"Théodose", redécouvrir l'antiquité tardive


 

Historien , un sacerdoce

 

Bertrand Lançon, ancien élève de Charles Pietri actuellement professeur à l’université de Limoges et chercheur invité à l’université de Caroline du Nord de Charlotte aux Etats-Unis, a choisi d’écrire une biographie de Théodose, premier empereur « catholique » (rappelons que Constantin a été baptisé sur son lit de mort par un prêtre relevant de l’hérésie arienne) et figure plutôt méconnue de l’antiquité tardive. Bertrand Lançon fait partie de ces historiens de l’antiquité (citons Peter Brown ou Pierre Maraval, qui a aussi écrit une biographie de Théodose) qui ont travaillé activement (et utilement) à dépouiller la période des IVième et Vième siècles des oripeaux de la décadence, lieu commun qui nous vient directement de Gibbon.

 

Romanité et christianisme

 

Théodose, dernier empereur à avoir régné à la fois sur l’orient et l’occident, est connu pour sa foi catholique qu’il mit en pratique en déclarant le christianisme seule religion licite (avec le judaïsme) de l’empire. Selon Bertrand Lançon, la portée de cette édit doit être relativisée dans une civilisation romaine où de larges secteurs de la société demeuraient païens : on est ici plus dans le registre du déclaratif. De plus, Théodose employa nombre de païens dans son administration, dont le rhéteur Thémistios, sans leur demander de se convertir.

 

La société de l’antiquité tardive est caractérisée par l’expansion du christianisme dans un contexte de pluralisme religieux (qui va certes en s’amenuisant) et aussi par le maintien de ce qu’on appelle la paideia. Il s’agit d’un terme grec signifiant éducation  mais qu’il faut entendre ici comme synonyme d’héritage culturel et philosophique, celui du monde gréco-romain, partagé autant par les païens que par les chrétiens (et les juifs). Or, Théodose protège cette culture à laquelle il reste attaché. Il l’encourage même en protégeant rhéteurs et philosophes. Il a de plus cette paideia en partage avec l’autre figure importante de la période, l’évêque Ambroise de Milan.

 

Une relecture « provocante » du règne

 

Théodose a eu des relations tumultueuses avec Ambroise qui le tança durement après que la répression menée à Thessalonique ait dégénéré en massacre. Comme on le sait, Théodose fit pénitence de ce crime mais sa relation avec Ambroise ne s’arrêta pas là. Bertrand Lançon formule en effet l’hypothèse suivante : Théodose décida de laisser l’église et les évêques se gouverner eux-mêmes, rompant ainsi avec une tradition romaine où l’empereur, traditionnellement grand pontife de la religion romaine, intervenait aussi dans les affaires de l’église (comme Constantin lors du concile de Nicée). Lançon y voit les germes d’une forme de laïcité…

 

Pour ma part, je resterai prudent face à cette affirmation car les empereurs d’Orient n’eurent pas la retenue théodosienne et intervinrent fréquemment dans les affaires ecclésiastiques. Ensuite, gardons-nous des anachronismes : la notion de laïcité, très plastique (elle n’a pas du tout le même sens en France et par exemple en Allemagne ou aux Etats-Unis), ne peut être appliqué au monde romain tardif. Au mieux Théodose et Ambroise ont procédé à une redistribution de leurs rôles. En tout cas, cette biographie stimulante est à découvrir.

 

Sylvain Bonnet

 

Bertrand Lançon, Théodose, Perrin, octobre 2014, 393 pages, 23 €

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