"Cléopâtre", derrière le mythe une grande femme

Des inconvénients de la célébrité

 

Contrairement à Zénobie de Palmyre dont nous avons parlé récemment suite à la publication de sa biographie (due à Maurice et Annie Sartre), le personnage de Cléopâtre (69 av.J.C-30 av.J.C) est célèbre (elle souffre d’ailleurs peut-être de cette renommée…) et connu d’un large public. Le mythe a largement recouvert le personnage historique et c’est le grand mérite de ce livre de C.G Schwentzel de permettre de redécouvrir cette femme qui ne peut être réduite à son rôle d’amante de César et d’Antoine.

 

La dernière souveraine hellénistique

 

Peu connue dans notre bel hexagone, la période hellénistique (très bien décrite dans les ouvrages de Claire Préaux) s’ouvre dès la mort d’Alexandre le grand, lorsque ses lieutenants, plus connus sous le nom de diadoques, se disputent son héritage (et assassinent au passage son épouse Roxane et son fils). L’ancêtre de Cléopâtre, Ptolémée, s’empare de l’Egypte et fonde la dynastie des Lagides. Cette famille de souverains est grecque par sa culture et ses origines et égyptienne d’adoption. Ils s’appuient sur une idéologie royale faisant des souverains des dieux vivants (ici, l’héritage des  pharaons les aide considérablement) dont la numismatique offre de nombreux témoignages. Mais les Lagides d’Egypte s’épuisent dans de sempiternels conflits avec leurs rivaux séleucides de Syrie : Rome, délivrée de la menace carthaginoise (un jour, il faudra revenir sur la figure d’Hannibal), s’impose au cours du IIième siècle av.J.C comme un arbitre plutôt « agressif » et impose rapidement un quasi protectorat sur l’Egypte.

 

Cléopâtre, septième du nom, est donc l’héritière d’une famille de souverains de moins en moins indépendants de Rome mais très sourcilleuse quant à son héritage : elle se sert de la tutelle romaine pour éliminer son frère et époux Ptolémée XIII et récupérer Chypre. En Egypte, Cléopâtre est adorée comme une déesse (à l’image d’Isis) et à l’extérieur, elle bénéficie du statut de citoyenne romaine octroyé à son père. Grecque de culture, elle protège les arts et les philosophes, conformément à la tradition de sa famille.

 

Face à Rome

 

Après avoir séduit Jules César et lui avoir donné un fils, elle s’éclipse de Rome après son assassinat et se fait discrète jusqu’à l’arrivée d’Antoine en Orient. Grâce à une entrée savamment mise en scène et à son charme, elle le séduit et améliore constamment la position de son royaume. Pour autant, C.G.Schwentzel démontre qu’elle n’a jamais cessée de s’inscrire dans l’espace géopolitique de la méditerranée romaine. L’Egypte était un état client, dont le sort dépendait de Rome. Pour l’auteur, Cléopâtre recherchait l’insertion de sa personne, de sa famille et de son royaume dans le cadre de l’Imperium romain (quitte à l’influencer) et en Antoine, elle rencontre un partenaire politique (ce dernier cherche toujours un biographe) mais pas un esclave (comme la propagande du futur Auguste l’a présenté). Son échec final et son suicide n’empêcheront pourtant en rien son souvenir de survivre…

 

Toujours le mythe !

 

Morte il y a plus de deux mille ans, Cléopâtre, grecque et égyptienne, ne cesse de hanter Occident et Orient. Décriée par les romains qui pourtant sont fascinés par cette femme qui remet en cause leurs conceptions, elle devient au fur et à mesure une figure mythologique, une source d’inspiration notamment pour Shakespeare. Comme Zénobie, elle est récupérée par les nationalistes – égyptiens – et devient une figure de la résistance à l’Occident colonialiste. Au cinéma, Elisabeth Taylor lui donne ses traits dans le célèbre film de Mankiewicz qui achève de lui donner une stature médiatique inédite pour un personnage historique mort depuis deux mille ans.  Notons enfin que Goscinny et Uderzo en ont faite une héroïne de bande dessinée. Cléopâtre est toujours vivante !

 

Cette biographie est tout autant un exposé sur l’idéologie hellénistique (qui influença les romains malgré leur résistance, puis l’Europe chrétienne) qu’une étude exhaustive sur le mythe « Cléopâtre » (l’auteur de ces lignes avoue avoir eu dans ses jeunes années de tendres élans pour Liz Taylor). C’est aussi le portrait d'une "tête" politique: plutôt réussi.

 

Sylvain Bonnet

 

Christian-Georges Schwentzel, Cléopâtre, Payot, octobre 2014, 352 pages, 25 €

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