, est peu propice à l’exercice biographique.

 

Dans les limbes de l’histoire

 

Dès leur introduction, Maurice et Annie Sartre avouent sans détour la pauvreté des sources concernant la fameuse palmyrénienne. Personnage du IIIième siècle, elle souffre de la pauvreté des sources littéraires contemporaines. Les historiens se sont longtemps basés sur les abréviateurs romains peu prolixes du IVième siècle (comme Aurélius Victor, Eutrope) et surtout sur l’Histoire Auguste, compilation de biographies rédigées par un auteur de la fin de l’Empire, souvent fantaisiste concernant la période 240-280, marquée par une crise profonde de l’Empire romain. Or le personnage de Zénobie est emblématique de cette période pleine de bouleversements. L’épigraphie et l’archéologie ont démontré son existence à Palmyre, sans pour autant rendre aisé d’étudier sa personnalité.

 

L’épouse d’un général

 

Elle fut l’épouse d’un général, Odenath, également notable de Palmyre, cité pleinement intégrée dans l’Empire romain (et non un prétendu royaume). Palmyre était une cité caravanière, déjà connue à l’époque hellénistique et intégrée dans les routes commerciales (dont la fameuse route de la soie) menant vers l’Orient Parthe. Dans les années 220, les Perses Sassanides se substituent aux Parthes et s’avèrent de redoutables adversaires pour Rome, au point de défaire l’empereur Valérien en 259 et de le faire prisonnier !  C’est là qu’Odenath intervient, lève une armée en fidèle sujet de Rome et poursuit les perses. S’il ne libère pas l’empereur malheureux, il parvient néanmoins à protéger le flanc oriental de l’empire à un moment où le fils de Valérien, Gallien, se bat sur le Rhin et le Danube.

 

La prétendante

 

A la mort d’Odenath, Zénobie devient une sorte de régente, récupère l’Imperium de son mari et gouverne au nom de son fils Vaballath des provinces romaines (dont l’Egypte) jusqu’à l’arrivée d’Aurélien au pouvoir. Militaire originaire d’Illyrie (comme ses successeurs Dioclétien et Constantin), ce dernier décide vite de rétablir l’ordre en Orient. Il bat Zénobie, occupe Palmyre et emmène apparemment cette dernière à Rome où elle aurait figuré dans son triomphe dixit une histoire auguste peu fiable. Là, elle disparaît de l’Histoire (est-elle étranglée ? est-elle exilée ?) et entre dans la légende.

 

La reine d’opéra

 

Devant la difficulté de l’entreprise biographique, les auteurs passent donc à l’étude du mythe de Zénobie. Et on s’aperçoit que ce personnage est très vite annexé par l’histoire occidentale. On en fait une femme vertueuse, une épouse admirable, une mère courage, voire une juive ou une chrétienne cachée. Bossuet la cite dans ses sermons et Rossini lui consacre un opéra (dans un dix neuvième siècle marqué par l’orientalisme). Notons également qu’elle devient une héroïne du nationalisme syrien et du régime baasiste. On est ici très loin de la Zénobie historique, toujours enveloppé de mystère et héroïne d’une cité, Palmyre, désormais interdite aux chercheurs occidentaux pour cause de guerre. Gageons qu’un jour archéologues et historiens pourront revenir dans sa ville natale… reste un bon livre, recommandé à tout amateur d’histoire antique.

 

Sylvain Bonnet

 

Maurice et Annie Sartre, Zénobie, Perrin, octobre 2014, 352 pages, 23,50 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.